mercredi 29 janvier 2014

Cadre d'analyse du juge Boyer quant à la preuve de faits similaires

R. c. Jean-Pierre, 2006 QCCQ 4626 (CanLII)

Lien vers la décision

[136]      Avant de clore sa preuve, le représentant du procureur-général a présenté une requête visant à faire admettre en preuve certains faits similaires; bien que non contestée par la défense, cette requête a fait l'objet d'un jugement de la part du soussigné.
[137]      M'inspirant des arrêts ArpHandy, Shearing et Perrier, je me suis livré à un exercice analytique de la preuve proposée dans le but:
•        D'identifier la question soulevée par la poursuite afin de déterminer la fin pour laquelle la preuve de faits similaires est produite;
•        D'établir un lien entre l'accusé et les actes similaires;
•        D'examiner la force probante des actes similaires liés à l'accusé;
•        D'examiner les effets préjudiciables de l'admission de la preuve d'actes similaires;
•        D'apprécier la valeur probante de cette preuve en fonction du préjudice que l'accusé pourrait subir advenant son admissibilité.
[138]      J'ai accueilli la requête de la poursuite dans les termes suivants:
<modus operandi
, c'est-à-dire un comportement répétitif et systématique de la part de l'accusé et également pour corroborer la version des victimes alléguées.  Notre Cour d'Appel sous la plume de l'Honorable Lise Côté établit que:
"Lorsqu'il y a plusieurs chefs d'accusation, les faits relatifs à chaque chef n'ont pas à faire l'objet d'une détermination préliminaire au niveau d'une telle preuve puisqu'ils se rapportent directement aux faits en litige dont la poursuite doit faire la preuve pour établir l'accusation".
Je procéderai néanmoins à cette détermination afin d'identifier l'étendue et la nature de cette preuve selon les comportements et attitudes répétitifs de l'accusé que je retiendrai au chapitre des faits similaires.
Il est reconnu que lorsqu'une personne est accusée d'un crime, seuls les faits reliés à la commission de ce crime sont admissibles en preuve pour établir la culpabilité.  À ce titre, la preuve d'autres inconduites criminelles antérieures ne sera pas admissible étant considérée comme une preuve de propension; vu son impact extraordinaire sur l'issue du procès, il faut se mettre en garde de n'utiliser cette preuve que pour répondre aux questions soulevées par la poursuite.
Dans la présente affaire, les similitudes entre les diverses approches de l'accusé auprès des différentes victimes alléguées sont frappantes au point d'exclure toute coïncidence; il y a également absence de preuve quant à la possibilité de collusion entre elles.
Voici une description des attitudes et comportements répétitifs de l'accusé:
•        Il représente à toutes les victimes alléguées qu'il va gérer l'argent généré par leur travail afin de leur permettre d'effectuer des économies;
•        Il paiera le loyer et les autres dépenses à même les revenus et leur procurera un téléphone cellulaire;
•        Il contrôlera l'argent pour leur bâtir un avenir;
•        Il offrira à certaines d'entre elles de payer pour des implants mammaires;
•        Il jouera avec leurs émotions;
•        Il accompagne certaines victimes dans une boutique de vêtements pour danseuses nues sur la rue St-Hubert et leur offre des chaussures et des robes;
•        Il leur fait sentir qu'elles auront besoin de lui;
•        Il les manipule par ses belles paroles et son beau discours;
•        Il leur demande de lui prouver qu'il a raison d'avoir confiance en elles.
En plus des faits similaires que la poursuite veut introduire en preuve, il existe plusieurs éléments pouvant relier l'accusé à la commission des crimes reprochés tels la filature policière et les relevés téléphoniques.
Quelle est la valeur probante par rapport à l'effet préjudiciable?
En règle générale, s'il existe entre les actes un degré de similitude tel qu'il est probable que ces derniers ont été commis par la même personne, la preuve des faits similaires aura ordinairement une force probante suffisante pour l'emporter sur son effet préjudiciable.
"La valeur probante a trait à la preuve d'une question: l'effet préjudiciable concerne l'équité du procès".
Je ne crois pas que l'équité du procès soit menacée suite à l'admission de cette preuve, c'est sa valeur probante qui l'emporte; d'ailleurs "il semble que les effets préjudiciables soient moins présents lorsque le procès se déroule devant juge seul."
En conséquence, je suis d'avis que la poursuite a établi par une balance de probabilités que la valeur probante de la preuve d'actes similaires l'emportait sur le préjudice qu'elle peut causer.
J'autorise donc la couronne à utiliser les chefs d'accusation pour les interpréter et les appliquer à titre d'actes similaires:
1.      afin de prouver un modus operandi, c'est-à-dire un comportement répétitif et systématique de la part de l'accusé pour convaincre de façon subtile les victimes alléguées à se prostituer et lui remettre le produit de leur travail;
2.      afin de corroborer la version des victimes alléguées.>>

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