dimanche 8 juin 2014

La déclaration à une personne en autorité VS les lacunes identifiées par la jurisprudence

César-Nelson c. R., 2014 QCCA 1129 (CanLII)


[67]        L'admission du caractère libre et volontaire des déclarations ne permet pas d'en déduire leur caractère probant :
The trial judge has a discretion to accept the waiver and dispense with the holding of a voir dire. If the trial judge accepts the waiver, the statement is admissible without a voir dire. In these circumstances, the waiver is not a acknowledgment of its evidential value, but is merely an acknowledgment of its voluntariness.
[renvois omis et je souligne]
[68]        Le caractère volontaire de la déclaration et la bonne foi des policiers ne rendent pas la déclaration d’un accusé telle que notée admissible, pertinente et probante :
[29]      McClung, J.A. suggests that because there was no deliberate editing or bad faith, it should be admissible if it is voluntary. I disagree. It is not the good faith of the police that is in issue but the meaning of the words. He further suggests that the accused could have clarified the meaning of the words by testifying or by calling his father to testify. This is not the accused's onus. It is the onus of the Crown to adduce words capable of meaning before the defence has anything to meet. An inference cannot be used to make words an admission when the evidence clearly indicates the words were an incomplete statement and therefore meaning could not be ascertained. The Crown must make a prima facie case for admission. An inference cannot be used to fill in holes in the evidence. […] 
[je souligne]
[69]        Le fait qu’une déclaration soit non enregistrée, tronquée et rapportée hors contexte peut influencer la décision d’un tribunal sur le caractère libre et volontaire de la déclaration, mais aussi sur sa fiabilité et sa valeur probante.
[70]        L'examen de la jurisprudence fait rapidement voir que de telles lacunes dans la preuve entraineront, selon leur importance, soit une simple diminution de la valeur probante, soit l'exclusion de la déclaration lorsque la valeur probante est surpassée par l'effet préjudiciable.
[71]        Plusieurs lacunes identifiées par la jurisprudence se retrouvent en l'espèce : (i) absence d'enregistrement, (ii) prise partielle de notes et (iii) absence de contexte.
L’absence d'enregistrement
[72]        Nous n'avons, en l'espèce, aucune explication ou preuve pour justifier l'absence d'enregistrement des appelants dans les salles d'interrogatoires.  La preuve offerte par la poursuite ne permet pas de pallier cette lacune et ne saurait justifier que le juge s’en soit remis aveuglément aux notes comme étant une transcription fiable des propos des accusés.  Certaines erreurs patentes se sont glissées dans les notes.  Par exemple, le prénom de la fille de César-Nelson n’est pas Mélina tel que la policière Pascale Jacques l’a noté.
La prise partielle de notes
[73]        La policière Jacques admet ne pas être une « sténo-dactylo » et dit essayer de « noter le plus possible […] de ce qui […] contient la réponse » de César-Nelson.  Il était donc admis que les déclarations n’ont pas été rapportées verbatim.  Malgré cela, le juge a tenu compte des choix de mots particuliers dans les notes de la policière pour reprocher à l’accusé César-Nelson de ne pas dire la vérité.  Il est dangereux de tirer de telles conclusions sur le choix des mots alors que les propos de l’accusé ne sont pas rapportés mot pour mot.
[74]        À tout le moins, le juge aurait dû se mettre en garde du fait que les mots notés ne sont pas ceux des appelants, mais plutôt ceux qui résultent de l'interprétation personnelle de la policière.
[75]        Qui plus est, en l'espèce, les notes ne rapportaient pas tous les échanges.  Elles ont fait l'objet d'un choix de la part de la policière.  On ne sait rien des questions et des réponses que la policière n'a pas jugé à propos de reproduire.  Comme notre Cour a eu l'occasion de le souligner, il appartient aux tribunaux et non aux policiers de décider de la pertinence des propos d'un accusé :
Dans la cause de R. c. Rosik, (1971) 13 C.R.N.S. 129, Monsieur le juge MacKay de la Cour d'Appel d'Ontario, en parlant de l'obligation de la Couronne de produire en preuve toute la déclaration de l'accusé, s'est prononcé comme suit à la page 137:
There is authority that if a statement is partly inculpatory and partly exculpatory and the Crown elects to adduce evidence of the statement, the whole of the statement must be put in and, in such case, it is received as evidence of its truth as to the exculpatory part as well as the inculpatory part.
Mon collègue Monsieur le juge Kaufman, dans son livre The Admissibility of Confessions, 3ième édition, 1979, à la page 139, en parlant d'une déclaration à la fois incriminante et disculpatoire, écrit:
When questions are asked, it is of the utmost importance to keep a complete record of all questions and answers, and to resist the temptation to reduce to writing only that part which inculpates the accused. Indeed, failure to recollect the complete conversation may jeopardize an otherwise acceptable confession, but once again this is a matter of appreciation for the judge.
Madame le juge Barrette Joncas de la Cour supérieure dans Regina v. Smithreflex, (1981) 60 C.C.C. (2d) 327, a refusé d'accepter une déclaration qui ne contenait pas tout ce que l'accusé avait dit.
Il appartient au juge du procès et non pas aux policiers de décider de la pertinence des questions et réponses. Dans le présent cas, les policiers auraient dû prendre par écrit tout ce qui touchait le sujet de leur enquête.
Avec égard, je suis d'opinion que le juge a fait une erreur grave en admettant en preuve la déclaration de l'appelant qui, selon  moi,  est  inadmissible  pour  les raisons ci-haut mentionnées.
[je souligne]
L’absence de contexte
[76]        Les tribunaux se sont également penchés sur l’importance du contexte, et ce, particulièrement dans les cas où la déclaration rapportée est amputée des mots qui ont pu être prononcés avant ou après les mots notés.  Ainsi, dans R. c. Ferris, la Cour suprême écrit :
À notre avis, quant à la preuve selon laquelle on a entendu l'intimé dire [Traduction] "J'ai tué David", si elle avait eu quelque pertinence que ce soit, en raison des circonstances exposées complètement par le juge Conrad, sa signification était si conjecturale et sa valeur probante si faible que le juge du procès aurait dû l'exclure pour le motif que son effet préjudiciable l'emportait sur sa valeur probante.
[je souligne]
[77]        Dans ce court arrêt, la Cour suprême valide la décision de la Cour d’appel de l’Alberta d’exclure la déclaration de l’accusé et d’ordonner un nouveau procès.  Alors que le caractère libre, volontaire et fiable de la déclaration « j’ai tué David » était acquis au débat, la Cour d’appel de l’Alberta a jugé que le sens de ces mots était trop équivoque pour constituer un aveu admissible :
[26]      In this case, however, it is not a question of whether the utterance was given. Here words were spoken. What is in issue here is whether or not the words were capable of meaning, for without meaning they have no relevance. The officer cannot testify as to the gist of Ferris' utterance, in this particular case it cannot be determined if "... I killed David ..." was in fact an admission he killed David. The onus rests on the Crown to prove the words have relevance.
[je souligne]
[78]        Comme l'a expliqué la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. c. Hunter, lorsqu'il est possible de spéculer sur la signification d'un prétendu aveu, celui-ci ne peut pas être probant.  Partant, si la déclaration est exempte de toute force probante, sa mise en preuve est forcément préjudiciable à l'accusé.
[79]        L'arrêt Ferris fait bien voir le danger d'admettre pareille déclaration :
[27]      […] If it was an admission, I agree with McClung, J.A. that it is highly probative. However, because the Crown case makes it clear words were spoken before and after, and the utterance was incomplete, it is impossible to ascertain the meaning of the words. Thus no weight can be given to it and the prejudice of its introduction is easy to contemplate. There is a real prejudice of forbidden reasoning here. There would be an enormous temptation for any trier of fact to look at the outside evidence that tends to implicate the accused in the murder, use those facts to conclude that the accused probably committed the murder, and that therefore he admitted that he did. That finding would then be used to raise the probability of guilt to a conclusion of guilt. The danger implicit in that type of circuitous reasoning is obvious.
[je souligne]
[80]        Eu égard aux faits de l'espèce, le juge de première instance ne pouvait utiliser les déclarations tronquées des appelants à titre d'assise principale pour juger de leur crédibilité.  À la limite, ces déclarations auraient dû être exclues de la preuve aux termes du pouvoir discrétionnaire résiduel qui lui appartenait.
[81]        En l’espèce, le juge n’a pas conclu à l’inadmissibilité des déclarations des accusés parce qu’il ne s’est penché ni sur leur fiabilité ni sur leur valeur probante.  Il en avait pourtant l'obligation si l'on considère les faits de la cause.
[82]        L’absence d’enregistrement alors que les accusés sont interrogés en salle d’interrogatoire, le manque de fiabilité dans la retranscription des propos et le caractère incomplet des notes qui prive le tribunal du contexte des déclarations sont tous des éléments importants qui méritaient l’attention du tribunal.
[83]        Les policiers n’ont pas non plus été en mesure d’éclairer le tribunal en comblant les lacunes dans la preuve.  Il en résulte des déclarations isolées, peu fiables et dont la signification est conjecturale.  Avec ces faits, le juge ne pouvait pas retenir que les propos des accusés, notés par les policiers, étaient de nature incriminante.
[84]        Ce faisant, le juge ne pouvait pas rejeter la version des faits disculpatoire des accusés au procès sur la base qu’une telle version était contraire à des déclarations incriminantes antérieures.  En raison de l’importance qu’ont eue ces considérations dans le verdict de culpabilité du juge, ce premier moyen justifie à lui seul une ordonnance d'un nouveau procès.

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