R. c. Vinet, 2010 QCCQ 1095 (CanLII)
[12] L'article 636 du Code de la sécurité routière (ci-après, C.s.r.) se lit comme suit :
Un agent de la paix, identifiable à première vue comme tel, peut, dans le cadre des fonctions qu'il exerce en vertu du présent Code, des ententes conclues en vertu de l'article 519.65 et de la Loi concernant les propriétaires, les exploitants et les conducteurs de véhicules lourds (chapitre P-30.3), exiger que le conducteur d'un véhicule routier immobilise son véhicule. Le conducteur doit se conformer sans délai à cette exigence.
[13] Les tribunaux d'instance supérieure sont venus, à maintes reprises, affirmer le fait que les policiers ont le droit d'intercepter au hasard des véhicules automobiles. Par ailleurs, les agents de la paix doivent avoir un motif précis pour procéder à cette interception, lequel doit obligatoirement être relié à la sécurité routière. La vérification de la sobriété des conducteurs, de la validité du permis de conduire, de l'immatriculation, des assurances ainsi que de l'état mécanique du véhicule sont des motifs considérés comme étant valables.
[14] Dans l'affaire R. c. Hufsky, la Cour suprême du Canada est venue indiquer que l'interception d'un véhicule en vertu d'un programme de contrôle routier ponctuel visant la sobriété des conducteurs, les permis de conduire et l'état mécanique des véhicules ne contrevenait pas à la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après, Charte).
[15] Par la suite, dans R. c. Ladouceur, le plus haut tribunal du pays a entendu une affaire similaire, mais contrairement à Hufsky où il était question d'un programme de contrôle routier structuré, il s'agissait ici de vérification de routine au hasard. La Cour a reconnu, à l'unanimité, qu'il y avait eu violation de l'article 9 de la Charte. Cependant, les juges majoritaires ont considéré que l'article premier de ladite Charte justifiait la disposition ontarienne autorisant les policiers à intercepter les véhicules automobiles au hasard.
[16] Le Juge Cory, expliquant la légitimité du but poursuivi, indiquait :
La preuve révèle également une préoccupation urgente et réelle plus spécifique en ce qui concerne des aspects particuliers et précis de la conduite automobile.
[…] Le bon état mécanique du véhicule, la possession d'un permis de conduire valide et d'une preuve d'assurance appropriée ainsi que la sobriété du conducteur constituent les trois principaux sujets de préoccupation particuliers.
[…] Il s'agit donc d'un but très légitime à atteindre par voie législative de manière à contrôler et à éliminer ces facteurs dangereux et à réduire ainsi le nombre effroyable des victimes d'accidents de la route. (paragraphe 44)
[17] Selon les principes émis dans Ladouceur, les policiers ne peuvent interpeller des personnes que pour des motifs fondés sur la loi, en l'espèce des motifs relatifs à la conduite d'une automobile comme la vérification du permis de conduire, des assurances et de la sobriété du conducteur ainsi que de l'état mécanique du véhicule. Ainsi, une vérification de routine au Code de la sécurité routière ne peut servir comme prétexte pour une fouille élargie d'un véhicule moteur. Comme l'explique le juge Cory dans R. c. Mellenthin:
Un contrôle routier ne constitue pas et ne saurait constituer un mandat de perquisition général permettant de fouiller les conducteurs à qui l'on demande de s'immobiliser, leur véhicule et les passagers. L'élément de preuve obtenu grâce à une telle fouille ne devrait être admis que s'il existe des motifs raisonnables et probables d'effectuer la fouille ou si de la drogue, de l'alcool ou des armes sont exposés à la vue de tous à l'intérieur du véhicule.
Ainsi, une interpellation d'un automobiliste par un agent de la paix ne lui confère pas le pouvoir d'effectuer une enquête générale dénuée de tout fondement ou une fouille abusive. Cependant, une telle interpellation ne constitue pas à l'accomplissement de tout autre but légitime des forces de l'ordre. Ainsi, la fouille d'une automobile exécutée par un agent de la paix à la suite d'une interpellation routière légitime est permise s'il existe des motifs raisonnables et probables de le faire. (page 624)
[18] Dans l'arrêt In Brown v. Durham Regional Police Force, le juge Doherty de la Cour d'appel de l'Ontario émet l'opinion suivante quant à la portée des arrêts Ladouceur et Mellenthin et les pouvoirs d'un policier qui intercepte un véhicule moteur suivant les dispositions du Highway Traffic Act d'Ontario :
I do not read these words as holding that highway safety concerns can be the only purpose behind a stop and detention. However, as the last sentence in the passage [of Mellenthin] indicates, a purpose which is in itself improper, e.g., to conduct an unconstitutional search, will take the stop outside of the limits of the legislation authorizing those stops. Cory J. recognized that s. 216(1) of the H.T.A. and similar legislation gave the police broad powers to stop motorists. He was alive to the potential abuse of that power and sought to minimize that potential by limiting the statutory power to situations in which the police had both legitimate highway safety concerns and did not have a co-existing improper purpose. (par. 37)
[19] De plus, pour le juge Doherty, on ne peut pas reprocher aux policiers d'avoir utilisé une interpellation valide d'un automobiliste pour un autre but légitime. Inversement, une interpellation d'un automobiliste fondée sur un but additionnel qui n'est pas légitime est invalide. Au paragraphe 38 de son jugement, le juge Doherty explique la distinction ainsi :
While I can find no sound reason for invalidating an otherwise proper stop because the police used the opportunity afforded by that stop to further some other legitimate interest, I do see strong policy reasons for invalidating a stop where the police have an additional improper purpose. Highway safety concerns are important, but they should not provide the police with a means to pursue objects which are themselves an abuse of the police power or are otherwise improper. For example, it would be unacceptable to allow a police officer who has valid highway safety concerns to give effect to those concerns by stopping only vehicles driven by persons of colour. Section 216(1) of the HTA does not, in my view, authorize discriminatory stops even where there is a highway safety purpose behind those stops. (par. 38)
[20] Il apparaît clairement que ces enseignements du juge Doherty prennent tout leur sens dans le cas qui nous occupe. Tel qu’exposé précédemment, si les policiers sont en droit d’effectuer des interceptions au hasard, ces derniers ne sauraient être habileté à en faire autant lorsqu’un motif oblique motive leurs agissements. Il ne fait aucun doute que si un motif oblique est à la base de l’interception, celle-ci n’est plus faite « au hasard » et devient invalide. Quant à la détention qui s’ensuit, elle est inévitablement illégitime. Les policiers se retrouvent alors à agir en dehors du vaste pouvoir d’interception qui leur est octroyé, pouvoir qui, tel que précisé par le juge Cory, se doit d’être limité afin d’éviter les abus de pouvoir qui risquent d’en découler.
[21] L’accusé paraît avoir été, pour une raison inconnue, ciblé par les policiers qui, doit-on le rappeler, ne patrouillaient pas dans leur secteur. Dans la mesure où les agents ont procédé à une filature, alertes au moindre incident, l’interception ne peut plus être considérée avoir été faite « au hasard ». L'interception du véhicule de l'accusé pour le défaut de signalement nous apparaît n’avoir été qu'un prétexte. L'intention réelle des agents était de se servir des pouvoirs conférés à un agent de la paix en vertu du Code de la sécurité routière pour recueillir des preuves reliées à la possession de drogues illicites.
[22] Les pouvoirs conférés en vertu du Code de la sécurité routière aux agents de la paix ne pourraient, dans les circonstances de cette cause, justifier l'intrusion non fondée dans la vie privée de l'accusé. Tout d'abord, le Tribunal croit, sur une balance des probabilités, que l'auto de l'accusé ne fut pas arrêtée par hasard, mais qu'elle fut ciblée pour une raison inconnue. Ensuite, selon ce même standard de preuve, le Tribunal croit l'accusé quand il dit avoir activé son clignotant au moment où il tournait à droite sur la rue Provencher.
[23] Ainsi, après avoir entendu toute la preuve, le Tribunal conclut que les policiers n’étaient pas en droit d’intercepter le véhicule de l’accusé comme ils l’on fait et de ce fait, les droits de l’accusé garantis par l’article 9 de la Charte ont été violés.
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