jeudi 25 juillet 2013

La possibilité de tirer une inférence de l'absence d'un témoin à la Cour et des conséquences qui en découlent

R. c. Robidas, 2013 QCCQ 1705 (CanLII)


[45]        La possibilité de tirer une inférence de l'absence d'un témoin à la Cour a notamment été abordée par la Cour Suprême du Canada dans l'arrêt Jolivet 2000 CSC 29 (CanLII), 2000 CSC 29.
[46]        Celle-ci s'exprime alors comme suit:
23                              Au mieux, l’omission du ministère public de faire entendre Bourgade aurait théoriquement pu amener le jury à tirer l’inférence défavorable que le témoignage de Bourgade (si on l’avait fait témoigner) aurait nui à la cause du ministère public. J’estime qu’en l’espèce, rien ne permettait de demander au jury de tirer une inférence aussi forte. 
24                              Ni la défense ni le ministère public n’ont laissé entendre que Bourgade aurait en fait rendu un témoignage disculpatoire.  Le principe de l’«inférence défavorable» découle de la simple logique et de l’expérience et ne vise pas à punir la partie qui exerce son droit de ne pas faire entendre le témoin en lui imposant une «inférence défavorable» que le juge du procès, connaissant l’explication de cette décision, considère entièrement injustifiée.
 (…) 
26                              Le principe s’applique en matière criminelle, mais sous réserve du partage des responsabilités entre le ministère public et la défense, comme je l’explique plus loin. Ce principe est assujetti à de nombreuses conditions.  La partie visée par l’inférence défavorable peut, par exemple, expliquer de façon satisfaisante l’omission de faire entendre le témoin, comme l’a expliqué l’arrêt R. c. Rooke 1988 CanLII 2947 (BC CA), 1988 CanLII 2947 (BC CA), (1988), 40 C.C.C. (3d) 484 (C.A.C.‑B.), à la p. 513, en citant Wigmore on Evidence (Chadbourn rev. 1979), vol. 2, au § 290:
[TRADUCTION]  De toute manière, la partie touchée par l’inférence peut évidemment la réfuter en exposant les circonstances expliquant son omission de citer le témoin.  Son droit d’explication ne doit pas être limité, sauf que le juge du procès doit être convaincu que les circonstances exposées constitueraient, selon la simple logique et l’expérience, une raison plausible pour l’absence de citation.  [En italique dans l’original; je souligne.]

[47]        Elle formule une mise en garde importante:
39                              Il ressort de ces arrêts que les cas «se prêteront» rarement à ce que le juge du procès commente l’omission du ministère public de faire entendre un témoin donné et, encore plus rarement, à ce qu’il le fasse dans le cas de la défense.  Comme le juge Brooke l’a ajouté dans l’arrêt Zehr, précité (aux pp. 68 et 69):
[TRADUCTION]  Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles un avocat peut décider de ne pas faire entendre un témoin, et nos tribunaux remettront rarement en question la décision de l’avocat puisque le système repose sur le fondement que l’avocat est maître de sa preuve.  Il arrive souvent qu’un témoin ne soit pas entendu et que, si la raison en était connue, cela ne justifierait pas une directive selon laquelle une inférence défavorable pourrait être tirée de ce fait.  Chose importante dans notre système, l’avocat n’est pas tenu, et n’a même pas le droit, d’expliquer sa conduite de l’affaire [au jury].
 Des cas nécessitant des commentaires de la part du juge se présenteront néanmoins.  En l’espèce, par exemple, si l’avocat de la défense ne s’était pas contenté de faire ressortir les failles que comporte la preuve de la poursuite et avait été jusqu’à prétendre qu’on aurait pu à juste titre tirer l’inférence défavorable que le témoignage de Bourgade (si ce dernier avait été entendu) aurait appuyé l’intimé, une directive corrective aurait été justifiée.  De même, un commentaire inapproprié du substitut du procureur général sur l’absence d’un témoin annoncé par la défense aurait justifié une correction de la part du juge:  R. c. Dupuis 1995 CanLII 1543 (ON CA), 1995 CanLII 1543 (ON CA), (1995), 98 C.C.C. (3d) 496 (C.A. Ont.).

[48]        Par la suite, plusieurs tribunaux d'appel ont abordé la question.  En 2007, la Cour d'appel du Manitoba[1] écrit ce qui suit relativement au défaut d'un accusé de témoigner:
30                 I am also mindful that an appellate court should not determine the reasonableness of a verdict on mere conjecture.  Nor should it proffer speculative explanations about a possibly erroneous identification of one suspect vis-à-vis another.  There must always be an evidentiary foundation for any such suggested error or confusion.  In that regard, in certain cases, it may be appropriate to take into consideration the accused’s failure to testify in assessing the reasonableness of the verdict and the viability of any suggestion that the wrong person may have been identified.  See R. v. Anglin (W.)2005 CanLII 8189 (ON CA), 2005 CanLII 8189 (ON CA), (2005), 196 O.A.C. 14 at para. 4.  Where the eyewitness evidence is unreliable at trial, a court of appeal can balance that fact with the accused’s failure to testify.  See R. v. Beals (S.A.) et al.1994 CanLII 3989 (NS CA), 1994 CanLII 3989 (NS CA), (1994), 130 N.S.R. (2d) 177 (C.A.), R. v. Corbett (1973), 11 C.C.C. (2d) 137 (B.C.C.A.), aff’d 1973 CanLII 199 (CSC), 1973 CanLII 199 (SCC), [1975] 2 S.C.R. 275, and R. v. Jarrett (1975), 25 C.C.C. (2d) 241 (N.S.C.A.), leave to appeal to S.C.C. refused November 13, 1975.  The failure to testify may be indicative of an absence of an exculpatory explanation.  See Anglin.  It can also signify the unavailability of an evidentiary foundation to ground alternative explanations or “reasonable” doubts which may go to, amongst other things, the question of an erroneous identification. 
[49]        En 2009, la Cour d'appel d'Ontario, quant au défaut d'un accusé de faire entendre sa mère et un ami, écrit dans l'arrêt R. c. Lapensée,2009 ONCA 646 (CanLII), 2009 ONCA 646:
[42]            However, this principle is subject to several qualifications. Since the inference is one of “ordinary logic and experience”, it may only be drawn where there is not a plausible reason for nonproduction, i.e. where it would be natural for the party to produce the evidence if the facts exposable by the witness had been favourable: Jolivet at para. 24; R. v. Solomon, 2002 CanLII 8965 (ON SC), 2002 CanLII 8965 (ON SC), 2002 CanLII 8965 (ON SC), 2002 CanLII 8965 (On. S.C.), per Hill J., at para. 32; R. v. Rooke 1988 CanLII 2947 (BC CA), 1988 CanLII 2947 (BC CA), (1988), 40 C.C.C. (3d) 484 (B.C.C.A.), at pp. 512-13. As Binnie J. explained in Jolivet at para. 28, there are many reasons for not calling certain evidence that are unrelated to the truth of the witness’ testimony:
The circumstances in which trial counsel decide not to call a particular witness may restrict the nature of the appropriate “adverse inference”.  Experienced trial lawyers will often decide against calling an available witness because the point has been adequately covered by another witness, or an honest witness has a poor demeanour, or other factors unrelated to the truth of the testimony. 
(…)
 [44]         Further, the inference is stronger where the “missing proof” lies in the “peculiar power” of the party against whom the adverse inference is sought to be drawn: Jolivet at para. 27.
[50]        Plus près de nous, au Québec, la Cour d'appel écrit ce qui suit en 2010 dans l'arrêt Payne c. R. 2010 QCCA 249 (CanLII), 2010 QCCA 249:
[24]           Finally, Mr. Payne did not testify to deny that he was the assailant, or that he had subsequently met Ms L., acknowledged his assault and offered an apology. While Mr. Payne had a perfect right not to testify, this is a factor that other appellate courts in Canada have considered "relevant in the appellate context" or "indicative of an absence of an exculpatory explanation (that) can also signify the unavailability of an evidentiary foundation to ground alternative explanations or 'reasonable' doubts which may go to, amongst other things, the question of an erroneous identification."

[51]        Enfin, en 2011, la Cour d'appel d'Ontario examine à nouveau la question de l'absence d'un témoin et des conséquences qui en découlent (R. c. Borde, 2011 ONCA 534 (CanLII), 2011 ONCA 534).  L'un des aspects principaux en litige concernait l'identification de l'accusé qui prétendait être chez sa mère au moment de la commission du crime, mais choisi de ne pas la faire entendre. 
[52]        Au procès, tenu devant jury, le juge chargé de l'instruction avait eu les propos suivants à ce sujet: 
Ladies and gentlemen, in assessing the weight to be given to Mr. Borde’s whereabouts on June 29, 2006, you are entitled to consider that this information was not disclosed at a sufficiently early time to permit its investigation by the police. You may also consider that Mr. Borde’s mother was not called as a witness, but you must understand that there is no obligation on the defence to call Mr. Borde’s mother, and there may, indeed, be a perfectly good reason why she was not called. As well, the only possible inference you may draw from the failure to call Mr. Borde’s mother is that had she been called as a witness, her evidence would have been unfavourable to Mr. Borde. You may or may not draw this inference; that is up to you, but you must not use the failure to call his mother to draw the inference of guilt of Mr. Borde.
[53]        La Cour d'appel d'Ontario confirme la justesse de tels propos:
[28]         While the appellant is correct that the Crown could have called the appellant’s mother, it was logical to expect the defence to call her, given the appellant’s relationship with her and his testimony that she could confirm he was at home at the time of the crimes. The trial judge’s instruction was both justified and fair. It made clear that the appellant was under no obligation to call his mother as a witness, that there might be a perfectly good reason why she had not been called, that it was up to the jury to decide whether to draw or not to draw an adverse inference, and, importantly, that the jury should not draw an inference of guilt from the appellant’s failure to call his mother.
[54]        J'en déduis donc qu'il est légalement possible et dans les circonstances même approprié de tirer l'inférence suivant laquelle, si la conjointe de l'accusé avait été entendue, son témoignage aurait été défavorable à l'accusé Robidas.
[55]        L'autre volet, stratégique semble-t-il, mais qui est de nature à affaiblir la crédibilité de l'accusé est l'absence de contre-interrogatoire de R... P... relativement à la question du crachat.
[56]        Les auteurs Pierre Béliveau et Martin Vauclair s'expriment ainsi à ce sujet:
1445.  Cela étant, il faut noter que si une partie a l'intention d'attaquer la crédibilité d'un témoin en soumettant une preuve qui contredit sa version sur certains points, tout au moins s'ils sont importants, elle doit en principe le contre-interroger à cet égard.  À défaut, le juge pourra permettre le rappel du témoin si cela peut commodément se faire.  Dans l'hypothèse contraire, l'accusé ne saurait, durant sa plaidoirie, mettre en doute sa crédibilité, il devra accepter les conséquences de son choix stratégique.
[57]        Les auteurs Paciocco et Stuesser écrivent ceci:
It is not required that every witness be cross-examined;  however, in certain instances fairness demands that it occur.  Where counsel intends to impeach the witness by presenting contradictory evidence,  the evidence should be put to the witness. It is especially unfair to a witness to adduce evidence that casts doubt on his varacity when he has not been given an opportunity to deal with that evidence. Besides being fair, challenging a witness also assists the trier of fact in assessing credibility.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Le processus que doit suivre un juge lors de la détermination de la peine face à un accusé non citoyen canadien

R. c. Kabasele, 2023 ONCA 252 Lien vers la décision [ 31 ]        En raison des arts. 36 et 64 de la  Loi sur l’immigration et la protection...