R. c. Alix, 2005 CanLII 48242 (QC C.S.)
[16] Le principal point en litige consiste à déterminer si le privilège client-notaire ou client-avocat, au Canada, survit après le décès du détenteur.
[17] La question est de savoir dans quelles circonstances le privilège survit, à quelles conditions, à qui il profite et quelles en sont les exceptions.
[18] Tout d'abord, avant d'invoquer le privilège, il faut se demander si l'accusée était la cliente du notaire. À prime abord, la réponse est simple : non. C'est sa mère qui était la cliente.
[19] Il faut alors se demander si le privilège survit au décès du client.
[20] L'honorable juge Wilson de la Cour suprême dans Geffen c. Succession Goodman écrit que le privilège survit aux héritiers mais qu'il n'est pas sans exception :
« Le secret professionnel est tellement important que les tribunaux ont également précisé que le caractère confidentiel des communications entre l'avocat et son client subsiste après le décès du client et est transmis à ses parents, héritiers ou ayants droit: voir Bullivant v. Attorney-General for Victoria, [1901] A.C. 196, Stewart v. Walker (1903), 6 O.L.R. 495, et Langworthy v. McVicar (1913), 25 O.W.R. 297.
Une exception a toutefois été prévue afin de permettre à l'avocat de témoigner en matière testamentaire, et les commentateurs de même que les tribunaux ont donné diverses explications de cette exception à la règle générale du secret professionnel de l'avocat. Dans Wigmore on Evidence (vol. 8, {SS} 2314), par exemple, l'auteur affirme que, pour ce qui est des questions relatives à la signature ou au contenu d'un testament, le raisonnement qui sous-tend l'exception se rapporte à la volonté du testateur de préserver le secret. À la page 610 du vol. 8, le professeur Wigmore dit:
[TRADUCTION] Mais, dans le cas des testaments, un élément particulier entre en jeu. L'on ne peut guère douter que le client souhaite tacitement que la signature et surtout le contenu demeurent secrets pendant sa vie et qu'ils font donc partie de sa communication confidentielle. Il faut présumer que, durant cette période, l'avocat ne devrait pas être appelé à divulguer même le fait qu'il y a eu signature d'un testament, et encore moins sa teneur. Mais, en revanche, ce caractère confidentiel n'est destiné à être que temporaire. Il est évident qu'une telle restriction peut être apportée au privilège.
[….]
Par contre, le professeur Phipson semble être d'avis que, dans le contexte des testaments, l'exception au privilège du secret professionnel de l'avocat a une justification différente. À son avis, chaque fois que ceux qui l'invoquent et le client ont un intérêt commun dans le sujet des communications, qu'il s'agisse de questions de testament ou d'autres types de questions, le privilège ne s'applique pas. C'est pourquoi il affirme que le privilège ne s'applique pas lorsque les ayants droit d'un testateur, qui partagent un intérêt commun, l'invoquent à propos des communications faites par ce dernier à son avocat: voir Phipson on Evidence (13e éd. 1982), à la p. 300.
[…]
De même, dans l'affaire Re Ott, [1972] 2 O.R. 5 (C. succ.), où il s'agissait de décider si le testateur qui avait déchiré son testament avait voulu révoquer un testament et redonner effet à un testament antérieur, le juge Anderson a décidé que la discussion qui avait eu lieu entre le défunt et son avocat au moment de la destruction du testament était admissible. Il dit, à la p. 11:
[TRADUCTION] . . . puisqu'il est essentiel en l'espèce de découvrir l'intention du testateur au moment où il a détruit le testament, c'est-à-dire s'il révoquait son testament sans condition ou s'il ne faisait que le déchirer afin de redonner effet à un testament antérieur, tout le débat se circonscrit autour de cette question et il me semble que la cour, si elle faisait jouer le privilège du client, après son décès, ne pourrait plus dès lors déterminer l'intention qu'avait le testateur au moment où il a déchiré le testament. Dans l'intérêt de la justice, il est plus important de découvrir l'intention véritable du testateur.
En l'espèce, les intimés soutiennent qu'aucune analogie ne peut être établie entre ces affaires de testament et le cas qui nous occupe. Je ne suis pas d'accord. Par leur argument, ils affirment implicitement que la common law n'a reconnu jusqu'à présent qu'une "exception" à la règle générale du caractère privilégié des communications entre l'avocat et son client, et ce, en matière de signature, de teneur ou de validité des testaments et seulement des testaments. Leur argument rappelle l'époque où la compartimentation était de mise au chapitre des règles de preuve. Or, il n'en est plus ainsi, à mon sens. La tendance à la rationalisation de la façon d'aborder les questions d'admissibilité peut être observée autant au pays qu'à l'étranger (voir, par exemple, au Canada, Ares c. Venner, 1970 CanLII 5 (C.S.C.), [1970] R.C.S. 608 (ouï-dire), et R. c. Khan, 1990 CanLII 77 (C.S.C.), [1990] 2 R.C.S. 531 (ouï-dire), et au Royaume-Uni, Director of Public Prosecutions v. Boardman, [1975] A.C. 421 (H.L.) (fait similaire)); c'est une tendance qu'il y a lieu d'encourager, selon moi.
À mon avis, les considérations qui justifient l'admissibilité des communications entre l'avocat et son client en matière de testament s'appliquent avec la même force en l'espèce. Le principe général qui justifie la protection de ces communications est respecté. Les intérêts de la cliente maintenant décédée sont servis, en ce sens que l'admission du témoignage a précisément pour but d'établir ses intentions véritables. Et en faisant porter l'examen sur l'identité des héritiers ou ayants droit légitimes de la défunte, l'on respecte le principe qui veut que l'on étende le privilège à ses héritiers ou ayants droit. En résumé, pour reprendre les mots du juge Anderson de la Cour des successions dans l'affaire Re Ott, précitée, il y va de "l'intérêt de la justice" d'admettre ce témoignage. »
[21] L'auteur, Paul-Yvan Marquis, dans son traité de droit civil, dit aux para 292 et 298 que le secret professionnel ne saurait couvrir la fraude, le crime et la malhonnêteté, bref, qu'il ne constitue pas un "asile d'impunité" :
« 292. Il y a encore d'autres cas bien reconnus où la relativité du secret notarial se manifeste. Il n'est pas difficile, en effet, d'imaginer que celui-ci est susceptible d'être parfois en opposition au bien commun. Nous croyons que la primauté doit alors être accordée à ce dernier. Il est bien admis que le secret professionnel ne saurait couvrir la fraude, le crime, et la malhonnêteté. On l'a écrit avec justesse, le secret professionnel n'est pas un "asile d'impunité".
298. Plusieurs conséquences semblent découler de cette norme que le secret professionnel est personnel à celui qui se confie. Une première assez manifeste à l'effet que le secret ne saurait être opposé au bénéficiaire. Une deuxième voulant que ce dernier, expressément ou tacitement, ait, comme nous l'avons indiqué ci-dessus, le droit de délier partiellement ou totalement le notaire de son obligation au silence. Cette renonciation unilatérale est facilement conciliable avec l'opinion que le secret professionnel ne prend pas sa source dans un contrat de dépôt. En outre, il semble bien que le devoir de conseil ne devrait pas être nécessairement alors absent. Souvent, en effet, le notaire sera plus en mesure que son client d'apprécier avec justesse l'opportunité, l'amplitude et les conséquences d'une pareille divulgation. » (nos soulignements)
[22] L'approche américaine semble être au même effet. En effet, la Cour suprême des Etats-Unis dans Swidler & Berlin v. United States, à la page 6 :
« Such testamentary exception cases consistently presume the privilege survives. […] The view testamentary [8405] disclosure of communications as an exception to the privilege: "The general rule with respect to confidential communications… is that such communications are privileged during the testator's lifetime and, also, after the testator's death unless sought to be disclosed in litigation between the testator's heirs." Osborn, 561 F.2d at 1340. The rationale for such disclosure is that it furthers the client's intent.
[…]
Where the exoneration of an innocent criminal defendant or a compelling law enforcement interest is at stake, the harm of precluding critical evidence that is unavailable by any other means outweighs the potential disincentive to forthright communication. In my view, the cost of silence warrants a narrow exception to the rule that the attorney-client privilege survives the death of the client. Moreover, although I disagree with the Court of Appeals' notion that the context of an initial client interview affects the applicability of the work product doctrine, I do not believe that the doctrine applies where the material concerns a client who is no longer a potential party of adversarial litigation. » (Nos soulignements)
[23] Dans R. c. Jack, une affaire où la poursuite voulut mettre en preuve des conversations entre la victime et son avocat juste avant sa disparition, l'accusé était le mari de la victime décédée, la Cour d'appel du Manitoba dit ceci du privilège client‑avocat à la page 90 :
« …Relying on the emphasized passage above, the accused concedes that the privilege exists in favour of the client (Christine Jack), but asserts that it can be invoked by anyone whose interests might be adversely impacted by the disclosure. Further support is found by the accused in R. v. Solosky reflex, (1979), 50 C.C.C. (2d) 495, 105 D.L.R. (3d) 745, [1980] 1 S.C.R. 821, where Dickson J. (as he then was) referred to the privilege existing "out of regard to the interests of justice".
In my opinion, the accused's position is not tenable. In this case the person in whose favour the privilege exists is alleged to have been killed by the very person who claims to benefit from the privilege. It is clearly in the best interests of Christine Jack, and in the "interests of justice", that the privilege be waived as it was in this case by her lawyer.
The basic rule is that the claim to privilege can only be made by the person whose privilege it is: see Wigmore on Evidence (McNaughton rev. 1961), vol. 8, p. 111, 2196:
It follows that the claim of privilege can be made solely by the person whose privilege it is. The privilege (as the common phrasing runs) is purely personal to himself. Whether he chooses to permit disclosure without objection, or whether he prefers to exercise the exemption which the law concedes to him, is a matter resting entirely between himself and the state (or the court as its representative). The party against whom the testimony is brought has no right to claim or to urge the exemption on his own behalf.
In McCormick on Evidence, 2nd ed. (1972), it is noted at p. 192 that, "the privilege is not designed to protect the fact-finding process but is intended to protect some 'outside' interest", namely, a party to legal proceedings. The privilege does not arise as a result of some undefined duty to the court. Bell v. Smith, supra, simply stands for the proposition that a court will not knowingly allow a solicitor to act in breach of a duty to a client when the information will clearly be used against the interests of the client. The underlying basis of the rule as to solicitor-client privilege is public policy favouring candour between lawyers and their clients. It is a privilege which the client alone has the power to invoke except in extraordinary circumstances such as here when the client is not available. It cannot be invoked by a party whose interest in the proceedings is manifestly contrary to that of the client.
The Supreme court of Canada in admitting communications between a deceased person and her solicitor in Geffen v. Goodman Estate 1991 CanLII 69 (S.C.C.), (1991), 81 D.L.R. (4th) 211 at p. 235, [1991] 5 W.W.R. 389, 80 Alta. L.R. (2d) 293, said per Wilson J.:
[…]
With respect to other heads of privilege, the courts have recently shown a tendency to allow evidence to be introduced in "the interests of justice" where the benefit to the administration of justice clearly outweights in importance any public interest that might be protected by upholding the claim for privilege: see, for example, Bergwitz v. Fast 1980 CanLII 392 (BC C.A.), (1980), 108 D.L.R. (3d) 732, 18 B.C.L.R. 368, 1 A.C.W.S. (2d) 180 (B.C.C.A.); Hamulka v. Golfman reflex, (1985), 20 D.L.R. (4th) 540, [1985] 5 W.W.R. 597, 35 Man. R. (2d) 189 (C.A.), and Merrill Lynch v. Granove, reflex, [1985] 5 W.W.R. 589, 35 Man. R. (2d) 194, 33 A.C.W.S. (2d) 18 (C.A.) this is exactly what was done, albeit in the interests of the accused, in Dunbar and Logan, supra, relied on by the trial judge.
I have no difficulty in concluding in the circumstances of this case that if the evidence of the lawyer strayed into communications of a confidential nature, it was in the interests of both the client, Christine Jack, and the administration of justice that the communications in question be admitted in evidence. »
[24] De plus, l'article 37 du Code de déontologie des notaires mentionne que le notaire ne doit pas, à moins que la nature du cas ne l'exige, révéler qu'une personne a fait appel à ses services.
[25] Le Tribunal considère que la nature du cas est précisément de celle qui exige la levée du privilège. En effet, le privilège ne saurait être invoqué par une personne dont on a des motifs raisonnables et probables de croire qu'elle a attenté aux jours du testateur. D'ailleurs, l'article 620 du C.c.Q. édicte qu'est indigne de succéder celui qui est déclaré coupable d'avoir attenté à la vie du défunt.
[26] Il en va donc de l'intérêt public. La société ne saurait accepter qu'une personne, dans une telle situation, puisse se retrancher derrière le privilège notarial.
[27] L'exception testamentaire prend tout son sens dans la présente affaire. L'intention du testateur est au cœur du présent litige.
[28] De plus, le notaire n'a pas contrevenu au privilège en dévoilant l'existence d'un projet de testament à l'enquêteur, puisque la nature même de cette information constituait une exception.
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