R. c. C.S., 2011 QCCQ 4887 (CanLII)
[56] Pour que la responsabilité criminelle d'une personne ne soit pas engagée au sens de l'article 16 du Code criminel, les troubles mentaux, présents lors de la commission des délits, doivent rencontrer des conditions spécifiques.
[57] C'est en ces termes que l'auteur Hugues Parent, dans Traité de droit criminel s'exprime :
« Pour être exonératoire, l'aliénation mentale suppose donc la réunion des deux conditions impératives que sont : (1) la présence d'un trouble mental chez l'accusé; trouble auquel s'ajoute (2) une incapacité de juger de la nature et de la qualité de l'acte ou de l'omission, ou de savoir que l'acte ou l'omission était mauvais. Si la première condition s'intéresse à l'origine du déséquilibre psychique observé chez le malade, la seconde porte quant à elle sur l'incapacité nécessaire afin de bénéficier de l'exemption de responsabilité prévue aux termes de l'article 16 du Code criminel. »
[58] Traitant de la définition juridique des troubles mentaux en droit pénal, l'auteur Parent écrit à ce propos :
« Comme l'affirme le juge Martin dans l'arrêt Rabey c. La Reine, le terme « « maladie mentale » [ou trouble mental] est une expression juridique, non une expression du vocabulaire médical; bien que ce soit une notion juridique, elle renferme un élément médical important ainsi qu'un élément juridique ou d'ordre public ». Cet élément médical, précise le juge Martin, n'est pas sans importance ni signification; il s'agit généralement d'une opinion sur l'étiologie, les signes et les symptômes de la maladie ainsi que sur la manière de qualifier l'état psychique en médecine. Malgré la valeur incontestable de l'expertise psychiatrique, la qualification juridique des troubles mentaux est une question de droit qui relève exclusivement des tribunaux. En effet, s'il appartient au psychiatre de décrire l'état mental de l'accusé et d'exposer ce qu'il implique du point de vue médical, il appartient au juge de décider si l'état est compris dans l'expression « maladie mentale ». » (p. 101)
[59] Dans une récente décision rendue le 19 mars 2010, Mme la juge Lucille Chabot, Cour du Québec, dans l'affaire La Reine c. A…I..., procède à une analyse précise des conditions donnant ouverture à l'exonération de la responsabilité criminelle d'une personne atteinte de troubles mentaux, selon l'article 16 du Code criminel.
[60] À cet égard, il importe de citer textuellement les paragraphes 62 à 66 de sa décision :
« A. Incapacité de juger de la nature et de la qualité de l'acte
[62] Les auteurs écrivent :
Il semble donc que l'emploi du terme "juger" exige quelque chose de plus que la simple connaissance des qualités physiques de l'acte. Le prévenu doit être capable de percevoir les conséquences matérielles, l'impact et les résultats de son action physique. Il doit, en d'autres termes, être conscient de la signification de sa conduite tant sur le plan émotionnel que sur le plan intellectuel. Comme l'a souligné le juge Fish dans l'arrêt Charest c. La Reine (1990 CanLII 3425 (QC CA), [1990] 76 C.R. (3d) 63, 57 C.C.C (3d) 312 (C.A. Qué.)), la capacité de juger ou d'apprécier :
[…] involves a higher level of understanding or recognition than 'knowledge'. It connotes elements of insight and of foresight. The first arm of s. 16 (2), in short requires 'an appreciation of the factors involved in the act and a mental capacity to measure and foresee the consequences of the violent conduct.
[63] Il faut donc savoir si l'accusé pouvait juger des conséquences qu'engendre l'acte qu'il a posé pour déterminer s'il est affecté de troubles mentaux. L'évaluation du premier critère de l'article 16 C.cr. repose sur la capacité de l'individu d'apprécier les conséquences matérielles de ses actes.
B. L'incapacité de savoir que l'acte était mauvais
[64] Hugues Parent, dans le Traité de droit criminel, sur la question de décider de l'orientation de la défense de l'aliénation mentale, écrit :
Sur ce point, la Cour suprême oscille puis incline en faveur d'une approche qui, tout en reconnaissant l'importance de la capacité intellectuelle de distinguer le bien du mal, met l'accent sur le discernement moral de l'accusé. Exprimant son opinion au nom de la majorité, la juge McLachlin affirme, dans l'arrêt R. c. Oommen (1994 CanLII 101 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 507 ) :
Il faut examiner non pas la capacité générale de distinguer le bien du mal, mais plutôt la capacité de savoir qu'un acte donné était mauvais dans les circonstances. L'accusé doit avoir la capacité intellectuelle de distinguer le bien du mal au sens abstrait.
Cependant, il doit aussi avoir la capacité d'appliquer rationnellement cette connaissance à l'acte reproché.
[65] Plus loin, l'auteur écrit :
La responsabilité pénale, avons-nous dit, repose sur la présence d'un acte volontaire. Or, l'acte volontaire suppose un choix qui implique lui-même la notion de jugement rationnel. Donc l'aliénation mentale, en détruisant la faculté de juger de façon rationnelle et donc de faire un choix rationnel quant au caractère bon ou mauvais de l'acte, éclipse l'acte volontaire à la source de la responsabilité pénale.
[66] Il est clair et constant, tant en jurisprudence qu'en doctrine, qu'une maladie mentale au plan médical n'est pas nécessairement reconnue à titre de troubles mentaux disculpatoires au plan pénal. Une personne peut être affectée d'une condition mentale permanente qui n'entache pas sa responsabilité pénale. De même, quelqu'un peut être atteint, de manière tout à fait temporaire, d'une affection telle qu'elle fasse jouer l'application de l'article 16 du Code criminel. »
[61] Aux termes de la définition juridique des troubles mentaux, l'auteur précité Hugues Parent conclut ainsi après analyse de la jurisprudence pertinente :
« Si la présence d'une pathologie affectant la raison du sujet est nécessaire afin de constater la présence d'une maladie ou d'un trouble mental, encore faut-il que cette condition ne soit pas l'expression de la volonté de l'agent (p. ex.: intoxication) ou d'un état transitoire comme l'hystérie ou la commotion. Cette liste, de toute évidence, n'est ni exhaustive ni permanente. Son profil est appelé à évoluer au gré des tendances médicales et des courants jurisprudentiels. Vingt ans plus tard, il est possible d'affirmer sans trop se tromper, que la définition des troubles mentaux contenue à l'article 16 du Code criminel comprend généralement tout trouble, toute affection, toute pathologie qui affecte la raison et son fonctionnement à l'exclusion des états volontairement provoqués par l'alcool et les stupéfiants (ne pas inclure ici cependant la psychose toxique) et des états d'inconscience momentanés comme la commotion cérébrale, l'accès de panique, l'hypoglycémie, le somnambulisme et les tumeurs cérébrales. Dans la mesure où ces trois dernières affections traduisent une altération des fonctions cérébrales, il est fort possible que celles-ci donnent lieu, dans certaines circonstances, à un verdict d'automatisme avec aliénation mentale. » (p. 103, 104)
[63] Aux paragraphes 22 et 23 de sa décision, il écrit :
« [22] Selon les prétentions du procureur du défendeur, M. P... était atteint de troubles mentaux qui le rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de ses actes à cause de sa maladie bipolaire. Dans l'arrêt Cooper c. La Reine (1980 1R.C.S. 1149), le juge Dickson, rendant jugement pour la majorité, énonça ce qu'impliquait ce critère:
Avec égards, j'accepte l'opinion qu'en employant le mot "juger", la première partie du critère introduit une exigence qui s'ajoute à la simple connaissance de la qualité matérielle de l'acte. L'exigence, propre au Canada, est celle de la perception, une capacité de percevoir les conséquences, les répercussions et les résultats d'un acte matériel. Un accusé peut être conscient de l'aspect matériel de son acte (c.-à-d., la strangulation) sans nécessairement pouvoir juger que, par sa nature et sa qualité, cet acte [page1163] entraînera la mort d'un être humain. (par 23)
[23] Ce principe fut repris notamment par les arrêts Kjeldsen c. La Reine (1981 2 R.C.S. 617), R. c. Abbey (1982 1 R.C.S. 24) et R. c. Landry (1991 1 R.C.S. 99) où le juge Lamer conclut ainsi:
Conformément aux arrêts Cooper c. La Reine, [page109] précité, Kjeldsen c. La Reine, 1981 CanLII 218 (CSC), [1981] 2 R.C.S. 617, et R. c. Abbey, 1982 CanLII 25 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 24, la première partie du critère du par. 16(2) protège l'accusé qui, en raison d'une maladie mentale, était incapable de juger les conséquences matérielles de son acte. »(p. 108-109)
[69] Chaque cas doit donc être analysé à son mérite en prenant en compte les faits et les circonstances spécifiques, à la lumière des principes de droit qui doivent guider le Tribunal.
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