jeudi 25 juillet 2013

Il n’existe aucune disposition législative qui décrète formellement que les communications entre un ambulancier et une personne sont protégées par une forme quelconque de secret professionnel

R. c. Deslauriers, 2009 QCCM 143 (CanLII)


[107]     Comme le faisait remarquer l’honorable juge Bellavance dans l’affaire précitée de « R. c. Rousseau », il n’existe aucune disposition législative qui décrète formellement que les communications entre un ambulancier et une personne sont protégées par une forme quelconque de secret professionnel.
[108]     Le législateur québécois a prévu au Code des professions que les médecins ainsi que les infirmiers (ières) sont assujettis à un tel secret mais il n’y mentionne pas les ambulanciers.
[109]     Dans cette affaire de Rousseau, le juge Bellavance a conclut toutefois à l’existence d’un tel secret professionnel pour l’ambulancier en se basant sur les principes énoncés par la Cour suprême dans les affaires de « Slavutich c. Baker »1975 CanLII 5 (CSC), (1976) 1 R.C.S. 254 et de « R. c. Gruenke »1991 CanLII 40 (CSC), (1991) 3 R.C.S. 263.
[110]     Dans l’affaire Slavutich, il était question d’une déclaration faite dans un document confidentiel utilisée dans le cadre du congédiement d’un professeur.
[111]     La Cour suprême conclue que le document n’aurait pas dû être admis en preuve en raison du fait qu’il était clairement prévu qu’il avait un caractère confidentiel.
[112]     À cet égard, le juge Spence, rendant la décision pour la Cour, mentionne ce qui suit à la page 262 de l’arrêt :
« Je suis toutefois d’avis, comme le juge d’appel Sinclair, qu’il ne faut pas envisager la question sous l’angle de l’application de la règle des communications privilégiées à la lumière de la preuve mais plutôt, en raison des circonstances que j’ai déjà décrites, que ce sont les administrateurs mêmes de l’Université de l’Alberta, et en particulier le directeur du département des langues slaves, qui sont à l’origine de l’existence du document et du caractère confidentiel qui lui a été donné. Comme je l’ai mentionné, le document porte la cote « Confidentiel » et les instructions pour le transmettre précisent qu’il soit expédié dans (traduction ) « une enveloppe cachetée marquée Confidentiel ». De plus l’appelant a déclaré, et il n’a pas été contredit, qu’il avait été avisé par le Dr Schwaarschmidt, le directeur du département, que les renseignements reçus demeureraient strictement confidentiels jusqu’à la réunion du comité sur la permanence et qu’ensuite le document serait détruit. »
[113]     Il n’est donc aucunement question dans cet arrêt d’étendre à un groupe quelconque une certaine forme de secret professionnel.
[114]     Le second arrêt de la Cour suprême, celui rendu dans l’affaire précitée de Gruenke, présente plus d’intérêt.
[115]     Dans cette affaire se posait la question de savoir si les communications entre un pasteur et un membre de l’Église au sujet de son implication dans un meurtre étaient protégées par une certaine forme de secret professionnel.
[116]     Dans cet arrêt, la Cour suprême a reconnue qu’en l’absence d’une disposition législative créant ou décrétant une forme de secret professionnel, une communication pouvait obtenir un statut de « communication privilégiée » en vertu de la Common law.
[117]     Voici ce qu’en dit le juge en chef Lamer à la page 26 de l’arrêt :
« Avant de plonger dans une analyse des questions soulevées dans le présent pourvoi, j’estime qu’il est important de clarifier la terminologie utilisée en l’espèce. Les parties ont eu tendance à établir une distinction entre deux catégories : Un privilège prima facie « général » de common law ou un privilège « générique », d’une part, et un privilège « fondé sur les circonstances de chaque cas » d’autre part. Les premiers termes sont utilisés pour désigner un privilège qui a été reconnu en common law et pour lequel il existe une présomption à première vue d’inadmissibilité (lorsqu’il a été établi que les rapports s’inscrivent dans la catégorie) à moins que la partie qui demande l’admission ne puisse démontrer pour quelles raisons les communications ne devraient pas être privilégiées (c.-à-d., pour quelles raisons elles devaient être admises en preuve à titre d’exception à la règle générale). De telles communications sont exclues non pas parce que l’élément de preuve n’est pas pertinent, mais plutôt parce qu’il existe des raisons de principe prépondérantes d’exclure cet éléments de preuve pertinent. Les communications entre un avocat et son client paraissent s’inscrire dans le cadre de cette première catégorie… L’expression privilège « fondé sur les circonstances de chaque cas » est utilisée pour viser des communications à l’égard desquelles il y a une présomption à première vue qu’elles ne sont pas privilégiées (c.-à-d. qu’elles sont admissibles). L’analyse de chaque cas a généralement comporté une application du « critère de Wigmore », qui constitue un ensemble de critères pour déterminer si des communications devraient être privilégiées (et par conséquent ne pas être admises) dans des cas particuliers. N d’autres termes, l’analyse de chaque cas exige que les raisons de principe d’exclure des éléments de preuve par ailleurs pertinents soient évaluées dans chaque cas particulier. »
[118]     C’est cette seconde catégorie de communications qui concerne plus particulièrement les déclarations qu’une personne pourrait faire à un ambulancier appelé à son chevet dans le cadre d’un accident de la route.
[119]     En effet, malgré les recherches effectuées, je ne peux rien trouver qui puisse me laisser croire que les communications entre un ambulancier et une personne victime d’un accident, bénéficieraient d’un privilège prima facie général de common law.
[120]     Pour  qu’une communication puisse bénéficier d’un privilège « fondé sur les circonstances de chaque cas », elle doit rencontrer les conditions du critère de Wigmore (Wigmore, Evidence in Trials at Common Law, vol. 8, McNaughton Revision, para.2285) qui sont :
•         Les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l’assurance qu’elles ne seraient pas divulguées.
•         Le caractère confidentiel doit être un élément essentiel au maintient complet et satisfaisant des rapports entre les parties.
•         Les rapports doivent être de la nature de ceux qui, selon l’opinion de la collectivité, doivent être entretenus assidûment.
•         Le préjudice permanent que subiraient les rapports par la divulgation des communications doit être plus considérable que l’avantage à retirer d’une juste décision.
[121]     Les quatre conditions du « critère de Wigmore » sont exigeantes car il ne faut pas oublier que tout élément de preuve est en principe admissible dans le cadre du processus de recherche de la vérité que constitue le procès.
[122]     C’est en effet ce qu’exprime la juge L’Heureux-Dubé à la page 33 de l’arrêt Gruenke :
« L’un des principaux objectifs du système accusatoire est la recherche de la vérité. Afin de faciliter cette recherche, toute personne doit, sur demande, comparaître devant les tribunaux pour témoigner au sujet de faits et d’évènements qui relèvent de sa connaissance ou de son expertise. Cette exigence – certains la qualifieraient de devoir—remonte très loin dans l’histoire de la common law et se retrouve maintenant sous forme législative dans les lois sur la preuve fédérale et provinciales. Si l’objet du procès est la recherche de la vérité, le public et le système judiciaire ont droit à toute preuve pertinente fin que justice soit rendue. En conséquence, toute preuve pertinente est présumée recevable. La loi et les règles de preuve de la common law prévoient des exceptions qui ont été conçues de manière a exclure des éléments de preuve qui ne sont ni pertinents, ni fiables, qui sont susceptibles d’avoir été fabriqués ou qui rendraient le procès inéquitable. Les tribunaux et les législateurs ont également été d’avis de limiter la recherche de la vérité par l’exclusion d’éléments de preuve probants, fiables et pertinents pour répondre à une préoccupation sociale prépondérante ou encore aux fins d’une politique judiciaire. C’est là la source des privilèges applicables à certaines communications privées. L’exemple sans doute le plus commun est celui du privilège du secret professionnel de l’avocat… 
Les catégories de communications privilégiées sont, toutefois, très limitées – des éléments de preuve très probants et fiables ne sont pas exclus sans raison valables… »  
(Mes soulignés)
[123]     Dans une telle perspective d’analyse, la question qui se pose est celle de savoir s’il y a lieu d’accorder un statut de communication privilégiée aux échanges entre un ambulancier et la personne impliquée dans un accident de la route ?
[124]     Comme le souligne la Cour suprême dans l’arrêt Gruenke, c’est en ayant recours au critère de Wigmore que l’on répondra à cette question.
[125]     Dans la présente affaire, l’analyse, à mon humble avis, ne passe pas la première exigence du critère de Wigmore.
[126]     En effet, rien n’indique ou ne peut laisser suggérer que les informations transmises par l’accusé à l’ambulancier Desmeules l’aient été confidentiellement avec l’assurance qu’elles ne seraient pas divulguées.
[127]     À l’égard d’une accusation de meurtre et dans un contexte de communication entre un pasteur et un membre de l’Église, le juge Lamer en est arrivé à la conclusion, dans l’arrêt Gruenke, qu’il était essentiel que celui qui  fait la déclaration s’attende à ce qu’elle soit reçues confidentiellement et avec l’assurance qu’elle ne soit pas divulguée.
[128]     À la page 30 de l’arrêt, le juge Lamer s’exprime comme suit à cet égard :
« À mon avis, il ressort d’un examen du critère de Wigmore et des faits de l’espèce que les communications entre l’appelante, le pasteur Thiessen et Janine Frovitch ont été, à bon droit, admises au procès.
J’estime que ces communications ne satisfont même pas à la première condition, c’est-à-dire, qu’elles aient été transmises confidentiellement avec l’assurance qu’elles ne seraient pas divulguées. Si on laisse de côté les autres composantes du critère de Wigmore, il est absolument crucial que l’on s’attende à ce que les communications soient confidentielles (afin qu’elles puissent être qualifiées de privilégiées et ainsi être exclues de la preuve). Sans cette expectative de caractère confidentiel, le privilège n’a pas de raison d’être. »
(Mes soulignés)
[129]      Comme je l’ai indiqué plus tôt, le procureur de l’accusé s’appuie sur la décision du juge Bellavance de la Cour supérieure pour souligner au Tribunal qu’il devrait suivre les enseignements d’un Tribunal supérieur.
[130]     L’opinion du juge Bellavance dans l’affaire Rousseau  n’est pas partagée de façon majoritaire.
[131]     En effet, dans une affaire de « Beaudoin c. R. »CS Beauce, 350-36-000005-044, 27 septembre 2004, l’honorable juge Richard Grenier, de la même Cour supérieure, s’exprime comme suit sur cette question :
« 29      L’appelant soumet que la déclaration faite à l’ambulancier Trudel, à l’effet qu’il était seul dans son véhicule, ne serait pas admissible en preuve parce que couverte par le secret professionnel. Cette prétention va à l’encontre des principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans R. c. Gruenke…
  30      Il est incontestable que l’ambulancier n’est pas une personne en autorité, selon les critères de l’arrêt R. c. A.B., 26 C.C.C. (3d) 17. Par ailleurs, il est tout aussi évident que la conversation de l’appelant avec l’ambulancier ne bénéficie d’aucun privilège, R. c. Spidell, 1996 CanLII 5277 (NS CA), (1966), 107 C.C.C. (3d) 348 et R.c. B. (M.R.)
[132]     Je partage entièrement l’opinion du juge Grenier : Il n’existe aucun privilège à l’égard des communications entre un ambulancier et la personne impliquée dans un accident, comme il n’existe aucune raison, à mon humble avis, d’en créer un de toute pièce au-delà du critère de Wigmore.
[133]     J’ajouterai que la Cour d’appel a adopté la même attitude.
[134]     En effet, dans l’affaire « Léopold Grenier c. Promutuel Appalaches Société Mutuelle d’assurance Générale », CA Qué. 200-09-005146-052, 17 mars 2006, les juges Beaudoin, Morin et Giroux, ont unanimement mentionné ce qui suit aux paragraphes 6 et 7 de l’arrêt :
« 6       L’appelant soutient que le juge de première instance a erré en droit en omettant de soulever d’office la règle du secret professionnel en ce qui concerne le témoignage de l’ambulancier qui a transporté l’appelant à la suite de sa chute.
  7        Les déclarations faites par l’appelant à l’ambulancier au sujet des circonstances entourant sa chute ne tombent nullement sous le coup du secret professionnel. »

Aucun commentaire:

Publier un commentaire