lundi 13 mai 2013

Détermination de la peine: la présence de remords est un facteur atténuant, alors que son absence n'est pas un facteur aggravant

R. c. Perrier, 2013 QCCS 1658 (CanLII)

Lien vers la décision

[84] Il est bon de rappeler que la présence de remords est un facteur atténuant, alors que son absence n'est pas un facteur aggravant.

[85] Voici ce qu'a écrit le juge Doyon sur cette question dans R. c. Gavin :

[24] Le juge de première instance a retenu l'absence totale de remords de l'appelant comme une circonstance aggravante. Selon lui, cette absence de remords s'est manifestée par la décision de l'appelant d'invoquer la légitime défense alors que cette prétention était totalement dépourvue de vraisemblance.

[25] S'il est reconnu que les remords constituent un facteur atténuant qui, tout comme le plaidoyer de culpabilité, peut justifier une peine plus clémente, l'absence de remords est une question plus épineuse. L'auteur François Dadour écrit, dans De la détermination de la peine : principes et applications, LexisNexis Canada Inc., Markham, 2007, à la page 102 :

Si les remords et les regrets du contrevenant sont clairement un facteur atténuant, cela ne signifiera pas nécessairement que leur absence sera un facteur aggravant. Bien que l'on retrouve, dans la jurisprudence, diverses conclusions à l'effet que le contrevenant n'affiche aucun remords, il demeure généralement reconnu que l'absence de remords simpliciter n'est pas nécessairement un facteur aggravant.

[26] La plupart des auteurs et la jurisprudence majoritaire de cette Cour considèrent que l'absence de remords ne peut constituer, en soi, un facteur aggravant pouvant justifier une peine plus sévère. […]

[27] En réalité, quoique l'absence de remords puisse être retenue contre un accusé qui recherche une peine plus clémente ou une peine avec sursis : […], notamment parce que cela peut démontrer qu'il y a peu d'espoir de réhabilitation et donc laisser subsister un risque de récidive : […], un tribunal ne peut reprocher à un accusé d'avoir exigé la tenue d'un procès ou de continuer à nier sa culpabilité, et encore moins lorsqu'un appel du verdict a été interjeté : […].

[28] Il faut également mentionner que la manière de conduire la défense n'est généralement pas pertinente à la détermination de la peine et ne peut constituer une circonstance aggravante pouvant autoriser une peine plus sévère que celle qui est autrement appropriée, qu'il s'agisse de menaces proférées à des témoins de la poursuite […].

[29] Force est donc de conclure que, même si certains arrêts retiennent l'absence de remords à titre de circonstance aggravante, la tendance majoritaire consiste à la considérer comme un élément neutre qui ne doit aucunement entraîner une peine plus sévère que celle qui serait autrement appropriée. De même, la mauvaise conduite de la défense ne saurait justifier une peine plus sévère puisque cela consisterait à punir l'accusé pour une infraction dont il n'a pas été reconnu coupable. Comme l'écrit le juge Rowles, dans R. v. Zeek, précité :

[22] It is well settled that the misconduct of an accused at trial cannot be treated as an aggravating factor attracting an additional sentence. That follows from the basic proposition that an accused person should not be sentenced for a crime with which he has not been charged and convicted.

[30] C'est également l'opinion exprimée par le juge Beauregard dans R. c. Beauchamp, précité :

[97] […] En effet, même si le juge jouit d'un pouvoir discrétionnaire pour compter en double le temps de la détention provisoire, je suis d'avis que le moyen utilisé par le juge fait que, comme en l'espèce, l'accusé est puni, non pas pour le crime qu'il a commis, mais pour le crime qu'il a commis et sa conduite abusive lors de l'instruction. Désirant contester en appel la conclusion du juge selon laquelle il se serait mal comporté lors de l'instruction, l'accusé ne pourrait exercer son droit d'appel qu'à l'intérieur d'un pourvoi contre la sentence. Cette façon de faire compliquerait la situation tant pour l'accusé que pour la Cour d'appel, laquelle, à l'intérieur d'un pourvoi contre une sentence, serait appelée à déterminer la «culpabilité» de la conduite répréhensible alléguée par le juge.

[86] Essentiellement, la poursuite reproche tant à M. Perrier qu'à M. Godler de continuer à nier leur culpabilité. Or, la jurisprudence est claire sur cette question, on ne peut reprocher à l'accusé d'avoir présenté une défense pleine et entière ou de maintenir sa version des faits.

[87] Dans l'arrêt R. c. Valentini, décision à laquelle réfère le juge Doyon dans Gavin, le juge Rosenberg écrit :

82 In my view, a court must be very careful in treating lack of remorse as an aggravating circumstance. A sincere expression of remorse can be an important mitigating factor and can reduce the sentence that might otherwise be imposed. Lack of remorse is not, ordinarily, an aggravating circumstance. It should only be considered aggravating in very unusual circumstances such as where the accused's attitude toward the crime demonstrates a substantial likelihood of future dangerousness. Even then the trial judge must be careful not to increase the sentence beyond what is proportionate having regard to the circumstances of the particular offence.

83 The problem with treating lack of remorse as an aggravating factor is similar to treating the conduct of the defence as an aggravating circumstance. In this case, the lack of remorse appeared to rest on nothing more than the continued assertion of innocence in the face of a guilty verdict following a trial. To treat lack of remorse as an aggravating factor in those circumstances comes perilously close to increasing the sentence because the accused exercised his right to make full answer and defence.

[88] Le Tribunal estime que M. Perrier démontre une difficulté sincère à accepter le fait que sa version des faits a été rejetée par le jury ou n'a pas soulevé un doute raisonnable dans leur esprit. Cette réaction ne constitue pas, en soi, un facteur aggravant.

[89] Cette difficulté est fort compréhensible et n'a rien d'étonnant. Il n'est ni le premier accusé ni le dernier à vivre des émotions contradictoires de ce genre. Notre système de justice n'exige pas nécessairement un acte de contrition public de la part du délinquant. Lorsqu'il est présent, cela est facteur atténuant.

[94] Le témoignage de M. Perrier n'a pas soulevé de doute raisonnable dans l'esprit du jury, mais le Tribunal ne peut pas retenir la prétention que le maintien de sa version doit être considérée comme un facteur aggravant.

[100] Dans l'arrêt R. c. Briscoe, la juge Charron écrit :

[21] L’ignorance volontaire ne définit pas la mens rea requise d’infractions particulières. Au contraire, elle peut remplacer la connaissance réelle chaque fois que la connaissance est un élément de la mens rea. La doctrine de l’ignorance volontaire impute une connaissance à l’accusé qui a des doutes au point de vouloir se renseigner davantage, mais qui choisit délibérément de ne pas le faire. Voir Sansregret c. La Reine, 1985 CanLII 79 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 570, et R. c. Jorgensen, 1995 CanLII 85 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 55. Comme l’a dit succinctement le juge Sopinka dans Jorgensen (par. 103), « [p]our conclure à l’ignorance volontaire, il faut répondre par l’affirmative à la question suivante : L’accusé a‑t‑il fermé les yeux parce qu’il savait ou soupçonnait fortement que s’il regardait, il saurait ? »

[…]

[24] Le professeur Don Stuart fait utilement remarquer que l’expression [traduction] « ignorance délibérée » semble plus descriptive que l’expression « aveuglement volontaire », étant donné qu’elle suggère l’idée d’[traduction] « un processus réel de suppression des soupçons ». Considéré, comme il se doit, dans cette optique, [traduction] « le concept d’ignorance volontaire a une portée restreinte et ne s’écarte pas de l’analyse subjective du fonctionnement de l’esprit de l’accusé » (Canadian Criminal Law : A Treatise (5e éd. 2007), p. 241). Si le défaut de se renseigner peut être une preuve d’insouciance ou de négligence criminelle, par exemple lorsque le défaut de se renseigner constitue un écart marqué par rapport à la conduite d’une personne raisonnable, l’ignorance volontaire n’est pas un simple défaut de se renseigner, mais, pour reprendre les termes du professeur Stuart, une « ignorance délibérée ».

[101] Dans la mesure où, selon l'arrêt Briscoe, l'ignorance délibérée ne s'éloigne pas d'une analyse subjective de l'état d'esprit de l'accusé, on ne peut tenir compte de cet état d'esprit comme facteur atténuant lors de la détermination de la peine.

[105] Qu'il suffise de dire, avec respect pour l'opinion contraire, que le déroulement des événements est caractéristique des réflexions contradictoires d'un accusé qui a vu sa version des faits rejetée par le jury et qui maintient toujours son innocence.

[106] Ces faits ne peuvent pas être considérés comme un facteur aggravant pour les infractions commises. Ce questionnement de M. Perrier ne rend pas plus vraisemblable une récidive de sa part ou ne rend pas plus problématique sa réhabilitation. À cet égard, il ne faut pas oublier qu'il a consenti à la révocation de son permis d'exercice de son ordre professionnel

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