jeudi 6 novembre 2014

Certains principes relatifs au certiorari

LeBlanc et Steeves c. R., 2009 NBCA 84 (CanLII)


[7]                                       Bien que le Code criminel ne confère aucun droit d’appel soit d’un renvoi à procès soit d’une libération à l’issue d’une enquête préliminaire, l’un et l’autre peuvent faire l’objet d’une révision sur demande présentée à un juge d’une cour supérieure pour le motif que l’ordonnance rendue était le résultat d’une erreur de compétence. Ni le renvoi à procès ni la libération ne seront annulés dans le cadre d’une requête en certiorari, à moins qu’il ne s’agisse d’une erreur de compétence. L’erreur de droit commise dans les limites de la compétence du juge de paix n’est pas suffisante. Dans l’arrêt R. c. Chapelstone Developments Inc. et al. (2004), 277 R.N.‑B. (2e) 350, [2004] A.N.‑B. no 450 (QL), 2004 NBCA 96 (CanLII), par. 11 à 19, le juge d’appel Robertson a résumé les principes qui régissent la révision judiciaire d’une décision prise à l’enquête préliminaire. Essentiellement, les principes directeurs sont énoncés dans le paragraphe suivant de l’arrêt R. c. Russell, [2001] 2 R.C.S. 804, [2001] A.C.S. no 53 (QL), 2001 CSC 53 (CanLII) :

La portée de la révision par voie de certiorari est très limitée.  Même si à certains moments de son histoire, le bref decertiorari permettait une révision plus poussée, le certiorari d’aujourd’hui « permet dans une large mesure d’obtenir qu’une cour supérieure contrôle la façon dont les tribunaux établis en vertu d’une loi exercent leur compétence; dans ce contexte, il s’agit de “compétence” au sens restreint ou strict » :  Skogman c. La Reine1984 CanLII 22 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 93, p. 99.  Par conséquent, la révision par voie de certiorari n’autorise pas une cour de révision à annuler la décision du tribunal constitué par la loi simplement parce que ce tribunal a commis une erreur de droit ou a tiré une conclusion différente de celle que la cour de révision aurait tirée.  Au contraire, le certiorari permet la révision « seulement lorsqu’on reproche à ce tribunal d’avoir outrepassé la compétence qui lui a été attribuée par la loi ou d’avoir violé les principes de justice naturelle, ce qui, d’après la jurisprudence, équivaut à un abus de compétence » : Skogman, précité, p. 100 (citant l’arrêt Forsythe c. La Reine,1980 CanLII 15 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 268) [par. 19].


[8]                                       Comme l’a expliqué la juge McLachlin, juge en chef du Canada, dans l’arrêt Russell, « [l]a portée restreinte des moyens de contrôle reflète l’objet limité de l’enquête préliminaire », laquelle a pour objet la vérification préalable et « n’est pas censée fournir une tribune où se plaide le bien‑fondé de la preuve recueillie contre l’accusé » (par. 20).

[9]                                       Dans l’arrêt R. c. Forsythe, 1980 CanLII 15 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 268, [1980] A.C.S. no 66 (QL), la Cour suprême a eu l’occasion d’expliquer que le défaut de compétence initial et la perte de cette compétence initiale constituent une erreur de compétence. Le juge en chef Laskin s’est dit d’avis qu’« il n’y a que fort peu de cas où il peut y avoir perte de compétence pendant une enquête préliminaire » (p. 271). Il a ajouté ceci :

[…] Cependant, un magistrat perdra compétence s’il omet de se conformer à une disposition impérative du Code criminel: voir l’arrêt  Doyle c. La Reine, [1976 CanLII 11 (CSC), [1977] 1 R.C.S. 597]. Le droit canadien reconnaît qu’un déni de justice naturelle porte atteinte à la compétence: voir l’arrêt Alliance des Professeurs catholiques de Montréal c. Commission des relations de travail du Québec, [1953 CanLII 45 (SCC), [1953] 2 R.C.S. 140]. Dans le cas d’une enquête préliminaire, je ne peux concevoir que cela se produise à moins que l’accusé ne se voie totalement refuser le droit de citer des témoins ou de contre-interroger les témoins de la poursuite. Le simple rejet d’une ou de plusieurs questions en contre-interrogatoire ou d’autres décisions sur la preuve avancée ne constituent pas, à mon avis, une erreur portant atteinte à la compétence. Cependant, le juge ou le magistrat présidant à l’enquête préliminaire doit obéir aux dispositions relatives à la compétence de l’art. 475 du Code criminel [p. 271 et 272].


[10]                                   Les cas où les tribunaux ont conclu à l’erreur de compétence comprennent le refus du juge de paix d’autoriser l’accusé à faire des observations sur une question substantielle, l’omission de faire à l’accusé la mise en garde prescrite au par. 541(2), l’omission de prendre l’ensemble de la preuve en compte comme l’exige l’al. 548(1)b), le fait d’avoir usurpé les fonctions du juge du procès en recourant au critère du doute raisonnable ou en appréciant la crédibilité, en libérant l’accusé alors qu’il y avait des éléments de preuve sur lesquels un jury ayant reçu des directives appropriées aurait pu s’appuyer pour rendre un verdict de culpabilité et le fait d’avoir soupesé des inférences opposées : E.G. Ewaschuk,Criminal Pleadings & Practice in Canada, 2e éd., feuillets mobiles (Aurora (Ont.) : Canada Law Book, 2009), 13:1210, 13:2005 et 26:2090 et les instances qui y sont mentionnées. À ces cas, j’ajouterais l’omission du juge de paix qui présidait l’enquête préliminaire d’autoriser la comparution de témoins à décharge et la décision erronée d’un juge de paix selon laquelle il n’avait pas compétence pour ordonner la production de certains éléments de preuve : R. c. Ward (1976), reflex, 31 C.C.C. (2d) 466 (H.C.J. Ont.), [1976] O.J. No. 807 (QL), conf. (1977), reflex, 31 C.C.C. (2d) 466n (C.A. Ont.), et R. c. R. (L.) (1995), 1995 CanLII 8928 (ON CA), 127 D.L.R. (4th) 170 (C.A. Ont.), [1995] O.J. No. 1381 (QL).

[11]                                   Bien que les tribunaux aient conclu que ces genres d’erreurs sont des erreurs de compétence, la jurisprudence fait également état d’erreurs qui ne sont pas des erreurs « de compétence ». La principale de ces erreurs est l’erreur de droit. Dans l’arrêt R. c. Skogman1984 CanLII 22 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 93, [1984] A.C.S. no 32 (QL), le juge Estey a souligné ce point :

Soulignons en outre qu’un tel contrôle par voie de certiorari ne permet pas à la cour supérieure d’examiner le fonctionnement du tribunal établi en vertu d’une loi afin d’attaquer une décision rendue par ce tribunal dans l’exercice de la compétence qui lui est conférée, pour le motif qu’il a commis une erreur de droit en rendant cette décision ou qu’il est arrivé à une conclusion différente de celle qu’elle aurait pu tirer elle-même [p. 100].


[12]                                   Vingt ans plus tard, dans l’arrêt Deschamplain, la Cour suprême a réitéré ce principe, cette fois sous la plume du juge Major qui rendait jugement au nom de la majorité :

[…] Le juge de l’enquête préliminaire a compétence pour mener l’enquête conformément aux règles de preuve.   L’erreur dans l’application de ces règles qui ne constitue pas un déni de justice naturelle (lequel touche aussi la compétence : voir les arrêts Dubois, précité, p. 377, et Forsythe, précité, p. 272) reste une erreur de droit et ne devient pas une erreur de compétence.  Les erreurs de droit ne sont pas susceptibles de révision par voie de certiorari [par. 17].


[13]                                   Même lorsque l’on conclut à l’erreur de compétence, le certiorari est une mesure discrétionnaire qui peut être refusée. On trouve un résumé judicieux du droit en la matière dans l’arrêt R. c. Papadopoulos (2005), 2005 CanLII 8662 (ON CA), 196 O.A.C. 335, [2005] O.J. No. 1121 (QL) :

[TRADUCTION]
La décision de faire droit ou non à une demande de bref de prérogative relève, en fin de compte, d’un pouvoir discrétionnaire qu’exerce la cour supérieure dans le cadre de sa compétence générale et inhérente : R. c. Nat Bell Liquors Ltd. (1922),reflex, 37 C.C.C. 129 (C.S.C.); R. c. Workmen’s Compensation Board, Ex parte Kuzyk, 1968 CanLII 180 (ON CA), [1968] 2 O.R. 337 (C.A.); et Re Krawkowski and the Queen (1983), 1983 CanLII 1825 (ON CA), 4 C.C.C. (3d) 188 (C.S.C.). Bien que ce pouvoir discrétionnaire doive être exercé en conformité avec les principes établis, il y a eu des cas où la cour a exercé sa compétence en refusant d’accorder la réparation demandée qu’il y ait eu ou non erreur de compétence – dans le cas, par exemple, où l’on a inutilement tardé à demander le bref ou encore dans celui où le requérant n’a pas agi de bonne foi aux fins de solliciter l’ordonnance en question : voir, par exemple, les arrêts Young c. Attorney‑General of Manitoba, Boxall and Fryer (1960), reflex, 129 C.C.C. 110 (C.A. Man.) et Krawkowski, précité. En général, lorsque les motifs juridiques justifiant l’annulation d’un renvoi à procès sont établis, le bref est délivré. Cela est vrai [TRADUCTION] « sauf », comme l’a souligné sir Wilfred Greene, maître des rôles, dans l’arrêt R. c. Stafford Justices Ex parte Stafford Corp., reflex, [1940] 2 K.B. 33 à la p.44, [TRADUCTION] « si les circonstances font en sorte que l’on est fondé à refuser le redressement sollicité ».

Nous ne voyons aucune raison de principe pour laquelle, si le pouvoir discrétionnaire peut être exercé aux fins de rejeter une demande de bref de prérogative malgré la présence d’une erreur de compétence dans certaines circonstances – comme celles mentionnées ci‑dessus – il ne pourrait pas être exercé de la même manière, si les circonstances le justifient, lorsque le requérant n’a subi aucun préjudice et ce, qu’un déni de justice naturelle ait ou non donné lieu à une erreur de compétence, parce que le renvoi à procès aurait par ailleurs été inévitable […] [par. 20 et 21].

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