Camiré c. R., 2010 QCCA 615 (CanLII)
[29] C'est à bon droit que l'avocat a plaidé cet argument puisque son client était en droit de s'attendre, à moins de circonstances très particulières, que l'avocat de l'autre partie tienne parole. Il pouvait donc croire que la suggestion commune serait retenue par le tribunal à moins qu'elle soit déraisonnable, contraire à l'intérêt public, inadéquate ou encore qu'elle soit de nature à déconsidérer l'administration de la justice (voir notamment R. c. Douglas, (2002) 162 C.C.C. (3d) 37 (C.A. Qué.); R. c. Bazinet, J.E. 2008-319 (C.A.), 2008 QCCA 165 ; R. c. Sideris, J.E. 2006-2149 (C.A.), 2006 QCCA 1351 ). Bref, l'appelant pouvait certes soutenir avoir plaidé coupable sans connaître les conséquences réelles de son plaidoyer, à cause de la volte-face de la poursuite, ce qui, dans certains cas, peut justifier le retrait du plaidoyer. C'est d'ailleurs ce que le juge Proulx écrivait dans R. c. Obadia, [1998] R.J.Q. 2581 (C.A.) :
Les discussions entre le Ministère public et la défense qui précèdent un plaidoyer de culpabilité font partie du quotidien de l'administration de la justice pénale. On ne saurait minimiser l'importance attachée à ces discussions par tous les intervenants si l'on considère que la grande majorité des dossiers se terminent sans qu'un procès ne soit tenu, soit qu'il y ait retrait d'une ou de plusieurs accusations, un consentement à un plaidoyer de culpabilité à une accusation réduite, ou encore un plaidoyer de culpabilité sur les accusations initiales. Généralement, dans l'une ou l'autre de ces hypothèses, cette disposition des dossiers fait suite à des discussions qui ont abouti à une entente entre les deux parties qui en communiquent l'essentiel à un juge dans le cadre d'une suggestion commune quant à la peine appropriée. C'est ce que l'on désigne comme étant le «plea-bargaining».
Dans notre tradition, le juge n'exerce pas la fonction de médiateur dans le cadre de ces discussions ou négociations. En principe, il n'est saisi du dossier que par le plaidoyer de culpabilité et alors les parties font état de la suggestion commune et des motifs qui la justifient. Il s'agit bien d'une «suggestion», car il est admis que le juge n'est pas lié par l'entente entre les parties. Cela signifie que chaque partie prend le risque que la peine imposée se situe au-delà ou en deçà de celle qui fut négociée.
La vitalité et la légitimité d'un système de «plea- bargaining» reposent sur la prémisse que les parties jouent « franc-jeu», c'est-à-dire qu'elles respectent leur engagement: c'est une question d'intérêt public. C'est ainsi que dans un cas où le Ministère public se présenterait devant un juge en réclamant une peine au-delà de ce qui aurait été convenu en échange du plaidoyer de culpabilité, l'accusé serait justifié de demander dès lors le retrait de son plaidoyer: R. v. Morrison, (1981) 25 C.R. (3d) 163 (N.S.S.C. App.Div.).
[…]
[30] Cette idée est reprise par la Cour d'appel d'Alberta dans R. v. Nixon[2] (2009), 246 C.C.C. (3d) 149 (Alta. C.A.) :
1 The use of plea resolution agreements, or plea bargains, has become an integral part of our criminal justice system. The public interest is well served by a system that is expeditious and fair, and that resolves criminal cases in a manner that satisfies the various, and sometimes competing, objectives of the criminal law. Public confidence and respect in the system requires predictability. There is an expectation that plea resolution agreements entered into by Crown agents will be honoured by the office of the Attorney General and will not be repudiated except in the rarest of circumstances. This appeal considers whether the repudiation of a plea resolution agreement is a matter of prosecutorial discretion and, if so, whether the repudiation of the agreement in this case amounted to an abuse of process.
[31] Dans R. c. R.N.M., (2006), 213 C.C.C. (3d) 107 (Ont. Sup. Ct. J.), le juge Hill fait l'étude de la question et rappelle la nécessité d'assurer le respect d'une entente :
55 Correctly, the Ontario Criminal Lawyers' Association submitted that an improper repudiation of a resolution agreement offends s. 7 of the Charter and warrants a s. 24(1) remedy. An abuse of process can result from the Crown reneging on a "deal" or repudiating an agreement with the defence: R. v. D.(E.), supra, at pp. 161-3; Re Abitibi Paper Company Ltd. and the Queen (1979), 47 C.C.C. (2d) 487 (Ont. C.A.), at p. 496; R. v. Mandate Erectors & Welding Ltd., [1999] N.B.J. No. 519 (C.A.), at para. 3, 5; R. v. Morrell, [1989] S.J. No. 37 (C.A.), at pp. 2-3; R. v. Horseferry Rd. Ct., Ex. p. Bennett, supra, at pp. 61, 74; R. v. Goodwin, supra, at paras. 9-13; Dean v. Croydon Justices, [1993] E.W.J No. 942 (Q.B.D. - Div. Ct.), at paras. 33-6; R. v. Crneck et al. (1980), 55 C.C.C. (2d) 1 (Ont. H.C.J.), at pp. 10-12; R. v. Woolf (1979), 15 C.R. (3d) 398 (Ont. Co. Ct.), at p. 400; R. v. Betesh, [1975] O.J. No. 36 (Dist. Ct.), at paras. 8-10, 87; R. v. Loblaw Properties Inc., [2002] O.J. No. 4324 (Ct. of J.), at paras. 4, 16, 18; R. v. M.(M.), supra, at pp. 179-181; R. v. Taker, supra, at paras. 30-9.
56 Depending on the circumstances, and contrary to the view of the trial court, where the Crown repudiates an agreement to which it is a party, a remediable abuse of power may be held to exist even where personal prejudice has not resulted in the sense of the defendant not genuinely compromising his or her position or making a real concession in anticipation of some benefit such as abandonment of a prosecution: R. v. M.(M.); R. v. Woolf; R. v. Betesh; R. v. Taker. Compromise of the appearance of fair and equal justice, depending on the circumstances, may attract judicial intervention.
[32] Il rappelle que la répudiation d'une entente par la poursuite ne relève pas de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire et autorise le tribunal à s'assurer que les règles de la justice naturelle et l'équité ont été respectées :
62 While authority to initiate, continue or terminate a prosecution may be within the core of prosecutorial discretion, repudiation of a pre-trial agreement is not, even though its context touches upon that subject matter. A first-instance decision by Crown counsel whether or not to divert a defendant from the criminal process is not reviewable subject only to abuse of process for circumstances of flagrant impropriety. However, an exceptional decision not to fulfil the undertaking of a prosecutor for diversion, an undertaking given during a court-mandated resolution meeting, where the defence has agreed to a plea of guilty to a regulatory offence, and a prosecutor and a police officer have taken significant steps toward execution of the agreement, in my view, is not protected within the core elements or function of prosecutorial discretion. In other words, the same deference is not to be accorded repudiation conduct, admitted breach of a pre-trial undertaking, which may be reviewed under broader s. 7 Charter fairness principles. In this regard, reference is warranted to the extra-curial writing of Rosenberg J.A., "The Attorney General and the Administration of Criminal Justice", supra, at pp. 27-9 and to Krieger v. Law Society of Alberta, supra, at p. 115 holding that prosecutorial tactics or conduct before the court are "governed by the inherent jurisdiction of the court to control its own processes".
[Nous soulignons.]
[33] Par conséquent, la poursuite doit être en mesure de convaincre le tribunal que son changement d'attitude est justifié :
64 As correctly observed in R. v. Goodwin, supra, at para. 13, the "burden is heavy on the party who seeks to repudiate" a bargain or agreement. In other words, with defence proof of repudiation of a pre-trial resolution agreement and some articulable and tangible unfairness to the individual accused and/or the integrity of the justice system as a result, there is an evidentiary burden upon the prosecution to satisfy the court why the repudiation is justified. […]
65 All at trial acknowledged that some instances of Crown repudiation of a resolution agreement will amount to an abuse of process. Often "the most relevant considerations are the conduct and intention of the Crown": R. v. O'Connor, supra, at p. 42. The prosecution is in the best position, indeed usually the only position, to know the reason(s) for repudiation of a resolution agreement in the sense of why the original agreement would bring the administration of justice into disrepute. Because the act of repudiation is not an exercise of core prosecutorial discretion, the general rule not requiring the Crown to give reasons for its decision-making (see R. v. Ng, supra, at paras. 37-68; R. v. N.(D.), supra, at paras. 22, 33) is not applicable.
[34] Nous partageons le point de vue du juge Hill.
[35] Dans Obadia, précité, le juge Proulx explique les rares cas où la poursuite peut légitimement répudier sa position :
À l'inverse , comme le soulignent Richard E. Shadley et Suzanne Custom dans «Sentencing Procedure: Sentencing Following Guilty Pleas» (National Criminal Law Program St. John's, Nfld., July 1995), plusieurs Cours d'appel canadiennes(2), adoptant ce que le juge Hugessen de la Cour supérieure du Québec avait écrit à ce sujet dans Attorney General of Canada v. Roy (1972), 18 C.R.N.S. 89, en proposant trois critères d'intervention, reconnaissent au Ministère public qui a été induit en erreur le droit de faire réviser une peine qu'il a suggérée. C'est sans doute l'un des rares cas où le Ministère public peut répudier sa position prise en première instance.
Le troisième critère proposé par le juge Hugessen se lit comme suit
The Crown, like any other litigant, ought not to be heard to repudiate before an appellate court the position taken by its counsel in the trial court, except for the gravest possible reasons. Such reasons might be where the sentence was an illegal one, or where the Crown can demonstrate that its counsel had in some way been misled, or finally, where it can be shown that the public interest in the orderly administration of justice is outweighed by the gravity of the crime and the gross insufficiency of the sentence. (p. 93)
[36] Malheureusement, le juge de première instance a refusé de procéder à une telle analyse, de sorte que nous ne savons pas si la poursuite a respecté ces exigences. En effet, dès le départ, le juge a déclaré à plusieurs reprises que « cela ne relève pas de moi », « ça n'a rien à voir avec moi », « je n'ai pas d'affaire là-dedans ». Un tel exercice relevait pourtant de son devoir puisqu'il devait s'assurer que le processus demeurait équitable.
[37] Quoi qu'il en soit, la situation est troublante et un fait demeure : la poursuite n'a aucunement démontré, même en appel, que sa décision de répudier l'entente était acceptable au sens retenu par la jurisprudence. Les procureurs du Directeur des poursuites criminelles et pénales ont pourtant cette responsabilité et leur devoir les oblige à respecter les ententes et à établir, le cas échéant, que la répudiation est fondée sur une circonstance exceptionnelle comme l'illégalité de la peine suggérée, la découverte d'une preuve déterminante, le fait que la poursuite a été induite en erreur par l'accusé ou le caractère totalement inacceptable, dans l'intérêt public, de la peine suggérée eu égard aux circonstances de la perpétration de l'infraction. Il faut ajouter que le simple fait que la suggestion soit le résultat d'une « mauvaise décision » ne suffit pas pour satisfaire au lourd fardeau qui incombe alors à la poursuite (R.N.M., précité, paragr. 67).
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