D.C. c. R., 2010 QCCA 2289 (CanLII)
[102] Un arrêt récent de la Cour d'appel du Manitoba, R. v. Mabior, 2010 MBCA 93 (CanLII), [2010] M.J. No. 308, 2010 MBCA 93, va en ce sens. La juge Steel écrit les motifs unanimes de la Cour. Elle rappelle que le test énoncé par les juges de la majorité dans l'arrêt Cuerrier est un compromis et qu'il implique un certain degré d'incertitude d'autant que les résultats de son application sont appelés à varier dans le temps en fonction des progrès de la médecine.
[103] Le test comporte deux composantes : l'importance du risque, la gravité du préjudice.
[104] À partir de quel niveau le risque est-il assez « important » et le préjudice assez « grave » pour qu'une conduite soit qualifiée de criminelle?
[105] Dans le cas du VIH, la gravité du préjudice ne fait pas de doute. L'infection au VIH demeure une infection grave, « potentiellement mortelle », selon les propos du Dr Routy, et ce, malgré les progrès fulgurants de la médecine au cours des dernières décennies. L'infection au VIH est irréversible, du moins selon les données actuelles de la médecine. Les médicaments mis au point pour la combattre sont efficaces, mais ils comportent des effets secondaires importants et le défi demeure toujours celui de rechercher le point d'équilibre entre le contrôle du virus et la tolérance du patient.
[106] Dans l'arrêt Mabior, la juge Steel écrit, au paragraphe 64 :
64 Nonetheless, I do not think it can be disputed that being infected with HIV subjects an individual to serious bodily harm. Although no longer necessarily fatal if treated medically, HIV is an infection that cannot be cured at this time and is a lifelong, chronic infection. For those who become infected, it is a life-altering disease, both physically and emotionally. Individuals must take medications every day, and the condition is potentially lethal if they do not have access to treatment or fail to take the medications. Even with treatment, HIV infection can still lead to devastating illnesses. Moreover, the emotional and psychological impact of dealing with such a disease is, no doubt, overwhelming. In their factums, both the accused and the intervener acknowledged that acquiring HIV constitutes serious bodily harm.
[107] C'est également mon avis.
[108] L'importance du risque est une question plus délicate à résoudre. À partir de quel niveau peut-on dire d'un risque qu'il est « important » ? 1 sur 50 000, 1 sur 10 000, 1 sur 1 000, 1 sur 100, 1 sur 10, … L'absence totale de risque n'est certes pas le test que l'arrêt Cuerrier invite les juges à appliquer.
[109] L'argument voulant que, vu la gravité du préjudice associé à une infection au VIH, tout risque de transmission soit « important » ne saurait tenir sans dénaturer le test.
[110] Il doit y avoir un risque important de transmission du virus pour que le défaut par une personne porteuse du VIH d'en informer son partenaire soit sanctionné par le droit criminel.
[111] Dans l'arrêt Mabior, la juge Steel écrit, aux paragraphes 68 et 69 :
68 I agree that the nature of the harm can affect the determination of what is considered to be a significant risk. As the magnitude of the harm goes up, the threshold of probability that will be considered significant goes down. However, to have required a complete elimination of risk rather than a significant risk was an error in law.
69 So one must determine what constitutes a "significant risk" of transmission in any particular case. (…)
[112] Je suis d'accord. Chaque cas doit être jugé en fonction des circonstances qui lui sont propres.
[113] Toujours dans l'arrêt Mabior, la juge Steel écrit à ce sujet, au paragraphe 113 :
113 Consequently, no comprehensive statement can be made about the impact of low viral loads on the question of risk. Each case will depend on the facts regarding the particular accused, and each case will depend on the state of the medical evidence at the time and the manner in which it is presented in that particular case.
[114] Ici encore, je suis d'accord.
[115] En l'espèce, selon la preuve au dossier, la charge virale était indétectable, et l'est demeurée, pendant toute la période visée par les deux chefs d'accusation, soit de juin à août 2000. Le risque de transmission du VIH était alors de 1 sur 10 000 advenant une relation sexuelle non protégée. Sans être nul, le risque était, selon la Dre Klein, « très faible, très minime » ou, selon le Dr Routy, « très, très faible ».
[116] Il faut se rappeler aussi qu'en l'espèce il n'y a qu'une seule relation sexuelle non protégée avant que le plaignant soit informé de la séropositivité de l'appelante.
[117] Dans ce contexte, j'estime que le fait pour l'appelante de ne pas avoir dévoilé qu'elle était porteuse du VIH n'a pas eu pour effet d'exposer le plaignant à « un risque important de préjudice grave » au sens de l'arrêt Cuerrier.
[118] Les mots utilisés par les deux experts pour quantifier le risque, soit « très faible », « très minime », « très, très faible », sont incompatibles avec l'existence de quelque risque important que ce soit.
[119] Avec égards pour le juge de première instance, j'estime donc que le ministère public n'a pas établi que le consentement du plaignant à une relation sexuelle non protégée, avant qu'il soit informé de la séropositivité de l'appelante, avait été vicié par la fraude
[120] Il n'y a donc pas eu d'agression sexuelle ni, par conséquent, de voies de fait graves.
[121] Dans l'arrêt Mabior, la juge Steel conclut ses motifs en disant comprendre que, pour les plaignantes, tout risque d'être infectées est un risque de trop et qu'elles auraient bien voulu en être informées avant de consentir aux relations sexuelles. Elle ajoute que ce point de vue est partagé par plusieurs, ne serait-ce que d'un point de vue éthique ou moral, mais que, pour l'instant, tel n'est pas le test que les juges doivent appliquer. Comme le test a été conçu à une époque où la lutte contre le VIH ne faisait que commencer, la juge Steel fait allusion à la possibilité que la Cour suprême veuille revoir le test du « risque important de préjudice grave » afin de dissiper l'incertitude qui lui est inhérente. Je joins ma voix à la sienne, ajoutant que l'initiative de revoir toute la question du risque de transmission de maladies infectieuses graves, dans le contexte du droit pénal canadien, devrait peut-être revenir au législateur vu ses nombreuses ramifications sociales, éthiques et morales
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