Delisle c. R., 2010 QCCA 491 (CanLII)
[30] Tout d'abord, il faut rappeler que l'article 12 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), c. C-5, (ci-après Loi), prévoit que tout témoin peut être contre-interrogé relativement à ses antécédents judiciaires. Dans l'arrêt R. c. Corbett, 1988 CanLII 80 (C.S.C.), [1988] 1 R.C.S. 670, la Cour suprême reconnaît toutefois qu'un juge peut limiter l'usage des condamnations antérieures en contre-interrogatoire dans le cadre de sa discrétion judiciaire. Cependant, les juges majoritaires, sous la plume du juge en chef Dickson, concluent qu'exclure la preuve d'une condamnation pour meurtre aurait induit le jury en erreur et créé un déséquilibre, d'autant que la question à trancher par le jury en était une de crédibilité.
[31] En l'espèce, exclure la condamnation de meurtre de l'appelant aurait induit le jury en erreur en regard de sa crédibilité, leur laissant croire que depuis sa dernière condamnation en 1996 pour une infraction de supposition de personne, il était complètement réhabilité, d'autant qu'au moment des aveux faits aux codétenus, il était incarcéré, et ce, à la connaissance du jury. Comme le rappelait le juge Proulx dans l'arrêt R. c. Atouani, [2002] J.Q. no 5081, (permission d'appeler à la Cour suprême refusée à [2003] 2 R.C.S. v),en regard de cette question :
[12] Depuis l'arrêt R. c. Corbett, 1988 CanLII 80 (C.S.C.), [1988] 1 R.C.S. 670, on reconnaît au tribunal une discrétion pour écarter d'un contre-interrogatoire sur les antécédents judiciaires de l'accusé selon l'art. 12 de la Loi sur la preuve au Canada la preuve des antécédents dans les cas exceptionnels où serait compromis le droit d'un inculpé à un procès équitable. Dans Corbett, la Cour a indiqué les facteurs qui justifient exceptionnellement l'exclusion et doivent être pondérés par le souci de maintenir l'équilibre entre les droits de l'inculpé et le risque que le jury obtienne une vision tronquée de la réalité, ou encore, entre le préjudice et la valeur probante : c'est dans ce cadre que doit s'exercer la discrétion judiciaire. Selon le juge en chef Dickson, rédacteur de l'opinion majoritaire dans Corbett, on aurait bien tort de trop insister sur le risque que le jury puisse faire mauvais usage de cette preuve, compte tenu de la mise en garde formelle que doit recevoir le jury à cet égard : «We should regard with grave suspicion arguments which assert that depriving the jury of all relevant information is preferable to giving them everything, with a careful explanation as to any limitations on the use to which they may put that information» (p. 692).
[13] Cela dit, reste à déterminer le cas où les circonstances exceptionnelles justifieront l'exclusion. Dans Corbett, une affaire de meurtre reliée au décès de l'un des associés de l'inculpé dans un trafic de stupéfiants, la défense avait attaqué en force la crédibilité des témoins à charge, des criminels endurcis : la majorité des juges a conclu qu'en expurgeant le casier judiciaire pour faire abstraction d'un antécédent de meurtre commis dix ans auparavant, dans un cas où la crédibilité se situait au cœur du litige, le jury aurait été induit en erreur pour apprécier cette question cruciale.
[14] C'est dans le même sens qu'a conclu la Cour suprême dans R. c. Charland, 1997 CanLII 300 (C.S.C.), [1997] 3 R.C.S. 1006, confirmant R. c. Charland 1996 CanLII 7284 (AB C.A.), (1996), 110 C.C.C. (3d) 300 (C.A. Alb.), la Cour d'appel d'Ontario dans R. c. Saroya, 1994 CanLII 955 (ON C.A.), [1994] 36 C.R. (4th) 253; notre Cour, dans R. c. Mantha, [2001] J.Q. no 1712 (C.A.).
[32] Par ailleurs, comme le rappelait le juge Doyon dans R. c. Tremblay 2006 QCCA 75 (CanLII), (2006), 209 C.C.C. (3d) 212 (C.A. Qué.), paragr. 22, « la limitation de la divulgation des antécédents judiciaires constitue l'exception et non la règle ».
[33] De plus, il faut faire preuve de déférence à l'égard de la décision du juge de première instance s'il se fonde sur les principes juridiques pertinents : R. c. Tremblay, précité, paragr. 26; R. c. Simpson, 2004 ABCA 146 (CanLII), 2004 ABCA 146 (C.A. Alb.).
[34] Comme l'a indiqué le juge, la crédibilité était ici une question cruciale. Le jury devait apprécier les aveux de l'appelant en regard de la crédibilité à accorder aux deux codétenus. Si l'appelant avait nié toute participation à ce crime dans son éventuel témoignage, la situation aurait été bien inégale entre les différents témoins. En excluant cette dernière condamnation, le jury aurait eu un portrait faussé de la réalité, d'autant que l'appelant a largement contre-interrogé les témoins sur leurs antécédents judiciaires et sur des crimes qu'ils auraient commis sans qu'aucune accusation ne soit portée.
[35] Dans ces circonstances, je suis d'avis que l'appelant n'a pas démontré que la décision rendue constitue un exercice erroné du pouvoir discrétionnaire du juge.
[36] En terminant sur cette question, je crois utile de rappeler que l'appelant a choisi de ne pas témoigner malgré que le juge ait clairement indiqué qu'une directive spécifique quant à l'usage limité d'une telle preuve serait donnée au jury. Dans l'arrêt Atouani, précité, le juge Proulx précise l'aspect théorique d'un tel reproche lorsque l'accusé choisit de ne pas témoigner. Il écrit au paragraphe 17 :
J'ajouterais que même si le premier juge a eu tort sur ce point, l'appelant peut difficilement s'en plaindre. Celui-ci ne s'est pas fait entendre comme témoin et voudrait maintenant que cette Cour présume du préjudice qui aurait découlé d'un verdict de culpabilité contaminé par la preuve de ses antécédents judiciaires. On ne saura jamais pourquoi l'appelant n'a pas témoigné: le tribunal d'appel peut difficilement spéculer sur le motif véritable, même si l'on peut raisonnablement croire que la crainte de divulguer ses antécédents peut expliquer cette stratégie, ou encore que ce soit, comme l'avocate de l'appelant l'a exposé à l'audition, une appréhension qu'une mise en garde adéquate ne soit pas donnée au jury. On ne saura jamais non plus ce qu'un jury aurait décidé si l'appelant avait témoigné, et toujours en tenant pour acquis qu'une erreur a été commise, comment pourrait-on ici appliquer la disposition réparatrice et conclure à l'existence d'un tort substantiel en se prêtant à des hypothèses?
[37] Ces propos sont intégralement transposables en l'espèce. L'appelant peut difficilement se plaindre d'un préjudice alors qu'il n'a pas témoigné et qu'une directive appropriée aurait su remédier à l'impact de la similarité de la condamnation antérieure avec l'infraction en cause. Par ailleurs, malgré la similitude des deux infractions, les facteurs - crédibilité au cœur du litige, contemporanéité, portrait faussé de la réalité, contre-interrogatoires musclés sur les antécédents judiciaires des deux codétenus - militent en faveur de l'inclusion de cette condamnation antérieure.
[38] Je suis d'avis que ce moyen doit échouer.
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