mercredi 13 avril 2011

Revue de la jurisprudence applicable sur les délinquants dangereux par la Cour d'appel

R. c. Boyer, 2006 QCCA 1091 (CanLII)

[51] Il est approprié de prendre en considération les circonstances de la perpétration de l’infraction sous-jacente : paragr. 753.1 b) C.cr. et R. c. Currie, 1997 CanLII 347 (C.S.C.), [1997] 2 R.C.S. 260. Elles peuvent démontrer notamment que l’état de l’accusé s’améliore ou se dégrade. En l’espèce, par exemple, la juge pouvait croire que, vu sa gravité relative par rapport aux condamnations antérieures, l’infraction sous-jacente démontrait une amélioration de l’état de l’intimé. Par contre, elle pouvait aussi croire que sa perpétration, survenue deux semaines après un d’emprisonnement de 11 ans et après avoir souscrit un engagement de garder la paix, démontrait une détérioration de son état. Le rôle d’une cour d’appel ne consiste pas à revenir sur de telles conclusions de fait. Par contre, l’intervention de la Cour se justifie, ici, parce que la juge de première instance a limité indûment son analyse à cette seule question (outre l’impossibilité de rejeter l’hypothèse d’une ultime tentative, sujet auquel je m’attarderai plus loin), ne tenant pas compte tant de la preuve disponible que des principes de droit applicables.

[52] En réalité, la seule conclusion que la juge tire des circonstances de l’infraction sous-jacente c’est que l’on ne peut affirmer, à partir de cette seule preuve, qu’il s’agissait d’un début d’escalade d’infractions de nature sexuelle. Ce n’était donc pas une preuve susceptible de démontrer que le risque pouvait être assumé par une déclaration de délinquant à contrôler; c’était tout simplement un constat que les circonstances de l’infraction sous-jacente ne démontraient pas, par elles-mêmes, qu’elle était la première d’une série d’infractions que l’intimé aurait pu commettre s’il n’avait pas été arrêté. Comme la juge admettait déjà que l’intimé remplissait, de toute façon, les conditions pour être déclaré délinquant dangereux, son constat n’apportait rien pour solutionner la question en litige et ne pouvait sûrement pas démontrer l’existence d’une possibilité réelle que le risque pouvait être maîtrisé dans la collectivité.

[53] Comme le dit le juge en chef Lamer dans R. c. Currie, précité, les circonstances de la perpétration de l’infraction sous-jacente ne constituent pas toujours un élément déterminant. Il ajoute :

Je ne puis imaginer que le législateur ait voulu que les tribunaux attendent qu’un individu manifestement dangereux, indépendamment de la nature de ses antécédents criminels et du poids des opinions d’experts quant à sa dangerosité potentielle, commette un crime particulièrement violent et cruel avant de pouvoir le déclarer délinquant dangereux.

[54] Les circonstances de la perpétration de l’infraction sous-jacente, qui demeure, je le rappelle, une infraction grave puisqu’il s’agit d’une agression sexuelle, ne peuvent, en l’espèce, constituer un élément de preuve pouvant supporter la conclusion ultime de la juge de première instance. Une telle conclusion, aucunement fondée sur la preuve, constitue une erreur de droit.

[55] La preuve du ministère public n’a pas été contredite et aucun expert n’a témoigné en défense. Il est vrai que le juge de première instance n’est pas lié par l’opinion d’un expert. Par contre, cette opinion est particulièrement pertinente et importante dans le cadre d’un tel débat. De plus, la juge a retenu son opinion quant au risque élevé de récidive.

[56] Si la sœur et le frère de l’intimé ont émis l’opinion qu’il n’est pas dangereux, cela ne saurait constituer une preuve susceptible de contredire celle de la poursuite. D’ailleurs, la juge de première instance ne le prétend pas.

[57] Après avoir dit partager les inquiétudes de la psychiatre quant au risque de récidive et sans expliquer son cheminement ni motiver sa conclusion, elle estime néanmoins qu’elle ne peut conclure qu’une ultime tentative doit être écartée. Autrement dit, elle ne peut rejeter la possibilité que l’on tente d’abaisser le niveau de risque à un niveau acceptable par une déclaration de délinquant à contrôler. Avec égards, aucun élément de preuve ne permet de croire que l’on puisse ainsi abaisser le niveau de risque que représente l’intimé.

[58] Je suis d’avis que la juge de première instance a erré en droit en omettant de s’interroger sur l’existence d’une preuve pouvant appuyer la conclusion qu’il existe une possibilité réelle que le risque pourra être maîtrisé au sein de la collectivité et en omettant de tenir compte des objectifs de la loi en matière de détermination de la peine et plus particulièrement de la loi en matière de délinquants dangereux et à contrôler, c’est-à-dire la protection de la société.

[59] L’appelante plaide que l’opinion de la juge constitue tout au plus l’expression «d’un simple vœu pieux, qui va à l’encontre de la raison même de l’existence de l’article 753 du Code criminel». Je suis d’accord avec ce point de vue. Un tel acte de foi n’est pas supporté par la preuve. Une telle conclusion, fondée sur un simple espoir, qui ne repose pas sur la preuve, ne peut être considérée comme le résultat de l’exercice judiciaire d’une discrétion. Comme l’écrit le juge Feldman dans R. c. McCallum, 2005 CanLII 8674 (ON C.A.), (2005) 201 C.C.C. (3d) 541 (C.A. Ont.) : «I agree with the submission made by the appellant that the evidence in this case amounted to no more than a hope that the respondent would either be amenable to treatment or that, if amenable, he would be treatable within a definite period of time». Il n’y a, en l’espèce, aucune base pouvant supporter l’assertion que le risque que représente l’intimé puisse être abaissé à un niveau acceptable. Comme le souligne le juge Esson, dans R. c. M.(J.S.), 2003 BCCA 66 (CanLII), (2003) 173 C.C.C. (3d) 75 (C.A. Sask.), un simple espoir ne suffit pas; la preuve doit permettre de croire qu’il existe «a realistic prospect of management of the risk in the community».

[60] La juge de première instance a estimé ne pas être en mesure de conclure qu’une ultime tentative devait être écartée. À mon avis, ce n’est pas le test prévu par la loi puisque l’impossibilité d’exclure une ultime tentative peut être présente dans bien des cas où, néanmoins, la sécurité du public exige que l’on rejette cette alternative au profit d’une déclaration de délinquant dangereux. Le test élaboré par la juge de première instance contrecarre les objectifs de la loi en rendant presque insurmontable le fardeau de la poursuite.

[61] Dans R. c. Dagenais, 2003 ABCA 376 (CanLII), (2004) 181 C.C.C. (3d) 332 (C.A. Alta), au paragr. 91, le juge Wittmann, confronté à une situation analogue, écrit :

In exercising his discretion to not impose a dangerous offender designation, the sentencing judge considered the possibility of treatment, albeit remote, to be an absolute bar to a dangerous offender designation. This is an error of law because he applied the wrong test to exercise his discretion.

[62] Ces propos s’appliquent au présent appel. Aucun élément de preuve ne supporte la croyance que les succès hypothétiques et aléatoires d’une ultime tentative permettront de protéger le public. Il s’agit tout au plus d’une conjecture.

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