R. c. Laroche, 1999 CanLII 13535 (QC C.A.)
L'intimée admet avec raison que l'appelant ne peut être forclos de soulever ce moyen car le droit à un procès devant un juge impartial est d'une importance fondamentale pour notre système de justice. Le droit à un procès devant un tribunal impartial a été élevé au rang de droit constitutionnel par l'art. 7 et l'al. 11 d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Si les paroles ou les actes du juge qui a présidé le procès révèlent l'existence de partialité ou d'une crainte raisonnable de partialité, il y a alors eu violation d'un droit fondamental et la partialité dont il a été fait montre rend le procès inéquitable. Comme le mentionne le juge Proulx, dans Aflado c. R., le rôle d'une cour d'appel dans sa compétence de réviseur du procès vise précisément à s'assurer que l'appelant a subi un procès juste et équitable plutôt que de décider s'il est coupable ou non.
Depuis l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. L'Office national de l'énergie, c'est le critère «de la personne raisonnable qui étudierait la question en profondeur eu égard aux circonstances de l'affaire» qui a été appliqué pour déterminer l'existence de partialité ou d'une crainte raisonnable de partialité.
Le simple soupçon de partialité n'est pas suffisant. Il doit y avoir une vraisemblance réelle ou une probabilité de partialité. À cet égard le juge Cory rappelle, dans l'arrêt R. c. S. (R.D.), que l'allégation de partialité doit être examinée soigneusement car elle met en cause un aspect de l'intégrité judiciaire. De fait précise-t-il:
L’allégation de crainte raisonnable de partialité met en cause non seulement l'intégrité personnelle du juge, mais celle de l'administration de la justice toute entière. Lorsqu'existent des motifs raisonnables de formuler une telle allégation, les avocats ne doivent pas redouter d'agir. C'est toutefois une décision qu'on ne doit pas prendre à la légère.
La charge d'établir la partialité incombe à la personne qui en allègue l'existence. Mais comme la partialité ou la crainte de partialité est fonction des faits et circonstances propres de l'affaire, les commentaires et la conduite reprochés ne doivent pas être examinés isolément mais bien en replaçant les gestes et paroles du juge dans l'ensemble de la procédure.
En l'espèce, l'appelant reproche au juge d'avoir usurpé les fonctions des avocats, aussi bien de la défense que de la poursuite; de s’être chargé des interrogatoires; d'être intervenu continuellement et quand bon lui semblait dans les interrogatoires et contre-interrogatoires au détriment du droit de l'appelant à un procès juste et équitable.
Lord Denning dans Jones c. National Coal Board décrit ainsi l’idéal de justice que doivent poursuivre les juges dans la conduite d'un procès:
... It is all very well to paint justice blind, but she does better without a bandage round her eyes. She should be blind indeed to favour or prejudice, but clear to see which way lies the truth: and the less dust there is about the better. Let the advocates one after the other put the weights into the scales - the "nicely calculated less or more" - but the judge at the end decides which way the balance tilts, be it ever so slightly.
The judge's part in all this is to hearken to the evidence, only himself asking questions of witnesses when it is necessary to clear up any point that has been overlooked or left obscure; to see that the advocates behave themselves seemly and keep to the rules laid down by law; to exclude irrelevancies and discourage repetition; to make sure by wise intervention that he follows the points that the advocates are making and can assess their worth; and at the end to make up his mind where the truth lies. If he goes beyond this, he drops the mantle of a judge and assumes the robe of an advocate; and the change does not become him well. Lord Chancellor Bacon spoke right when he said that: "Patience and gravity of hearing is an essential part of justice; and an over-speaking judge is no well-tuned cymbal".
Tout en ne remettant pas en cause le commentaire si bien énoncé par Lord Denning, en 1957, quant à l'idéal de justice qui doit guider les juges dans la conduite d'un procès, nous considérons que l'administration de la justice, à l'aube du 21e siècle, impose des impératifs plus aigus aux juges en matière de saine gestion des procès.
C'est ainsi que la Cour suprême dans Brouillard dit Chatel c. La Reine énonçait:
D'abord, il est clair que l'on n'exige plus du juge la passivité d'antan; d'être ce que moi, j'appelle un juge sphinx. Non seulement acceptons-nous aujourd'hui que le juge intervienne dans le débat adversaire, mais croyons- nous aussi qu'il est parfois essentiel qu’il le fasse pour que justice soit effectivement rendue. Ainsi, un juge peut et, parfois, doit poser des questions aux témoins, les interrompre dans leur témoignage, et au besoin les rappeler à l'ordre.
Le juge Lamer citait avec approbation la décision R. c. Darlyn, de la Cour d'appel de la Colombie Britannique. Le juge Bird écrivait:
[TRADUCTION] La nature et le degré de participation d'un juge à l'interrogatoire d'un témoin relèvent sans aucun doute de son pouvoir discrétionnaire, pouvoir qu'il doit exercer judiciairement. Selon moi, la fonction du juge consiste à tenir en équilibre la balance de la justice entre le ministère public et l'accusé. Il ne fait pas de doute dans mon esprit qu'un juge a non seulement le droit mais aussi le devoir d'interroger un témoin afin d'élucider une réponse obscure ou pour s'assurer qu'un témoin a bien compris une question, et même de corriger une omission de l'avocat en posant des questions qui, à son avis, auraient dû être posées pour expliquer ou faire ressortir certains points pertinents.
Dans Plante c. La Reine, le juge Philippon soulignait à cet égard:
[...] le juge n'est plus soumis à la passivité d'antan. Au contraire, Il est souvent nécessaire qu'il intervienne dans le débat afin d'assurer à l'accusé l'opportunité de présenter une défense pleine et entière et de protéger son droit à un procès juste et équitable. Ses interventions doivent toutefois être empreintes d'impartialité et ne doivent pas donner l'impression qu'il prend charge du procès ou usurpe le rôle des avocats.
[...]
La quantité des interventions importe moins que la manière d'y procéder. À l'occasion d'un tel pourvoi, il faut plutôt les évaluer dans leur ensemble et déterminer si elles ont eu ou pu avoir un impact sur le déroulement juste et équitable du procès. Autrement dit, il faut décider si elles ont rompu l'équilibre qui doit exister entre les parties. De plus, contrairement aux prétentions de l'intimée, le caractère raisonnable ou non du verdict n'a aucune incidence sur la question à trancher.
Mais, comme 1’a rappelé le juge Lamer dans 1’arrêt Brouillard dit Chatel c. La Reine, lorsqu'un juge troque sa toge contre celle d'un avocat, et a fortiori, lorsque cela se produit au détriment d'un accusé, il importe d'ordonner un nouveau procès, et ce quand bien même le verdict de culpabilité n'est pas déraisonnable en regard de la preuve, que le juge n'a commis aucune erreur quant au droit applicable en l'espèce, ou encore n'a pas mal apprécié les faits.
C’est, en effet, un principe fondamental de notre droit, qu'il est primordial que non seulement justice soit rendue, mais. que justice paraisse manifestement et indubitablement être rendue.
Or, ici, avec égards, il nous paraît manifeste que le juge a troqué la toge de juge pour celle de l'avocat, et que cela a nui au travail des avocats de la défense. En effet, il n'est pas contesté que le juge a posé 1 690 questions dans le cadre du procès qui a duré 20 jours, alors que l'avocat de la Couronne en a posé 1 282. Certes la quantité importe moins que la manière d'y procéder et le nombre seul des questions qu'un juge pose n'est pas décisif, mais à un moment donné, la force du nombre parle.
Il est bien reconnu qu'un juge a le pouvoir, voire le devoir de poser des questions en vue d'obtenir des éclaircissements sur une réponse obscure et d'en poser aussi lorsqu'il estime que le témoin a mal compris une question que lui a adressée l'avocat. Si, de l'avis du juge, il subsiste des doutes sur certains points ou s'il croit que certaines questions auraient dû être posées, il peut voir lui-même à combler la lacune. Il vaut mieux, en règle générale, que cela se fasse au moment où l'avocat a terminé son interrogatoire ou lorsqu'il est sur le point d'aborder un nouveau sujet.
Il y a cependant des limites au droit d'un juge de poser des questions. Pour assurer que l'accusé ait un procès équitable, les questions posées par le juge ne doivent pas perturber de façon sensible l'interrogatoire conduit par l'avocat ou laisser transparaître un parti pris. Comme le soulignent les auteurs Sopinka, Lederman et Bryant dans leur ouvrage The Law Evidence in Canada "The test to be applied is not one of bias or disruption in fact, but reasonable apprehension of unfairness". Les auteurs continuent en citant le passage suivant de l'arrêt R. c. Valley où le juge Martin affirme:
The ultimate question to be answered is not whether the accused was in fact prejudiced by the interventions but whether he might reasonably consider that he had not had a fair trial or whether a reasonable minded person who had been present throughout the trial would consider that the accused had not had a fair trial.
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