Dumont c. R., 2013 QCCA 576 (CanLII)
Lien vers la décision
[12] Toutefois, même si la juge n'était pas liée par la suggestion commune, elle ne pouvait l'écarter que « si elle est déraisonnable, contraire à l'intérêt public ou susceptible de déconsidérer l'administration de la justice ». Comme l'explique le juge Fish, alors à la Cour d'appel, dans l'arrêt Verdi-Douglas c. R. , ces différentes formules se recoupent sous le critère du caractère raisonnable de la suggestion commune :
[51] In my view, a reasonable joint submission cannot be said to "bring the administration of justice into disrepute". An unreasonable joint submission, on the other hand, is surely "contrary to the public interest". Accordingly, though it is purposively framed in striking and evocative terms, I do not believe that the Ontario standard departs substantially from the test of reasonableness articulated by other courts, including our own. Their shared conceptual foundation is that the interests of justice are well served by the acceptance of a joint submission on sentence accompanied by a negotiated plea of guilty - provided, of course, that the sentence jointly proposed falls within the acceptable range and the plea is warranted by the facts admitted.
[Références omises.]
[13] Nos tribunaux reconnaissent à la suggestion commune issue d'une négociation rigoureuse entre le ministère public et l'accusé une « force persuasive certaine », qui vise à assurer à l'accusé que la recommandation commune obtenue en échange de son plaidoyer de culpabilité sera respectée par le juge chargé de déterminer la peine, pourvu qu'elle soit raisonnable. Certes, il ne s'agit pas d'une règle formelle, mais plutôt d'une politique judiciaire nécessaire en vue d'encourager la négociation des plaidoyers de culpabilité, qui joue un rôle essentiel au sein de l'institution pénale.
[15] Il est bien établi qu'en présence d'une suggestion commune issue d'un plaidoyer de culpabilité, « l'exercice en appel ne consiste pas à se demander si la peine imposée par le juge de première instance est raisonnable, mais de déterminer si la suggestion commune est déraisonnable, inadéquate, contraire à l'intérêt public ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice ».
[16] Il nous faut donc tout d'abord évaluer si la suggestion commune est raisonnable.
b) Le caractère raisonnable de la suggestion commune
[18] Plusieurs facteurs atténuants militent au surplus en faveur d'une peine propice à la réhabilitation de M. Dumont : sa jeunesse, l'accalmie de son comportement criminel au cours des 18 mois précédant le prononcé de la peine, sa présence assidue à ses séances de thérapie, à ses travaux compensatoires et à ses rendez-vous probatoires, la rupture des liens avec ses anciennes fréquentations indésirables, sa reconnaissance des conséquences néfastes de sa consommation de drogue, la diminution de cette consommation, ses démarches, même timides, pour se trouver un emploi et sa volonté de reprendre ses études. Le tableau n'est certes pas tout blanc, M. Dumont faisant preuve comme l'a noté la juge d'une profonde immaturité et d'un manque de motivation flagrant, mais rien dans la preuve ne requiert son incarcération à tout prix.
[21] Dans l'ensemble, force est de conclure que la suggestion commune n'était pas déraisonnable.
[22] La juge décide toutefois de la rejeter, comme elle en aurait eu le droit, pourvu qu'elle s'en explique en démontrant que la suggestion est déraisonnable. Il y a lieu, donc, de nous attarder aux raisons ayant poussé la juge à écarter la suggestion commune.
c) Les motifs de rejet de la suggestion commune
[25] La Cour suprême énonce en effet dans R. c. Gladue que « [l]es objectifs correctifs ne concordent habituellement pas avec le recours à l'emprisonnement ». Elle le répète dans R. c. Proulx, qui concerne spécifiquement l'emprisonnement dans la collectivité :
22 La condamnation à l'emprisonnement avec sursis intègre certains aspects des mesures substitutives à l'incarcération et certains aspects de l'incarcération. Parce qu'elle est purgée dans la collectivité, la peine d'emprisonnement avec sursis permet généralement de réaliser plus efficacement que l'incarcération les objectifs de justice corrective que sont la réinsertion sociale du délinquant, la réparation des torts causés aux victimes et à la collectivité et la prise de conscience par le délinquant de ses responsabilités. […]
[26] Les auteurs Hugues Parent et Julie Desrosiers, reprenant les mots de la Cour suprême, insistent eux aussi, dans un ouvrage récent, sur l'inefficacité de l'emprisonnement ferme par rapport au sursis pour favoriser la réhabilitation des délinquants :
[…] Malgré toute la bonne volonté des réformateurs, la prison ne réhabilite pas ou très peu. Conscient de « l'incapacité générale de l'emprisonnement à assurer la réadaptation du délinquant et sa réinsertion sociale », le législateur a prescrit de nouvelles dispositions visant à favoriser l'atteinte de ces objectifs tout en évitant la disqualification du condamné. Aussi, « parce qu'elle est purgée dans la collectivité, la peine d'emprisonnement avec sursis permet généralement de réaliser plus efficacement que l'incarcération […] la réinsertion sociale du délinquant ».
[27] En rejetant l'emprisonnement dans la collectivité recommandé par les parties au motif que l'incarcération apprendra plus efficacement à M. Dumont à « marcher droit » et à « fonctionner correctement dans la société », la juge va à l'encontre d'une jurisprudence bien établie voulant que l'incarcération n'aide généralement pas le délinquant à corriger son comportement. Avec égards, il ne s'agissait donc pas d'une raison valable d'écarter une suggestion commune raisonnable dans le cas de M. Dumont.
[28] Une seconde raison pour laquelle la juge a décidé de rejeter la suggestion commune est sa conviction que M. Dumont ne respectera pas les conditions de son sursis. On comprend du déroulement des audiences que cette conviction repose sur l'oisiveté et le peu d'effort que M. Dumont consacre à sa recherche d'emploi, principaux signes de son immaturité. Or, et cela dit avec respect, on ne peut inférer de ces facteurs que M. Dumont ne respectera pas les conditions de son sursis, sachant que ces conditions consistent principalement en une assignation à domicile, à la réalisation de travaux communautaires et à la continuation de ses traitements. Le second rapport présentenciel indique plutôt que M. Dumont se présente à ses rendez-vous et qu'il effectue des travaux communautaires au sein d'une fondation. Les indices que M. Dumont ne respecterait pas les conditions imposées n'étaient pas suffisants pour rendre la suggestion commune déraisonnable.
[29] Notons tout de même que ce constat ne signifie pas que la peine infligée par la juge est déraisonnable. Le caractère raisonnable de la peine infligée ne constitue cependant pas une raison de la confirmer, puisque « le fait que la peine imposée par le juge n'ait elle-même pas été déraisonnable ne suffit pas à justifier le rejet de la suggestion commune ».
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