vendredi 19 février 2010

Détermination de la peine concernant un avocat condamné pour possession de cocaïne - Exposé sur l'absolution

R. c. Grenier, 2006 QCCQ 4526 (CanLII)

[1] Michel Grenier, 41 ans, a reconnu sa culpabilité à l'accusation d'avoir été en possession de cocaïne, le 7 avril 2005.

[2] L'accusation est portée par voie sommaire.

[16] Avant tout, il importe de déterminer les principes qui régissent une demande d'absolution conditionnelle ou inconditionnelle.

[17] La disposition pertinente se trouve à l'article 730 du C. cr., laquelle fait partie du chapitre du Code criminel consacré à la détermination de la peine.

[18] Aux termes du paragraphe 1 de cette disposition, le Tribunal peut, s'il considère qu'il est de l'intérêt manifeste d'un accusé sans nuire à l'intérêt public, prescrire par ordonnance une absolution conditionnelle ou inconditionnelle.

[19] Cette ordonnance ne peut être rendue dans les cas d'infractions comportant une peine minimale ou si l'infraction est punissable d'un emprisonnement de 14 ans ou à perpétuité.

[20] L'absolution entraîne donc l'absence de casier judiciaire pouvant compromettre les projets d'avenir d'un accusé.

[21] Dans une décision récente rendue le 25 novembre 2005, La Reine c. Mansour, monsieur le juge Denis Lavergne résume ainsi les principes de base établis par la jurisprudence:

« [34] Il est bien établi que cette mesure dont l'effet évite au contrevenant le stigmate d'une condamnation n'a rien d'exceptionnelle et n'exclut aucune infraction au-delà des limites mentionnées précédemment; essentiellement, elle vise à éviter qu'une condamnation ait des conséquences disproportionnées ou démesurées au regard, d'une part, de la faute commise par le contrevenant, et d'autre part, au regard de d'autres contrevenants coupables d'infractions semblables4. L'intérêt de l'accusé au sens où l'entend l'article 730 du Code ne saurait donc se réduire au seul préjudice que constitue une condamnation créant un casier judiciaire.

[35] Si la condamnation seule, et partant un casier judiciaire, suffisait pour établir l'intérêt de toute personne à obtenir une absolution inconditionnelle ou conditionnelle, il n'y aurait pas été nécessaire que l'article 730 le précise expressément d'autant plus d'ailleurs que la disposition ajoute le qualificatif véritable. »

[22] Tel qu'énoncé par la juge Michèle Toupin, Cour du Québec. dans l'affaire La Reine c. Gollain, « la preuve de l'intérêt véritable de l'accusé est généralement facile à prouver, particulièrement lorsque l'individu à sentencer n'a pas d'antécédent judiciaire et est de bonne moralité. Il est évident que la possession d'un casier judiciaire, quoique dans certains cas fatals, peut représenter un empêchement ou une conséquence sérieuse, à la recherche d'un emploi, au maintien de ce dernier, à l'obtention de cautionnement et au déplacement à l'étranger par affaires ou par pur plaisir. »

[23] Dans le même sens, monsieur le juge Béliveau, dans Rozon c. La Reine, écrit:

« Par ailleurs, l'intérêt véritable de l'accusé suppose que ce dernier est une personne de bonne moralité, qu'il n'a pas d'antécédent judiciaire, quoique cela ne soit pas déterminant (R. c. Chevalier), qu'il n'est pas nécessaire d'enregistrer une condamnation pour le dissuader de commettre d'autre infraction ou pour qu'il se réhabilite et que cette mesure aurait à son égard des conséquences particulièrement négatives. »

[24] « La perspective de complications futures suffit ».

[25] Ce qui importe, c'est de déterminer si une condamnation aurait pour effet d'entraîner pour l'accusé des conséquences négatives disproportionnées par rapport à la faute commise.

[26] C'est la règle d'or établie par la Cour d'appel dans Abouabdellah c. La Reine, savoir:

« La règle d'or en la matière est qu'un justiciable ne doit pas, dans les faits, subir un châtiment qui n'a aucune mesure avec sa faute. »

[27] C'est en somme le critère de la juste proportionnalité qui doit prévaloir.

[28] Quant au critère de l'intérêt public, monsieur le juge Béliveau définit ainsi ce concept dans l'affaire Rozon précitée:

« 41. Quant à la notion d'intérêt public, elle doit prendre en cause l'objectif de la dissuasion générale, la gravité de l'infraction, son incidence dans la communauté, l'attitude du public à son égard et la confiance de ce dernier dans le système judiciaire (R. c. Elsharawy, par. 3). Cela étant, il faut se rappeler que dans l'arrêt R. c. Meneses, (1976) 25 C.C.C. (2d) 115, la Cour d'appel de l'Ontario a précisé que l'arrestation et la comparution d'un délinquant peuvent constituer une mesure de dissuasion efficace à l'égard de personnes qui ne sont pas criminalisées, lesquelles sont justement celles qui sont candidates à une absolution.

42. Dans ce même arrêt, la Cour d'appel de l'Ontario a indiqué que l'intérêt public comporte également le fait que l'accusé ait la possibilité de devenir une personne utile dans la communauté et qu'elle puisse assurer sa subsistance et celle de sa famille. On avait accordé une libération, selon la terminologie de l'époque, à une dentiste immigrante des Philippines qui désirait être admise à la pratique de cette profession au Canada. »

[29] À ce propos, monsieur le juge Narcisse Proulx mentionne ce qui suit dans La Reine c. Durocher:

« Deuxièmement, l'intérêt public exige qu'on accorde une attention particulière à la dissuasion générale, à la gravité de l'infraction, à son incidence dans la communauté, à l'attitude du public à son égard et à la confiance de ce dernier dans le système judiciaire. De plus, il est important d'examiner si la personne peut être utile pour la société, de vérifier si elle peut assurer sa subsistance et celle de sa famille. »

[30] La Cour d'appel dans La Reine c. Moreau[9], soulignait que l'absolution de l'article 730 du Code criminel ne doit pas être appliquée de façon exceptionnelle.

[31] Chaque cas est un cas d'espèce qui doit être évalué à sa juste valeur et à son mérite.

[32] C'est le principe de l'individualisation des sentences reconnu en jurisprudence et doctrine.

[33] À ce sujet, les commentaires de monsieur le juge René de la Sablonnière, dans l'affaire La Reine c. Caron, sont particulièrement significatifs.

[34] Le juge de la Sablonnière n'a pas retenu l'argument de la poursuite selon lequel accorder une peine d'emprisonnement dans la communauté ne ferait qu'encourager d'autres agresseurs à procéder de la même façon, afin d'obtenir une peine moindre. Il précise qu'en matière de sentence, chaque cas est un cas d'espèce qui doit être traité au fond. Il ajoute qu'un accusé ne peut se voir priver du bénéficie d'application d'une disposition du Code criminel, sous prétexte que d'autres pourraient s'en servir ultérieurement à mauvais escient.

[44] Une condamnation d'où s'ensuit par le fait même un casier judiciaire pourrait être de nature à présenter un risque de compromettre d'une part sa carrière professionnelle tout en l'empêchant, dans l'immédiat, à faire du transport transfrontalier pour subvenir à ses besoins et poursuivre ses études au niveau de la maîtrise.

[45] La Cour d'appel, dans l'arrêt Landry c. La Reine, cite un passage du juge de première instance pertinent en l'espèce, soit:

« Il est clair qu'une condamnation dans ce dossier-ci risque de vous faire perdre votre droit de pratique comme avocat, bien que ce ne soit pas absolu, mais c'est une possibilité dont le Tribunal doit tenir compte. »

[46] La Cour d'appel a fait droit à l'appel et rétablit la décision du juge Chevalier.

[47] Ce premier critère étant bien établi, reste à déterminer si une absolution nuirait à l'intérêt public.

[48] Dans cet ordre d'idée, il faut se demander si le public pourrait perdre confiance dans la crédibilité du système judiciaire.

[49] À cet égard, « le critère doit être apprécié en déterminant ce que penserait la personne raisonnable et renseignée suite à l'octroi d'une absolution conditionnelle ou inconditionnelle ».

[50] D'entrée de jeu, la possession de cocaïne, bien que ça ne soit pas un délit d'une gravité absolue, ne doit pas être banalisée pour autant.

[51] C'est une substance interdite considérée comme nocive.

[52] De plus, comme facteur aggravant, l'accusé, lors de la commission du délit, exerçait la fonction de procureur de la Couronne, district de Québec. C'est un poste de responsabilité dont la société s'attend à ce que le titulaire ait une conduite exemplaire en tout temps.

[53] Par contre, ce n'est pas parce que l'accusé était alors procureur de la Couronne qu'il ne peut par le fait même bénéficier d'une absolution.

[54] Tel qu'énoncée précédemment, l'absolution n'est pas une mesure exceptionnelle et il n'existe pas de règle spéciale pour telle catégorie d'emploi, de fonction.

[55] Aucun justiciable n'est exclu en fonction de sa profession, de sa fonction ou de son travail.

[56] Tout individu doit recevoir une sentence méritée, mais juste et appropriée dans le respect du principe de l'individualisation des sentences, tout en considérant les autres critères tels la réhabilitation, la réinsertion sociale, l'exemplarité et la dissuasion.

[57] Tout justiciable a droit de bénéficier d'une absolution, s'il rencontre les critères requis énoncés précédemment.

[58] Dans cet ordre d'idée, il appert que des personnes occupant des postes de confiance, de responsabilité, d'autorité ont pu bénéficier d'une libération conditionnelle ou inconditionnelle.

[59] Voici à titre d'exemples uniquement quelques cas de cet ordre:

▪ Rozon a été absout inconditionnellement suite à une accusation d'agression sexuelle de moindre degré.

▪ Absolution conditionnelle pour un policier dans le cas d'une accusation de voies de fait dans l'exécution de ses fonctions.

▪ Absolution conditionnelle pour un policier de la Gendarmerie Royale ayant détourné des sommes d'argent qui lui avait été confiées dans le cadre de ses fonctions.

▪ Absolution inconditionnelle concernant un policier pour la commission de 2 voies de fait dans l'exécution de son travail.

▪ Libération inconditionnelle pour un policier qui a conseillé un collègue d'inscrire une mention inexacte dans un rapport d'événement relatif à un test d'ivressomètre concernant son gendre.

▪ Absolution conditionnelle pour fraude d'une somme de 5 000,00 $ par un avocat de l'aide juridique à l'égard de son syndicat.

▪ Absolution inconditionnelle pour un agent de la paix ayant posé des voies de fait à l'égard d'un citoyen. On a précisé que cette mesure sentencielle ne comportait pas de règle spéciale pour les officiers de paix.

▪ Absolution conditionnelle pour un agent de bureau du ministère de la Sécurité public qui a exhibé ses organes génitaux.

▪ Libération inconditionnelle d'un éducateur spécialisé qui a utilisé une force excessive envers un handicapé mental.

▪ Absolution conditionnelle dans le cas d'agressions sexuelles (2 touchés et 1 fellation) d'un accusé qui occupait un emploi d'agent de sécurité.

▪ Absolution conditionnelle pour un policier déclaré coupable d'avoir agressé sexuellement une collègue (touché d'un sein sous le soutien-gorge).

[86] Soit dit en passant, c'est très rare qu'un individu se soumet de son plein gré à une thérapie dans le cas d'une accusation de possession de substance illicite, alors qu'il n'a aucun antécédent en cette matière.

[87] Il y a lieu de reconnaître la pleine portée et les effets de la démarche thérapeutique à laquelle l'accusé s'est astreint volontairement, tel que la Cour d'appel nous l'enseigne

[88] Dans le présent dossier, le ministère public a choisi de procéder par déclaration sommaire. Dans ce cas, le délit est passible d'une amende de 1 000,00 $ maximum ou de 6 mois d'emprisonnement.

[89] La décision sur sentence en matière de possession de cocaïne ou de marihuana de quantité non significative se traduit généralement, pour un individu sans antécédent judiciaire pertinent, par une amende et parfois, si c'est requis et le cas est approprié, par une absolution conditionnelle ou inconditionnelle.

[90] Les sentences monétaires dans le cas de possession de cocaïne sont un peu plus substantielles que celles relatives à la marihuana, eu égard à la nature de la drogue. Ça représente de façon générale des amendes de l'ordre de quelque 100,00 $ plus ou moins

[103] En l'occurrence, il appert indubitablement que l'arrestation, la comparution et tout le processus judiciaire fort médiatisé «constituent une mesure de dissuasion extrêmement forte » pour l'accusé.

[104] Comme le soulignait monsieur le juge Richard Grenier, Cour supérieure, dans l'affaire Bodet, « la dissuasion générale n'apparait pas un élément décisif dans le présent dossier. Un citoyen bien renseigné sur ce qu'a vécu l'accusé trouverait sa punition globale bien lourde, même s'il bénéficiait d'une absolution».

[105] Par surcroît, la comparution médiatisée de l'accusé, sa perte d'emploi, de prestige et la période difficile qui s'ensuit sont de nature à dissuader quiconque d'abuser de son statut de personne affectée à l'administration de la justice ou à un poste de responsabilité.

[106] L'exemplarité est par le fait même atteint en l'occurrence, bien qu'elle ne doit pas faire obstacle à l'application d'une absolution lorsque l'accusé rencontre les critères requis. Il ne faut pas perdre de vue que chaque cas doit être discuté à son mérite, dans le respect de l'individualisation des sentences et de la juste proportionnalité entre la faute commise et la peine qui en découle.

[107] Quant à l'ampleur de la couverture médiatique en l'espèce, la Cour réfère au propos du juge Béliveau dans l'affaire Rozon:

Par. 73 « On pourrait donc considérer que dans la mesure où le crime reproché en l'espèce est « relativement mineur et non prémédité », l'ampleur de la couverture médiatique, plus particulièrement celle qui a été irresponsable, a contribué à punirr l'appelant plus sévèrement qu'un autre individu. Si ce dernier n'avait pas été Gilbert Rozon, l'affaire n'aurait évidemment reçu aucune publicité ».

Par. 74 « Mais plus fondamentalement, le soussigné considère qu'il faut tenir compte du stigmate indélébile que cette couverture a infligé à l'appelant et de la dénonciation dans le public de l'infraction qu'il a commise. »

[110] Enfin, soulignons que l'accusé est sans antécédent judiciaire. Préalablement à l'audition sur sentence, il a déposé une somme de 250,00 $ pour un organisme communautaire Pignon Bleu, bien qu'il soit sans ressource financière.

[111] « L'intérêt public comporte également le fait que l'accusé ait la possibilité de devenir une personne utile dans la communauté et qu'il puisse assurer sa subsistance et celle de sa famille » selon le cas

[112] La Cour n'a aucune hésitation à conclure qu'une personne raisonnable et renseignée considèrerait qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait une condamnation monétaire d'où s'en suivrait un casier judiciaire. Si tel était le cas, ce serait vouloir à ce que l'accusé subisse des conséquences fort négatives qui n'ont aucune mesure avec la faute commise, eu égard à toutes les circonstances présentes.

[113] En l'espèce, une absolution ne peut porter atteinte à la crédibilité du système judiciaire.

[114] La Cour croit approprié de citer la conclusion de monsieur le juge Proulx dans l'affaire Durocher:

« Tout en reconnaissant que la sanction de ce crime requiert de considérer les facteurs d'exemplarité et de dissuasion, il n'en demeure pas moins que la Cour suprême a récemment reconnu que le simple passage d'un accusé à la Cour (sans condamnation) pouvait satisfaire, pouvait pallier à ces deux facteurs.

Nous croyons qu'une personne raisonnable bien informée et respectueuse de l'esprit du Code criminel et de la Charte des droits assumerait qu'une condamnation constituerait un châtiment n'ayant aucune mesure avec la faute commise.

La justice sans clémence est injustice. »

[119] Une absolution inconditionnelle est la mesure appropriée.

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