vendredi 8 février 2013

La notion de l’intérêt public dans le cadre d'une absolution

R. c. Blais, 2013 QCCS 25 (CanLII)

Lien vers la décision

[130] Les balises à considérer dans l’application de l’article 730 (1) sont claires. Les conséquences d’une absolution sont également claires. L’accusé évite la honte ou l’opprobre qui se rattachent à une condamnation. La loi présume que l’accusé n’a pas été condamné pour l’infraction en question. En théorie et en droit strict l’absolution est disponible pour toute infraction punissable par une période d’emprisonnement de moins de 14 ans et pour laquelle le Code criminel ne prescrit aucune peine minimale.

[131] Comme la Cour d’appel l’a dit dans R. c. Scheper, [1986] 5 QAC 270, l’art. 730 ne constitue pas une mesure exceptionnelle qui ne doit être accordée que dans les cas exceptionnels. L’absolution est une des sanctions prévues au Code criminel et le juge peut l’accorder dans les cas appropriés, dans la mesure où les conditions de l’art. 730 sont remplies.

[132] La décision de l’octroyer se fera sur une base individualisée en prenant en considération toutes les balises applicables à la détermination de la peine avec, enfin, une considération approfondie des intérêts du délinquant et de l’intérêt public.

[134] Il a été bien établi qu’aucun accusé n’est obligé de témoigner lors de l’audition sur la détermination de la peine. Je suis d’avis cependant que si un individu cherche la sentence la plus clémente prévue par la loi, il est dans l’obligation morale de satisfaire le juge personnellement qu’il rencontre les critères que ce dernier est dans l’obligation de peser. Il doit démontrer qu’il mérite une absolution. La preuve est faible à ce sujet.

[137] Le juge Cournoyer et Me Ouimet, dans leur Code criminel annoté 2013, sous la rubrique de l’article 730 résument cette décision dans les termes suivants. Leur résumé servira aux fins de cette décision :

« R. c. Rozon, [1999] R.J Q 805, REJB 1999-11797, [1999] J Q. no. 752 (C S.) - Il y a lieu d'accorder une absolution inconditionnelle lorsque l'accusé s'est reconnu coupable d'une agression sexuelle d'une gravité relativement faible, n'a pas d'antécédents judiciaires, a fait l'objet d'une couverture médiatique humiliante, et s'il est possible qu'une condamnation entraîne des conséquences particulièrement négatives. L'article 730 a un caractère égalitaire qui vise à empêcher qu'un accusé subisse des conséquences disproportionnées par rapport à tous ceux qui se sont rendus coupables du même délit : il ne s'applique pas uniquement à ceux qui jouissent d'un statut social privilégié. Le refus d'accorder cette mesure pourrait même aller à l'encontre de l'intérêt public si cela entraîne des pertes d'emplois reliées à l'entreprise de l'accusé en raison de son incapacité à aller aux États-Unis, et empêche celui-ci de subvenir aux besoins de sa famille. La confiance du public dans le système judiciaire doit s'apprécier en fonction d'une personne raisonnable et renseignée, qui ne fonde pas son opinion sur la couverture médiatique du procès. Le juge qui siège en appel peut intervenir si la décision n'est pas suffisamment motivée, et s'il est vraisemblable que l'absolution a été refusée en raison de la nature de l'infraction, ce qui constitue une erreur de principe. »

[138] Disons d’emblée que je suis entièrement en accord avec la disposition à laquelle le juge Béliveau est arrivée dans l’affaire Rozon. Ceci dit, j’ajoute que je ne partage pas entièrement son raisonnement sur la notion de l’intérêt public. Je dois au juge Béliveau le plus grand respect et déférence par rapport à son opinion sur les bornes de cette notion. Je ne suis cependant pas obligé à souscrire à son raisonnement sur toute la ligne de façon aveugle.

[139] Les dispositions du Code criminel qui régissent la détermination de la peine y compris l’article 730 ont un caractère égalitaire comme l’a écrit le juge Béliveau. Pour ma part j’emploie le mot « égalitaire » au sens que, dans la mesure du possible, les effets néfastes ou punitifs d’une condamnation ne devraient pas être plus sévères pour un accusé que pour un autre. La deuxième dimension de la notion égalitaire est que, dans les cas où c’est réalisable, les conséquences de la punition ne devraient pas être hors de proportion par rapport avec l’importance de l’infraction en question.

[140] Il faut garder à l’esprit la distinction entre l’intérêt public et l’intérêt de l’accusé. Lorsqu’on considère l’intérêt de l’accusé, la question de son licenciement potentiel est sans doute une question d’importance. Encore une fois, dans le contexte de l’article 730 du Code criminel, les deux facteurs de l’intérêt de l’accusé et l’intérêt public devront être mis dans la balance et pesés avec soin.

[141] Si le juge Béliveau a élargi la notion de l’intérêt public, le premier juge a également ajouté à cette notion certaines facettes qui ont eut pour effet de ramollir ou diluer son importance dans la détermination de la peine. De prime abord, l’intérêt public dans la cause sous étude comprend de nombreux facteurs d’une importance variable. Les plus saillants cependant sont ceux qui ont pour objet de protéger le public, dénoncer la conduite en question, dissuader d’autres personnes qui seraient tentées d’agir de la même manière, d’exprimer la désapprobation de la collectivité, et enfin de traiter la question de rétribution. La question des effets potentiels pour l’entreprise et les coûts additionnels qui seront encourus advenant le cas où l’intimé soit licencié ne méritent pas d’être pris en considération. Au milieu de paragraphe 52, le juge s’exprime ainsi : « Le fait que l'accusé soit une occasion de meilleure rentabilité face aux compétiteurs de son entreprise n'est pas sans importance. Il est vrai que cela contribue à la viabilité financière de l'entreprise et au maintien des emplois. » C’est là ou « le bât blesse ».

[142] Généralement, les conséquences potentielles pour une entreprise et pour ses employés suite au licenciement d’un employé, même un employé-clé, comme conséquence d’une condamnation criminelle sont à mon avis des facteurs trop éloignés ou indirects. Sur cette question très étroite je me sens obligé, avec égards, d’adopter un point de vue plus conservateur. D’ailleurs, il n’y a rien dans la preuve dans la cause sous étude pour étayer la conclusion que le licenciement de l’intimé n’entraînerait rien d’autres que des inconvénients et certains coûts additionnels pour la compagnie. Rien du tout !

[143] À l’alinéa 60 de sa décision le juge reproduit un extrait du Traité Général de Preuve et de Procédure pénale, 17e édition, Éditions Thémis, par les juges Béliveau et Vauclair, où ils précisent que le juge doit aussi tenir compte du fait qu’il n’est pas dans l’intérêt public que l’accusé perde son emploi et ne puisse assurer sa subsistance et celle de sa famille. C’est une position qui a été affirmée par la Cour d’appel du Québec dans R. c. Corbeil-Richard, [2009] QCCA 1201. J’ajoute que les juges Béliveau et Vauclair ont pris soin de préciser que généralement une ordonnance d’absolution est prononcée lorsque les circonstances de l’infraction présentent peu de gravité alors que les conséquences d’une condamnation pourraient s’avérer très sérieuses. C’est une qualification importante que le premier juge semble avoir écartée ou perdue de vue.

[144] L’intérêt public devrait être considéré à la lumière des faits délictuels commis par l’intimé et les conséquences d’un tel comportement pour la sécurité et le bien-être de la collectivité. Bien sûr, c’est dans l’intérêt public et dans la mesure du possible que quelqu’un ne soit pas privé de son emploi et de sa capacité de pourvoir aux besoins financiers de lui-même ou de sa famille. Si les tribunaux supérieurs ont décidé qu’un tel état d’affaires mérite considération sous la rubrique d’intérêt public dans la détermination de la peine, sa place sur l’échelle d’importance sera variable selon les circonstances.

[145] Je crois que l’approche qui s’applique à la cause sous étude est celle énoncée par la Cour d’appel dans R. c. Corbeil-Richard, (supra). Je m’adonne encore une fois au résumé du juge Cournoyer et Me Ouimet pour lequel je les remercie :

« R. c. Corbeil-Richard, EYB 2009-160449, 2009 QCCA 1201 (CanLII), 2009 QCCA 1201 - L'intérêt de l'accusé présuppose que ce dernier est une personne de bon caractère qui n'a généralement pas d'antécédents judiciaires et qui ne présente pas de problème en matière de dissuasion spécifique et de réhabilitation. La présence d'une autre absolution au dossier, même pour une infraction commise postérieurement, devra être prise en considération et mènera généralement au refus d’une deuxième absolution. L'existence d'antécédents judiciaires n'exclut pas le recours à l'absolution dans la mesure où le Code criminel ne prévoit pas le contraire. Quant à l'intérêt public, il s'évalue, entre autres, par la gravité de la conduite et son incidence dans la collectivité, par le besoin de dissuasion générale et, enfin, par l’importance de maintenir la confiance du public dans l'administration de la justice. À cet égard, le fait que l’accusé ait tenté de tromper la cour lors de son témoignage milite contre l'octroi d'une absolution Le tribunal doit aussi tenir compte du fait qu'il n'est pas dans l'intérêt public que l'accusé perde son emploi et ne puisse assurer sa subsistance et celle de sa famille. Généralement, une absolution est accordée lorsque les circonstances de l’infraction présentent peu de gravité et que les conséquences d'une condamnation pourraient s'avérer très sérieuses. Il n’y a toutefois pas lieu d'interpréter l'art. 730 de manière restrictive ou exceptionnelle, le seul test étant l’équilibre entre les intérêts de la société et ceux de l'accusé. Il y a notamment déséquilibre entre ces intérêts lorsque la loi prévoit que, en cas de condamnation criminelle, un individu devient inhabile à exercer un métier ou une profession. »

[146] Lors de sa considération de la notion de l’intérêt public le premier juge, à l’alinéa 65 de sa décision, a écrit ce qui suit :

« [65] L'appréciation de la qualification de ce qu'est l'intérêt public dans un cas précis doit aussi tenir compte du principe combien fondamental de la proportionnalité appliqué aux faits de l'instance jugée. Plus l'infraction est objectivement et subjectivement grave et plus le degré de responsabilité d'un infracteur est élevé, plus ce sera nuire à l'intérêt public d'octroyer une absolution. »

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