dimanche 15 décembre 2013

Comment traiter le temps passé sous garde et, le cas échéant, l'opportunité de majorer le crédit

Chalifoux c. R., 2013 QCCA 1914 (CanLII)


[19]        Le principe fondamental dans l'établissement d'une peine est que pour être juste, elle doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant.  L’article 719(3) C.cr. énonce que « pour fixer la peine […], le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passée sous garde par suite de l’infraction ».  Le temps passé sous garde fait partie du processus de détermination de la peine et sa prise en compte de même que la question du crédit majoré ne peuvent être décidées ainsi de façon isolée. L’opportunité de majorer le temps à retrancher de la peine juste et appropriée doit être analysée alors que le tribunal a en main tous les facteurs pertinents à la détermination de la peine globale :
Comme la période à retrancher ne peut ni ne doit être établie au moyen d’une formule rigide, il est par conséquent préférable de laisser au juge qui détermine la peine le soin de calculer cette période, car c’est encore lui qui est le mieux placé pour apprécier soigneusement tous les facteurs permettant d’arrêter la peine appropriée, y compris l’opportunité d’accorder une réduction pour la période de détention présentencielle.
[je souligne]
[20]        En conséquence, c'est au moment où le juge fixe la peine qu'il décide comment traiter du temps passé sous garde et, le cas échéant, de l'opportunité de majorer le crédit.  Comme le souligne la doctrine, la période de détention préalable à l'imposition de la peine est une composante de la peine globale qui a été déjà purgée.

[23]        Comme l'a fait remarquer ma collègue la juge St-Pierre, le texte de l'article 719(3.1) C.cr. est clair.  Il est inutile de recourir à une preuve extrinsèque pour cerner l'intention du législateur.  Celle-ci se dégage déjà de l'objet et du texte de la Loi.
[24]        Notre Cour, suivant ainsi R. v. Carvery, n’a attribué au législateur que trois intentions, conformes au sens littéral des termes employés :
[52]      Par la Loi, le législateur a voulu modifier la pratique du 2 pour 1, écarter l'automatisme, plafonner le crédit pour détention préalable au prononcé de la peine et assurer la transparence du processus d'imposition de la peine incluant tout crédit accordé pour la détention préalable au prononcé de la peine. 
[25]        De façon générale, les cours d'appel ont refusé de restreindre le sens des termes « si les circonstances le justifient » de l'article 719(3.1)C.cr., puisque le législateur n'a pas formulé de balises particulières à ce sujet.  Qui plus est, les cours d'appel ont précisé que ces circonstances n'ont pas à être exceptionnelles pour justifier une majoration même si la majoration nécessite dorénavant une preuve pour s'écarter du ratio de base de 1 : 1.
[26]        Poursuivant cette interprétation libérale des textes législatifs, notre Cour, à nouveau sous la plume de la juge St-Pierre, a adopté une approche stricte voire formaliste de l'exception contenue au paragraphe 719(3.1) en exigeant que l'on retrouve au dossier de la Cour une mention explicite voulant que le juge « ait ordonné la détention en se fondant principalement, et non accessoirement ou notamment, sur toute condamnation antérieure ».
[28]        Conformément à la jurisprudence des cours d’appel canadiennes et à la doctrine, la Cour d’appel du Québec énonce expressément dans R. c. Henrico que les circonstances pouvant justifier une majoration aux termes de l’article 719(3.1) C.cr. sont les mêmes que celles qui étaient retenues sous l’ancien régime :
[70]      Puisque la Loi n'a pas tout changé en matière de crédit pour la détention préalable au prononcé de la peine, la jurisprudence antérieure à sa mise en vigueur, qui n'entre pas en conflit avec les nouvelles balises qu'elle comporte, demeure pertinente et les principes qu'elle énonce applicables.
[…]
[73]      Depuis de très nombreuses années, les juges ont exercé leur discrétion et examiné diverses situations mettant en cause une détention préalable au prononcé de la peine. Cette expérience acquise, connue du législateur, demeure pertinente au moment d'évaluer "si les circonstances le justifient" alors que le législateur n'a pas cru bon de définir l'expression autrement ou d'en modifier la portée.
[je souligne]
[29]        La prise en compte des conditions de détention (approche qualitative) et l'impact de la détention préalable sur la libération conditionnelle de l'accusé (approche quantitative) ont toujours été les circonstances considérées. Tel que le révèle une analyse de la jurisprudence récente par la Cour d’appel du Manitoba, cela est toujours aussi vrai sous le nouvel article 719(3.1) C.cr. :
[43]      With respect to the jurisprudence on this point, loss of remission is a frequently cited factor, but not the most frequent. A review of the cases to date reveals that post-trial delay is the most frequently cited factor that justified enhanced credit. Where enhanced credit has been given for loss of remission, it is most often considered in conjunction with other qualitative facts, such as harsh remand conditions and their impact on the offender.
[je souligne]
[30]        À l'opposé, les circonstances suivantes ont souvent justifié de refuser la majoration du crédit :
Circumstances that justified less than 2:1 credit included where the offender (1) has little prospect of parole; (2) has repeatedly violated his bail conditions; (3) has committed the offence at issue while on bail or probation; (4) has not endured prison congestion; (5) has deliberately delayed the process in order to secure the benefit of credit for pre-sentence custody; (6) is unlikely to take advantage of rehabilitative programmes; or (7) the “dead time” concern is of minimis value.
[références omises]
[31]        Cet enseignement est toujours valable sous le nouvel article 719(3.1) C.cr. :
[45]      There are also a number of cases, which have identified circumstances where denying enhanced credit was justified. Such circumstances included delay caused by the offender and where an offender had a history of breaching court orders. In addition, where offenders have deliberately protracted their remand detention or otherwise endeavoured to manipulate the system, judges may well discount the credit ratio. […]
[je souligne]
[32]        Ainsi, les facteurs justifiant l’octroi d’une majoration ou son refus ont toujours été et demeurent liés à la période présentencielle, qu’ils se rapportent aux circonstances de la détention – que ce soit sa durée, sa rigueur ou ses effets sur la libération conditionnelle qui s’en suivra –, au déroulement de la liberté provisoire ou encore à la conduite de l’accusé durant cette période.
[33]        Bien que partie intégrante du processus de l'imposition de la peine, la décision relative au temps passé sous garde poursuit un autre objectif.  La décision de retrancher de la peine la période de détention préalable, majorée ou pas, est reliée à des facteurs autres que la gravité du crime et la responsabilité morale du criminel.  La décision sur cette question vise à prendre en compte des facteurs qui pour l'essentiel sont reliés aux circonstances de la détention et à l'impact de cette détention sur la libération conditionnelle de l'accusé.
[34]        Tenir compte uniquement du dossier judiciaire d'un individu pour refuser le crédit majoré constitue, en l'espèce, une erreur.  C'est le seul motif avancé par la juge de première instance pour justifier sa décision.  Ici, la juge fait double emploi d'un même facteur.  D'abord, le casier judiciaire important de l'appelant constitue un facteur aggravant que la juge utilise pour déterminer la peine juste et appropriée.  Par la suite, elle se rapporte à ce seul facteur pour refuser de majorer le crédit pour la détention préalable.  À mon avis, il s'agit d'une erreur de principe.
[35]        Je n'affirme pas pour autant que le casier judiciaire ne peut jamais avoir d'impact à cette étape du processus pénologique.  Voici pourquoi.  L'article 719(3.1) C.cr. commande de procéder en deux étapes.  À la première étape, le juge examine les circonstances qui justifient la majoration du crédit et non, comme pour la peine, un examen de toutes les circonstances aggravantes et atténuantes.  D'ailleurs, d'un point de vue conceptuel, le casier judiciaire d'un individu ne peut constituer, à cette première étape, un motif pour justifier la majoration.
[36]        S'il n'y a pas de circonstances qui peuvent justifier la majoration, le dossier est clos.  Par contre, s'il y en a, une deuxième étape s'impose.  À cette occasion, le juge pourra tenir compte de tous les facteurs susceptibles d’influencer ou de moduler les circonstances identifiées à la première étape.
[37]        À cette seconde étape, il se pourrait que le casier judiciaire d'un individu vienne carrément écarter une circonstance qui aurait justifié une majoration du crédit.  Si les circonstances de vie difficiles en détention préalable sont invoquées à la première étape, un passé carcéral chargé pourrait venir moduler l’appréciation que peut faire le juge de cette circonstance à la seconde étape.  De même, un lourd casier judiciaire peut diminuer l’effet négatif de la détention préalable sur l’admissibilité à la libération conditionnelle, circonstance qui aurait justifié la majoration à la première étape.
[38]        Bref, on peut dire que le casier judiciaire n'est pas pertinent pour répondre à l'article 719(3.1) C.cr. sauf pour nuancer, le cas échéant, les circonstances favorables à la majoration.
[45]        La conduite d'un prévenu pendant la période préalable à l'imposition de la peine est, certes, un facteur pertinent à prendre en compte par le juge à l'occasion de l'exercice de la discrétion judiciaire prévue à l'article 719(3.1) C.cr..
[46]        Or, s'il est exact que les conditions de détention se sont avérées en partie sévères, la conduite de l'appelant, pendant cette période de détention, annihile tout crédit qu’il aurait pu, par ailleurs, espérer obtenir.
[47]        Que fait l'appelant pendant cette période de détention?  Il obtient une quantité suffisante de stupéfiants en vue d'en faire le trafic alors qu'il est en attente de procès pour des infractions similaires.  Pareilles circonstances ne militent pas en faveur d'un crédit majoré.  Bref, tenant compte de l'ensemble des circonstances, il n'y avait pas lieu à une majoration du crédit.

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