vendredi 10 décembre 2010

Revue par la Cour d'appel concernant les principes juridiques de la prise en chasse

Tétard c. R., 2010 QCCA 2235 (CanLII)

[15] Dans R. c. Macooh, le juge en chef Lamer adopte la définition suivante de la prise en chasse :

Généralement, l'essence de la prise en chasse est qu'elle doit être continue et effectuée avec diligence raisonnable, de façon à ce que la poursuite et la capture, avec la perpétration de l'infraction, puissent être considérés comme faisant partie d'une seule opération.

[16] L'exception au principe de l'inviolabilité du domicile applicable en cas de prise en chasse est fondée sur un certain nombre de justifications qui en expliquent la raison d’être.

[17] Le juge en chef Lamer énonce ces justifications dans Macooh que nous pouvons résumer ainsi:

1. Il n'est pas acceptable que des policiers s'apprêtant à procéder à une arrestation tout à fait légitime en soient empêchés du seul fait que le contrevenant s'est réfugié dans sa maison ou dans celle d'un tiers. On ne saurait forcer les policiers à mettre fin à une poursuite au seuil de la demeure du contrevenant, sans faire de cette demeure un véritable sanctuaire.

2. Il n'est pas souhaitable d'encourager les contrevenants à chercher refuge chez eux ou chez un tiers, car des dangers importants peuvent être associés à de telles fuites et aux poursuites qui peuvent en résulter.

3. Le policier, dans le cadre d'une prise en chasse, peut avoir une connaissance personnelle des faits qui justifient l'arrestation, ce qui diminue grandement les risques d'erreur.

4. La fuite indique généralement une certaine conscience de culpabilité de la part du contrevenant.

5. Il peut être difficile d'identifier le contrevenant sans l'arrêter immédiatement.

6. La preuve de l'infraction qui a donné lieu à la poursuite ou la preuve d'une infraction connexe peut être perdue (par exemple, des signes d'ébriété).

7. Il y a un risque que le contrevenant fuie de nouveau ou commette une infraction, et l'on ne peut exiger des policiers qu'ils assurent indéfiniment la surveillance de sa demeure au cas où ce dernier se déciderait à sortir.

[19] Dans l'arrêt R. c. Feeney, la Cour suprême a conclu « qu'en général un mandat est requis pour effectuer une arrestation dans une maison d’habitation ». Toutefois, la Cour précise aussi que l'exception de prise en chasse demeure valide. Le juge Sopinka s’exprime ainsi :

En résumé, les conditions ci-après doivent généralement être remplies pour qu’une arrestation relative à un acte criminel dans une maison privée soit légale: un mandat doit être obtenu sur la foi de motifs raisonnables et probables d’effectuer une arrestation et de croire que la personne recherchée se trouve dans les lieux en question, et une annonce régulière doit être faite avant d’entrer. Cette règle souffre une exception dans le cas d’une prise en chasse.

[20] Contrairement à la prétention implicite de l'appelant, l'adoption des articles 529 et suivants du Code criminel n'a pas eu pour conséquence l'abolition de l'exception de la prise en chasse. Renee Pomerance (elle n'était pas alors juge) en explique la raison :

The drafters of Bill C-16 were careful not to oust or limit other authority which would permit warrantless entry of a dwelling. The preamble explicitly declares that "nothing in this Act is intended to limit or restrict the circumstances under which peace officers may be justified in entering a dwelling-house for the purposes of arrest or apprehension, in the absence of prior judicial authorization, under this or any other Act or law".[46] Thus, while the Bill makes no reference to hot pursuit, the police have authority to enter on this basis, as a result of the decision in Feeney. Similarly, the legislation leaves it open to the courts to consider and recognize other types of exigent circumstances, on a case-by-case basis.

[22] Dans le présent dossier, la principale particularité est que la perpétration de l'infraction par l'appelant est constatée par un citoyen qui communique avec la police, qui le suit et le prend en chasse.

[23] Est-ce que cela affecte la conclusion que l'arrestation de l'appelant a été effectuée dans le cadre d'une prise en chasse au sens de l'arrêt Macooh? Pour répondre à cette question, il est nécessaire d'examiner les pouvoirs d'arrestation du citoyen et des policiers prévus au Code criminel.

[25] Conformément à l'al. 494(1)a) C.cr., le conducteur impliqué dans l'accident avec l'appelant aurait pu procéder à son arrestation, car il trouve l'appelant en train de commettre un acte criminel, soit la conduite d'un véhicule avec les facultés affaiblies (art. 253 C.cr.) et le défaut d'arrêter lors d'un accident (art. 252 C.cr.).

[26] De plus, les policiers appelés sur les lieux avaient le pouvoir d'arrêter l'appelant conformément soit à l'al. 494(1)b) C.cr., soit à l'al. 495(1)a) C.cr.

[27] D'une part, les informations communiquées par le conducteur fournissaient aux policiers des motifs raisonnables de croire que l'appelant avait commis une infraction criminelle, qu'il était en train de fuir une personne légalement autorisée à l'arrêter et qu'il était immédiatement poursuivi par le conducteur.

[28] D'autre part, les policiers avaient des motifs raisonnables de croire que l'appelant avait commis un acte criminel. L'arrestation sans mandat de l'appelant était autorisée en raison de la nécessité de l'identifier, de recueillir ou conserver une preuve de l'infraction et d'empêcher que l'infraction se poursuive ou se répète.

[29] La seule question qui se pose est de savoir si une distinction doit être établie dans les cas où la prise en chasse initiale a été effectuée par un citoyen plutôt que par un policier. La reconnaissance d'une telle distinction serait artificielle et illogique.

[30] Il importe peu que la poursuite ait été entreprise par un témoin avant que la police ne se présente sur les lieux. À cet égard, le juge Lamer affirme, dans Macooh, que les policiers peuvent continuer une poursuite déjà engagée :

Il est intéressant de noter qu'en l'espèce l'infraction a été commise en présence des policiers conformément à l'exigence mentionnée par Foster et Magnet. Je ne crois toutefois pas qu'il soit opportun d'imposer strictement cette condition au droit d'entrer dans le contexte d'infractions autres que des actes criminels. Cette condition est trop restrictive. Les policiers qui arrivent peu après la perpétration de l'infraction, et voient fuir le contrevenant, devraient en effet pouvoir le suivre jusque dans des locaux privés, tant dans le contexte d'une infraction provinciale que dans celui d'un acte criminel. Ce pouvoir d'entrer devrait également être donné aux policiers qui continuent une poursuite déjà engagée

[31] Selon la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, dans R. v. Haglof, il est possible d'être en présence d'un cas de prise en chasse même lorsque les policiers n'ont pas été témoins des événements donnant lieu à l'infraction :

In my opinion, the case at bar represents a situation of hot pursuit notwithstanding that the officers did not in fact see the accident occur or the appellant enter the house. The time between the accident and the arrest was only some 35 minutes. Within approximately fifteen minutes of the accident, Constable King arrived at the Ethel Residence. This represented the length of time it took to locate the suspect. The remaining 20 minutes were spent at the premises of the appellant attempting to and finally succeeding in effecting an arrest. In my view, these events are sufficiently proximate to be considered as forming part of a single transaction.

[32] Contrairement à la situation dans l'arrêt R. v. Van Puyenbroek[18] de la Cour d'appel de l'Ontario, soumis par l'appelant, la prise en chasse a, ici, été continue, effectuée avec diligence raisonnable, dans une chronologie factuelle qui peut être considérée comme une seule opération. Dans l'affaire Van Puyenbroek, les policiers, qui n'ont pas constaté l'infraction, se sont présentés au domicile du suspect plus de 90 minutes après l'appel initial.

[33] Dans la mesure où il s'agit d'une seule opération, l'exception à la règle du mandat d'arrestation dans les cas de prise en chasse s'applique même si la prise en chasse initiale est celle d'un citoyen et qu'elle est complétée et finalisée par un policier. Dans un tel cas, l'arrestation d'un suspect n'exige pas un mandat d'entrée pour effectuer l'arrestation d'un suspect dans une maison d'habitation.

[34] Dans le présent dossier, la nécessité d'empêcher la destruction d'une preuve était une préoccupation légitime. L’arrestation de l’appelant était nécessaire afin de procéder avec célérité à un alcootest, éviter l'absorption supplémentaire d'alcool et empêcher qu’il reprenne le volant.

[35] La conclusion est la même si on applique l'al. 529.3(2)b) C.cr.. La situation à laquelle les policiers étaient confrontés rendait difficilement réalisable l'obtention d'un mandat d'entrée et la préservation de la preuve exigeait une intervention immédiate.

III - Conclusion

[36] Les policiers pouvaient procéder à l'arrestation de l'appelant dans son domicile sans obtenir un mandat d'arrestation. L'arrestation de l'appelant n'était pas arbitraire au sens de l'article 9 de la Charte canadienne des droits et libertés. Même en tenant pour acquis que l'arrestation de l'appelant l'était, l'arrêt des procédures qu'il recherche ne pouvait être prononcé.

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