mercredi 11 novembre 2015

Les accusés ont-ils établi qu'il existe un motif de conclure que sans la divulgation demandée, leur innocence sera en jeu (privilège de l'informateur)?

R. c. Fillion, 2003 CanLII 48178 (QC CQ)


[13]            Une première réflexion s'impose. Quelle norme de preuve s'applique à la démonstration des requérants, quel est leur fardeau? La poursuite suggère qu'il soit relevé, mais sans préciser. Les requérants s'opposent à une interprétation littéraire de la «démonstration de l'innocence».

[14]            Dans un obiter très important, voici ce que disait monsieur le juge Proulx dans l'affaire D'Aragon :

«Je dois dire, et cela avec beaucoup d'égards, que la formulation de cette exception qu'est la «démonstration de l'innocence» me paraît difficilement conciliable avec la présomption d'innocence. Je veux bien que dans les arrêts Bisaillon c. Keable, précité, et R. c. Scott 1990 CanLII 27 (CSC)[1990] 3 R.C.S. 979, p. 995, la Cour suprême ait référé à cette exception au privilège où un inculpé se doit «de démontrer son innocence en faisant naître un doute raisonnable», mais nul ne saurait vouloir tirer de là une conclusion que le droit constitutionnel à la présomption d'innocence imposerait un tel fardeau à l'inculpé. Avec respect, il me semble que cette exception au privilège de l'indicateur de police serait plus justement désignée par la nécessité démontrée par l'inculpé d'assurer sa défense pleine et entière. C'est le critère qui fut retenu dans l'arrêt Roviaro c. United States 353 U.S. 53, (7th Cir. 1957), lequel reçut l'approbation de la Cour suprême dans l'arrêt R. c. Garofoli 1990 CanLII 52 (CSC)[1990] 2 R.C.S. 1421, p. 1459. Plus tard, dans R. c. O'Connor 1995 CanLII 51 (CSC)[1995] 4 R.C.S. 411, le juge en chef Lamer et le juge Sopinka, dans une opinion conjointe dissidente sur un autre point, mais partagée par les juges Cory et Iacobucci, ont aussi retenu le principe que la revendication d'un privilège devait l'emporter si les renseignements sont «clearly relevant and important to the ability of the accused to raise a defence...» (p. 431). C'est le même critère qu'a adopté l'auteur T.C. COOPER, «Crown Privilege», Aurora: Canada Law Book, 1990, p. 217, et auquel j'avais souscrit dans R. c. Khela (1991), 1991 CanLII 3117 (QC CA)68 C.C.C. (3e) 81, p. 87 (C.A. Québec).»

[15]            Le tribunal interprète donc les mots :«…le fardeau d'établir qu'il existe un motif de conclure que sans la divulgation demandée, son «innocence» sera en jeu.»  comme signifiant  «…la nécessité démontrée par l'inculpé d'assurer sa défense pleine et entière.» Le requérant doit donc établir un motif «clearly relevant and important to the ability of the accused to raise a defence...»

[16]            Il convient ensuite de reconnaître que le privilège relatif aux indicateurs de police joue un rôle vital en matière d'application de la loi. La règle interdisant la divulgation des renseignements susceptibles de conduire à l'identification, a été élaborée pour protéger


les citoyens qui collaborent à l'application des lois et encourager les autres à en faire autant.  Le rôle des indicateurs dans les affaires de drogues est particulièrement important et dangereux, mais le privilège n'existe pas que pour des motifs de sécurité. Le privilège existe aussi pour des motifs d'intérêt public.

[17]            Une lecture des arrêts soumis et pertinents permet de dégager certaines orientations. On considère généralement que le privilège cède devant la nécessité d'assurer une défense pleine et entière dans les situations suivantes :

i)     L'indicateur est le seul témoin matériel ou un témoin essentiel du crime;
ii)   L'indicateur a agi comme agent provocateur;
iii)   La démonstration de l'innocence comprend l'abus de procédure, notamment dans les cas de provocation policière;
iii)   L'accusé qui cherche à établir qu'un mandat de perquisition n'était pas justifié par des motifs raisonnables, peut «dans les cas où cela [est] absolument essentiel», avoir droit à des renseignements susceptibles de révéler l'identité d'un indicateur, lorsqu'il y a des éléments de preuve qui portent à croire que les biens saisis en exécution d'un mandat sont le fruit d'un coup monté ou pour établir que l'indicateur est à l'origine du coup monté ou qu'il détient des renseignements sur la façon dont le coup a été monté;

[18]            Au contraire, les tribunaux considèrent généralement que la revendication du privilège l'emporte si :

i)     L'informateur est anonyme, il devient impossible de vérifier auprès de celui-ci quels renseignements le concernant pourraient être révélés;
ii)   La preuve n'établit que la possibilité de conflit entre le témoignage de l'accusé et les renseignements fournis par un indicateur, au sujet de l'arrivée dans une résidence de drogues subséquemment trouvées en la possession de l'accusé;
iii)      L'utilité des renseignements est hypothétique, la simple supposition qu'ils pourraient être utiles à la défense, est insuffisante;


iv)   Les requérants veulent découvrir si l'indicateur de police était une source fiable;

v)     Les renseignements recherchés ne sont pas «essentiels» pour l'accusé.

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