[2] Dans la nuit du 14 novembre 2021, l’accusé décide de prendre un taxi pour se rendre au centre‑ville de Montréal. Il n’est pas satisfait du trajet emprunté et du service offert. Une dispute éclate entre lui et le chauffeur.
[3] Le chauffeur, plaignant dans la présente cause, allègue que l’accusé a fissuré le pare‑brise du taxi et l’a agressé physiquement avant de s’enfuir avec son véhicule.
[4] Pour sa part, l’accusé admet avoir eu une altercation verbale avec le chauffeur et être parti avec le taxi sans permission. Il soutient que ce geste était justifié pour se sauver du chauffeur qui voulait s’en prendre à lui. Il nie avoir agressé le chauffeur ou avoir frappé le pare‑brise du véhicule.
[38] Le poursuivant n’a pas précisé sur quel paragraphe de l’article 343 il fonde l’accusation de vol qualifié. Ainsi, pour établir l’infraction, le poursuivant peut satisfaire son fardeau en prouvant les éléments essentiels requis soit par le paragraphe 343a) ou b) C.cr.[19], les paragraphes c) et d) n’étant pas pertinents dans les circonstances de cette affaire[20]. Pour prouver l’infraction de vol qualifié prévue à l’article 343a) C.cr., le poursuivant doit établir :
1) que l’accusé a commis un vol tel que défini à l’article 322 C.cr.;
2) par l’emploi de la violence ou de menaces de violence;
3) pour extorquer la chose volée ou empêcher ou maîtriser toute résistance au vol.[21]
[39] Pour sa part, 343b) s’applique lorsque la violence est employée contre la victime d’un vol immédiatement avant, durant ou après le vol[22]. Il n’est pas exigé que les actes aient été commis avec l’intention de faciliter la perpétration du vol[23]. Cependant, la « violence » mentionnée à l’article 343b) doit être plus qu’une voie de fait mineure[24].
[40] Que ce soit en vertu de l’article 343a) ou b) C.cr., le vol qualifié comporte une double exigence de mens rea. Par conséquent, le poursuivant doit prouver non seulement que l’accusé avait l’intention générale d’employer la violence ou la force, mais également qu’il avait la mens rea requise pour un vol, qui comprend une intention frauduleuse, l’absence de droit ou d’apparence de droit sur le bien et l’intention de priver le propriétaire de son bien temporairement ou de manière permanente[25].
[41] Bien que l’accusé admet avoir pris le taxi sans permission, il soutient qu’il n’avait pas l’intention requise pour un vol, car il ne voulait pas garder le véhicule, mais simplement l’utiliser pour se sauver. Il souligne d’ailleurs que le véhicule a été retrouvé à proximité de la scène de l'incident.
[42] Le Tribunal est plutôt d’avis que la version de l’accusé, même si elle était acceptée, ne saurait susciter un doute raisonnable quant à l’intention requise pour le vol.
[43] En effet, il ne s’agit pas d’un cas où l’accusé prétend avoir une apparence de droit sur le bien. Par ailleurs, l’accusé admet que lorsqu’il a immobilisé le taxi, il a jeté les clés au fond de la voiture « pour pas que la voiture reste en marche puis que si je sors de l’auto l’homme puisse venir me rattraper ». Ainsi, selon son témoignage, l’accusé avait l’intention non seulement de s’éloigner en utilisant le taxi qui ne lui appartenait pas, mais également de priver le plaignant temporairement du véhicule pour qu’il ne puisse pas s’en servir. Dans ces circonstances, et même s’il fallait conclure que le mobile ou le but ultime était louable, il s’agit d’un vol[26].
[44] N’empêche que le Tribunal doit acquitter l’accusé de l’infraction de vol qualifié s’il retient sa version des faits ou si un doute raisonnable subsiste puisque l’accusé nie avoir employé des menaces ou de la violence avant, durant ou après le vol, un élément essentiel pour établir un vol qualifié[27].
[45] Par ailleurs, l’argument qu’il invoque pour justifier le vol s’apparente à la défense légitime en vertu de l’article 34 C.cr. Depuis les amendements à cette disposition en 2013, il est possible d’invoquer la légitime défense pour justifier non seulement l’usage de force, mais également pour justifier « tout acte », incluant un vol de véhicule, pour autant que les exigences de l’article 34(1) C.cr. sont remplies[28].
[46] En l’espèce, tenant pour véridique la version de l’accusé, cette preuve satisfait le critère de la vraisemblance[29]. Il revient donc au poursuivant d’établir hors de tout doute raisonnable non seulement que les éléments essentiels des infractions sont établis, mais également que la légitime défense invoquée ne s’applique pas[30]. S’il ne parvient pas à satisfaire ce fardeau, l’accusé doit être acquitté.