vendredi 29 septembre 2017

Immobilisation d’un véhicule pour vérification documentaire

Malenfant c. R., 2006 QCCS 7246 (CanLII)

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[18]            Lorsqu’il est rejoint par les policiers, l’appelant a déjà immobilisé son véhicule sur un terrain privé et en est même descendu.  En pareilles circonstances, les tribunaux reconnaissent le pouvoir d’interpellation de l’agent de la paix, indépendamment du fait que le véhicule soit en mouvement ou non.
[19]            En l’espèce, les actions subséquentes de l’agente Beaulieu sont dictées par les articles du Code de sécurité routière qui obligent le conducteur à être porteur de certains documents qu’il est tenu d’exhiber à l’agent de la paix sur demande.  Les articles 61(2)65 et 97stipulent les exigences de la loi relativement au permis de conduire pendant que les articles 35(1) et 36 énoncent des impératifs à peu près similaires relativement aux certificats d’immatriculation et d’assurance:
« 65.     Pour conduire un véhicule routier sur un chemin public, sur les chemins soumis à l’administration du ministère des Ressources naturelles ou entretenus par celui-ci, sur un chemin privé ouvert à la circulation publique des véhicules routiers ainsi que sur les terrains de centres commerciaux et autres terrains où le public est autorisé à circuler, une personne doit être titulaire d’un permis de la classe appropriée à la conduite de ce véhicule tel que déterminé par règlement et comportant, le cas échéant, les mentions prescrites par ce règlement.
97.        La personne qui conduit un véhicule routier ou qui en a la garde ou le contrôle doit avoir avec elle son permis.
            En outre des chemins publics, le présent article s’applique sur les chemins soumis à l’administration du ministère des Ressources naturelles ou entretenus par celui-ci, sur les chemins privés ouverts à la circulation publique des véhicules privés ouverts à la circulation publique des véhicules routiers ainsi que sur les terrains de centres commerciaux et autres terrains où le public est autorisé à circuler.
61.        La Société délivre les permis suivants autorisant la conduite de véhicules routiers : le permis d’apprenti-conducteur, le permis probatoire, le permis de conduire et le permis restreint.
            Le titulaire d’un permis n’est tenu de produire celui-ci qu’à la demande d’un agent de la paix ou de la Société et à des fins de sécurité routière uniquement.
35.               La personne qui conduit un véhicule routier ou qui en a la garde ou le contrôle doit avoir avec elle le certificat d’immatriculation du véhicule, sauf dans les dix jours de l’immatriculation, ainsi que l’attestation d’assurance ou de solvabilité prévue par la Loi sur l’assurance automobile (chapitre A-25).
36.               La personne qui conduit un véhicule routier ou qui en a la garde ou le contrôle doit, à la demande d’un agent de la paix, lui remettre pour examen les pièces visées à l’article 35. »
(Nos soulignés)
[20]            Le Code de la sécurité routière (L.R.Q.c, C-24.2) précise de plus, à son article premier, que ces dispositions régissent l’utilisation des véhicules sur les chemins publics et sur certains chemins et terrains privés dont ne fait pas partie l’allée du 65 Taché.
[21]            Pour recourir au pouvoir d’immobilisation au hasard d’un véhicule, l’agent de la paix n’est pas tenu d’avoir des motifs raisonnables et probables de croire à la commission d’une infraction au Code de sécurité routière.
[22]            En sauvegardant les dispositions législatives qui autorisent les agents de la paix à intercepter au hasard des automobilistes, à des fins de vérification, la Cour suprême constatait que, bien que ces interpellations violaient les garanties constitutionnelles de l’article 9 de la Charte canadienne des droits et libertés, ces atteintes étaient justifiables dans une société libre et démocratique comme la nôtre.
[23]            Monsieur le juge Cory écrit, dans l’arrêt Ladouceur :

« Reconnaître la validité de la vérification de routine au hasard, c’est se rendre à la réalité.  Dans la régions rurales, il sera impossible de mettre sur pied un programme structuré efficace.  Pourtant, les infractions en matière de circulation dans ces régions entraînent des conséquences tout aussi tragiques que dans les plus grands centres urbains.
(…)
Ceux qui conduisent des véhicules automobiles sur la route n’ont aucun droit civil de le faire.  Ils ne peuvent le faire que s’ils sont titulaires d’un permis à cette fin.  Cette exigence ne constitue pas une atteinte aux droits civils.  Il n’y a aucune raison pour laquelle un conducteur d’un véhicule automobile sur la route ne puisse être tenu de démontrer à l’agent d’un organisme chargé d’appliquer la loi qu’il possède un permis à cette fin.  Si la police a le pouvoir d’interroger le conducteur d’un véhicule automobile pour vérifier son droit de le conduire, le certificat d’immatriculation du véhicule et le nom et l’adresse du propriétaire et du conducteur, tous les pouvoirs d’arrestation draconiens dont nous avons discuté paraîtraient peu ou pas nécessaires.
Bien que le concept de ce qui peut constituer une violation des droits civils puisse être quelque peu différent de nos jours, la qualification par le juge McRuer de la nature de la conduite et la nécessité de la contrôler sont aussi valides aujourd’hui qu’elles l’étaient à ce moment-là.  Afin d’assurer un contrôle approprié, la société doit être en mesure d’exiger que des interpellations au hasard soient effectuées sans motif précis et en dehors de tout programme formel.
(Nos soulignés).
[24]            L’agent de la paix peut donc, ainsi, intercepter un véhicule de façon aléatoire et exiger de son conducteur de lui exhiber ses permis de conduire et certificats d’immatriculation ou d’assurance afin de s’assurer que l’usager de la route est en droit d’y opérer un véhicule qui répond à toutes les exigences de la loi et qu’il a avec lui tous les documents requis à cette fin.  L’automobiliste doit alors s’exécuter sous peine de sanctions pénales.
[25]            En agissant de cette façon, le policier se conforme non seulement aux pouvoirs que lui confère le Code de sécurité routière mais répond également à la mission qui est sienne en vertu de l’article 39.1 de la Loi de police (L.R.Q. c. P-19), soit celle de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité du public dans tout le territoire du Québec et d’y prévenir le crime et les infractions aux lois du Québec.
[26]            Monsieur le juge Cory exprime avec justesse, toujours dans l’arrêt Ladouceur, ce qui soutend un tel principe et qui justifie les interceptions aléatoires à des fins de vérifications documentaires :
« L’interception et la vérification des véhicules constituent le seul moyen de vérifier le bon fonctionnement des freins et des ceintures de sécurité.  Il est encore plus important de déterminer si un conducteur possède un permis et des assurances.  Encore une fois, cela ne peut se faire qu’en interceptant des véhicules.  Les statistiques démontrent que le conducteur sans permis constitue une menace sur la route.  En outre, un tel conducteur démontre un mépris de la loi et de l’irresponsabilité ainsi qu’une tendance marquée à être impliqué dans des accidents graves.  Tous ceux qui circulent sur les routes ont intérêt à ce que les conducteurs sans permis soient arrêtés et chassés de la route.  De même, la société dans son ensemble a intérêt à réduire les frais des services médicaux, d’hospitalisation et de réadaptation qui doivent être assurés aux victimes d’accidents ainsi que le préjudice émotionnel causé à leur famille.  Il est certain que le remède préventif que prévoit le par. 189a(1) et qui consiste à obliger les conducteurs à s’arrêter est préférable à la tragédie terminale incurable que représentent la victime d’un accident mortel et la victime handicapée de façon permanente.  Il vaut certainement mieux permettre les interpellations au hasard et empêcher qu’un accident ne survienne que refuser le droit d’interpeller et confirmer de façon répétée les tristes statistiques à la morgue et à l’hôpital. »

Pouvoir d’interpeller un automobiliste hors de la voie publique

Malenfant c. R., 2006 QCCS 7246 (CanLII)

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[27]            S’il est généralement admis que notre droit permet ces vérifications au hasard ou sans motif précis lorsque l’automobiliste circule sur la voie publique, est-ce si différent lorsque le conducteur ciblé a quitté le chemin public depuis quelques secondes pour se garer sur une propriété privée ?
[28]            Il nous semble que le sens commun dicte une réponse négative à la question et que les propriétés privées situées en bordure de nos routes ne devraient pas servir de refuge ou de havre d’immunité pour les conducteurs non détenteurs d’un permis valide ou pour les véhicules non immatriculés ou sans assurance, qui viennent tout juste de circuler sur un chemin public qu’ils ont quitté avec empressement à la vue ou à l’approche des forces de l’ordre.
[29]            D’un autre côté, il est tout aussi vrai que les pouvoirs policiers doivent être balisés pour se prémunir des interpellations et des interceptions dictées par un simple caprice, par la mauvaise foi ou par tout autre motif biaisé ou discriminatoire. Il est cependant tout aussi nécessaire que les pouvoirs de l’agent de la paix s’accompagnent des accessoires indispensables à leur exécution tel celui d’être autorisé suivre le véhicule ciblé hors de la voie publique, pour y compléter une vérification de routine décidée ou entreprise sur un chemin public.
[30]            Aussi, dans la mesure où un véhicule quitte la voie publique, avant que le policier qui l’y a vu circuler, ait eu l’opportunité de procéder à une vérification documentaire ou de signifier au conducteur visé de s’immobiliser pour ce faire, il doit pouvoir poursuivre son action dans un lieu privé où se réfugie le conducteur, même s’il s’agit d’un chemin privé.  De même, celui qui circule sur la voie publique avec un véhicule et qui, percevant l’approche policière, ne doit pas pouvoir esquiver ses obligations légales en se rangeant momentanément sur une propriété privée.
[31]            Cela est d’autant plus vrai lorsque, comme dans le présent cas, l’agent de la paix perçoit raisonnablement la manœuvre du conducteur comme étant suspecte et destinée à se prémunir d’une interpellation policière qu’il craint.  Ici, c’est le comportement de Miguel Malenfant qui a incité la policière à s’introduire sur une propriété privée pour s’assurer du droit de ce dernier de circuler sur la voie publique.
[32]            En somme et assez paradoxalement, l’appelant, qui cherchait à se rendre invisible, a plutôt attiré sur lui la suspicion de la policière.
[33]            C’est d’ailleurs cette impossibilité d’agir, alors que le véhicule de l’appelant se trouve toujours sur la voie publique, qui distingue la présente affaire de l’arrêt de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans R. c. Caissie[8], affaire dans laquelle les policiers ont délibérément retardé l’intervention après avoir décidé d’intercepter le conducteur pour une vérification de routine.
[34]            Le Tribunal ne peut concevoir que, dans une société libre et démocratique comme la nôtre, un policier qui exerce le pouvoir légitime d’intercepter au hasard un automobiliste qu’il voit circuler sur une voie publique pour une fin reliée à la sécurité routière,  ne puisse intervenir pour protéger la vie des autres usagers de la route parce que le conducteur en question a réussi à trouver refuge sur une propriété privée avant que l’agent de la paix n’ait eu l’opportunité de vérifier son droit de circuler sur la route[9].
[35]            Dans l’arrêt Cotnoir, un des deux policiers qui intervenaient auprès de l’appelant agissait en pensant que celui-ci pouvait être en détresse, alors que l’autre soupçonnait la commission d’un crime.  L’Honorable juge Robert Pidgeon, alors juge à la Cour d’appel, écrit pour la majorité ce qui suit :
« Elle soulève uniquement la question de leurs pouvoirs d’enquête à titre de pouvoirs accessoires à leur obligation de secours et de prévention du crime.  Ici, la seule façon pour la policière de vérifier l’identité de la personne dans le véhicule automobile consistait à pénétrer sur cette propriété.  En outre, cette intrusion dans la cour de l’appelant ne portait pas atteinte de façon démesurée à l’inviolabilité de la propriété privée et était nécessaire dans les circonstances.  L’atteinte pourrait même être qualifiée de purement technique.  D’autre part, les agents pouvaient présumer détenir une autorisation implicite du propriétaire de pénétrer sur son terrain afin de prévenir la perpétration d’une infraction contre ses biens.  Enfin, comme l’a mentionné le juge Sopinka dans l’arrêt Belnavis « il existe une différence marquée en matière d’atteinte raisonnable en matière de vie privée [notes omises] selon que la personne qui l’invoque se situe dans sa résidence ou dans une automobile. »[10]
(Nos soulignés).
[36]            Partageant le même avis, monsieur le juge Chamberland ajoute ce qui suit à ce sujet :
« Pour l’un, il s’agissait donc de mettre un terme à la perpétration d’un crime, ou d’en prévenir la commission, pour l’autre, il s’agissait de porter secours à un concitoyen.  Dans ces circonstances, les agents Gougeon et Bélanger avaient, à mon avis, le droit de pénétrer sur le terrain où les évènements se déroulaient pour faire les vérification d’usage et, le cas échéant, enquêter ou porter assistance. »[11]
(Nos soulignés).
[37]            Le Tribunal est d’avis que ces réflexions empreintes de sagesse s’appliquent également aux circonstances de la présente affaire.
[38]            Il faut certes souligner que, contrairement à l’arrêt  Cotnoir, la preuve ne fait pas état, ici, de soupçons de commission d’une infraction criminelle avant l’interception de Miguel Malenfant mais la situation justifiait et nécessitait que la policière puisse compléter son travail de vérification d’un usager de la voie publique qui venait d’effectuer une manœuvre suspecte.
[39]            Dans les circonstances de l’espèce, l’agent de la paix n’a pas, de façon injustifiable, utilisé les pouvoirs découlant de son devoir de veiller à la sécurité des citoyens puisque le comportement de l’appelant lui permettait de croire raisonnablement que celui-ci cherchait à se soustraire d’une éventuelle vérification qu’il craignait.

Le pouvoir d’interception au CSR n’est pas restreint à la constatation d’une infraction relative à la conduite mais a été étendu à la garde et au contrôle

Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Lessard, 2014 QCCQ 20950 (CanLII)

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[22]        D’importants pouvoirs sont dévolus aux agents de la paix soit par la Loi sur la police, le Code de la sécurité routière (CSR) ou par la Common Law pour permettre à ceux-ci de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, d’assurer la répression des crimes et la protection des personnes et des biens.       
[23]        Les policiers n’ont cependant pas tous les pouvoirs bien qu’ils aient le devoir d’assurer la sécurité dans nos communautés. L’étendue de leurs pouvoirs doit être analysée à la lumière des faits particuliers de chaque cas d'espèce et examinée en fonction des gestes posés à chacune des étapes de l’interpellation policière.
[24]        Quant aux pouvoirs émanant du CSR, ils s’appliquent à l’utilisation des véhicules sur les chemins publics ou sur certains terrains privés. À l’article 636, est prévu le pouvoir d’un agent de la paix, s’il agit dans l’exercice de ses fonctions, de faire immobiliser un véhicule et de procéder à l’identification du conducteur.
[25]        Le pouvoir d’interception au CSR n’est pas restreint à la constatation d’une infraction relative à la conduite mais a été étendu à la garde et au contrôle. Si une interpellation se fait auprès d’un justiciable sur un terrain privé, certaines dispositions de la loi ne s’appliquent pas mais la définition contenue à d'autres articles englobent les chemins privés ouverts à la circulation publique.
[26]        Suivant la common law, bien que les policiers soient tenus d'enquêter sur les crimes, ils ne sont pas pour autant habilités à prendre n'importe quelle mesure pour s'acquitter de cette obligation. Le droit à la liberté individuelle est un élément fondamental protégé par la Constitution canadienne qui interdit aux policiers d’arrêter ou de détenir quelqu’un sur la foi d'une intuition ou d’une discrétion exercée arbitrairement. 
[27]        Rappelons que le droit commun encadre le pouvoir des policiers d’intercepter des véhicules à moteur sur la base de motifs précis reliées à la sécurité routière, à la sobriété des conducteurs, à la validité du permis ou à l’état mécanique des véhicules qui circulent sur la voie publique.
[28]        Une interpellation au hasard ou de routine constitue une violation de l’article 9 de la Charte, mais la Cour Suprême a décidé que cette détention se justifie lorsque les policiers poursuivent un but légitime[10].  Par contre, pour agir conformément à leurs pouvoirs d’intervention, ils doivent le faire sans motif oblique.[11]

L'interprétation de l’expression «tout autre lieu public» contenue au paragraphe 259(1) C.cr.

Marin c. R., 2016 QCCA 1937 (CanLII)

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[28]        Le juge Montgomery s’exprimant au nom de la Cour a déclaré ce qui suit :
2 On the afternoon of 21st April 1968, a Sunday, a number of persons assembled on the parking lot of a shopping centre to participate in or watch a form of automobile racing, sometimes referred to as drag-racing, involving rapid acceleration over a short distance. The Crown endeavoured to prove that one of those who drove in these races was respondent and that his conduct on this occasion constituted dangerous driving within the meaning of s. 221(4), which reads as follows:
"(4) Every one who drives a motor vehicle on a street, road, highway or other public place in a manner that is dangerous to the public, having regard to all the circumstances including the nature, condition and use of such place and the amount of traffic that at the time is or might reasonably be expected to be on such place, is guilty of
"(a) an indictable offence and is liable to imprisonment for two years, or
"(b) an offence punishable on summary conviction."
3 The motion for nonsuit was maintained on the ground that the parking lot in question was privately owned and therefore was not a public place within the meaning of this section.
4 With all respect for the carefully reasoned opinion of the trial judge, I consider that he erred in relying upon jurisprudence interpreting provincial highway Acts. The constitutional validity of the penal provisions in such Acts has been upheld precisely because they are Acts relating to public highways under provincial jurisdiction. (See the decision of the Supreme Court in O'Grady v. Sparling1960 CanLII 70 (SCC)[1960] S.C.R. 80433 C.R. 29333 W.W.R. 360128 C.C.C. 125 D.L.R. (2d) 145, and particularly the comments of Judson J., at pp. 810-11.) We are here dealing with a charge laid under the Criminal Code, and the essence of the offence is the danger to the public. The title to the piece of ground upon which the offence is committed is of secondary importance, and it becomes a question to be decided in each case whether or not the public has sufficient degree of access to the place to make it a public place within the meaning of this section.
[29]        Selon la fin de ce dernier paragraphe, il ressort qu’un endroit est public au sens du paragraphe 221(4) C.cr. selon que le public y a accès d’une façon suffisante pour justifier la qualification d’endroit public, et ce, peu importe le titre de propriété.
[30]        Cette idée a été reprise en 2013 par la Cour de justice de l’Ontario dans l’affaire R. v. Dunsford. Le juge Fraser y déclare ce qui suit au sujet du paragraphe 259(1) C.cr. :
35 This reading of the section is intrinsically tied to the sentencing sanction of the driving prohibition. There should be a loss of driving privilege on any place where motor vehicles are normally used, namely roads, streets and highways. But in addition, there is a prohibition covering any place where members of the public will be impacted by a prohibited driver operating a motor vehicle.
36 "Public place" in this sense is a place where a non-trivial number of the population can be expected to be present and expect to be protected from exposure to prohibited drivers operating motor vehicles.
[31]        Dans la présente affaire, le juge de première instance a conclu que, selon la preuve faite devant lui, le stationnement où a été arrêté l’appelant était un lieu public au sens du paragraphe 259(1) du Code criminel. Il s’agit là d’une conclusion tirée à partir des constatations de fait effectuées par le juge. La Cour est d’avis que le juge n’a pas commis d’erreur manifeste et déterminante dans cette appréciation de la preuve qui justifierait son intervention à cet égard.
[32]        Le stationnement visé est de dimensions appréciables, tel qu’il appert des photos déposées. Sa partie avant jouxte un chemin public sur toute sa largeur et elle ne comporte aucun signe ou obstacle qui empêche un automobiliste ou un piéton de s’y engager ou d’y pénétrer. Le stationnement est à la disposition des occupants des 20 appartements des deux immeubles, des membres de leurs familles, de leurs invités et, plus généralement, de toute personne qui visite un locataire. Ces faits permettaient au juge d’instance de conclure que le public avait un accès suffisant à cet endroit pour en faire un lieu public où la sécurité des personnes présentes peut être menacée par un conducteur assujetti à une interdiction de conduire selon le Code criminel.

Les pouvoirs d'intervention des policiers dans un stationnement privé

R. c. Vega Diaz, 2017 QCCQ 7862 (CanLII)

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[19]        Un des arguments proposés du requérant se veut que les policiers ne pouvaient intervenir dans le stationnement de l’immeuble, cet endroit ne rencontrant pas la définition de « chemin public » ou de « certains chemins et terrains privés » prévue à l’article 1 du Code de la sécurité routière (CSR)
[20]      Bien que souvent présente dans un cadre de révision administrative, le Tribunal était conscient qu’une certaine controverse peut planer à ce sujet quand on tente de qualifier le caractère privé ou non d’un stationnement résidentiel.
[21]      Ainsi, un stationnement à l’arrière d’un immeuble à logements, où chaque endroit est réservé aux locataires et où les visiteurs doivent se garer dans la rue a été considéré comme stationnement privé.
[22]      Dans une autre affaire, toutes les cases de stationnement étaient réservées et identifiées par un numéro, correspondant à chaque unité de condo de l’immeuble. On a aussi considéré le tout comme stationnement privé.
[23]      Ici, cette preuve n’a pas été faite. La photo des lieux de la rue montre une entrée sans barrière ou affiche interdisant l’accès à des visiteurs. Ce stationnement est vaste et comporte plusieurs stationnements; tout comme l’immeuble semble comporter plusieurs logements. On peut se garer tout près de la rue ou plus loin vers l’arrière.
[24]      Bref, la simple référence en plaidoirie voulant que le requérant, lui-même visiteur, a utilisé la place de son ami qui y réside, est insuffisante pour déterminer que le stationnement en est un comme décrit dans les deux affaires ci-haut.
[25]      Qui plus est, dans une affaire analogue à la nôtre, la Cour d’appel a récemment tranché cette question en lien avec l’expression « tout autre lieu public » contenue au paragr. 259(1) du Code criminel. On décrit l’endroit comme :
La preuve accréditant que quelques espaces avaient des poteaux indiquant des numéros d’appartement. D’autres, dans l’immeuble adjacent, avaient des numéros, mais à la peinture défraichie.
[26]      La Cour d’appel conclut ainsi :
[32]        Le stationnement visé est de dimensions appréciables, tel qu’il appert des photos déposées. Sa partie avant jouxte un chemin public sur toute sa largeur et elle ne comporte aucun signe ou obstacle qui empêche un automobiliste ou un piéton de s’y engager ou d’y pénétrer. Le stationnement est à la disposition des occupants des 20 appartements des deux immeubles, des membres de leurs familles, de leurs invités et, plus généralement, de toute personne qui visite un locataire. Ces faits permettaient au juge d’instance de conclure que le public avait un accès suffisant à cet endroit pour en faire un lieu public où la sécurité des personnes présentes peut être menacée par un conducteur assujetti à une interdiction de conduire selon le Code criminel.
4.2. Le juge a-t-il erré en ne reconnaissant pas une violation des droits constitutionnels de l’appelant entraînant l’exclusion de la preuve?
[33]        La Cour estime que compte tenu des circonstances entourant l’arrestation de l’appelant, celle-ci était justifiée. Au départ, il existait un motif d’interception relié à la conduite automobile puisque l’appelant s’apprêtait à s’engager sur la voie publique avec des phares éteints, la nuit, contrairement à l’article 424 du Code de la sécurité routière. Par ailleurs, les policiers étaient justifiés de vérifier alors si l’appelant était détenteur d’un permis de conduire, vu qu’il se trouvait au volant d’un véhicule automobile. Enfin, en découvrant qu’il était sous le coup d’une interdiction de conduire sur un lieu public, ils étaient en droit de procéder à son arrestation.
[27]      L’argument du requérant, confronté à cet arrêt, voulant qu’il n’y avait pas ici d’infractions au CSR au départ relève de la sémantique. Les agents ont clairement identifié l’art. 636 du CSR comme assise de leur intervention. Le Tribunal est d’avis que cette assise suffit. Dans la mesure où l’intervention est légalement justifiée par le CSR, il importe peu qu’il s’agisse d’une mesure préventive, de vérifications permises ou de constatations d’infractions comme telles.

Détermination de la peine - production de cannabis

R. c. Bui, 2017 QCCQ 9635 (CanLII)

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[63]      Voici comment s’exprime récemment la Cour d’appel dans St-Germain c. R.2015 QCCA 1108 (CanLII) où l’accusé sans antécédents contestait la peine de 8 mois imposée pour une plantation de 320 plants :
[41]      La sentence de huit mois d’emprisonnement se situe dans la fourchette des sentences clémentes, confirmées ou imposées par notre Cour depuis 2003 pour ce type d’infraction, commise dans des circonstances semblables. Dans les causes suivantes, on relève des facteurs atténuants et aggravants similaires.
[42]      Dans Brousseau[19], les prévenus n’avaient pas d’antécédents judiciaires et occupaient des emplois. La production était d’une certaine importance (331 plants), mais artisanale. Les principes de dénonciation et de dissuasion ont motivé une peine de neuf mois d’emprisonnement.
[43]      Dans Rivard[20], la peine de douze mois d’emprisonnement pour une production de grande envergure (1250 plants) « ne [s’écartait] pas de façon marquée et substantielle des peines habituellement infligées pour ce type de crime »[21]. Tout comme en l’espèce, l’accusé n’avait pas d’antécédents judiciaires et le rapport présentenciel lui était favorable.
[44]      Dans Parenteau[22], l’accusé, sans antécédents judiciaires, s’est vu infliger une peine d’emprisonnement de dix-huit mois. La Cour souligne :
En matière de production et de trafic de stupéfiants, tant la dissuasion générale que la dissuasion spécifique sont nécessaires.[23]
[45]      Dans Valiquette[24], une peine d’emprisonnement d’un an a été imposée dans les circonstances suivantes : une production à grande échelle dans le district de Joliette, motivée par le lucre, par un individu sans antécédents judiciaires et un risque minime de récidive. Notre Cour a considéré que le juge n’avait pas commis d’erreur « en tenant compte de la situation locale et de la recrudescence de ce genre de crime dans la région de Joliette[25] ».
[46]   Dans Valence[26], notre Cour est intervenue pour modifier une peine de deux ans à être purgée dans la communauté à deux ans d’emprisonnement vu la gravité de l’infraction et la préoccupation pour la situation locale.
           (références omises)
[64]      Cet enseignement se retrouve par la suite à Beaudoin c. R.2015 QCCA 1775 (CanLII) (peine de 12 mois confirmée pour 320 plants, 16 kg trouvés dans le réfrigérateur et condamnation antérieure).
[65]      Toutes ces décisions, auxquelles on peut ajouter en matière de production Nguyen c. R.2007 QCCA 1500 (CanLII) (444 plants) et Ladouceur c. R.2016 QCCA 1725 (CanLII) et Reid c. R.2016 QCCA 1866 (CanLII) en matière de trafic, rappellent que les principes de dénonciation et dissuasion sont d’importance.
[66]      Quant à d’autres peines imposées, le Tribunal retient celles qui suivent à titre d’illustration[11] :
      R. v. Zheng2014 ONCA 345 (CanLII) (343 plants) - trouvé coupable de possession en vue de trafic, mais acquitté de production – 10 mois;
      R. v. Nguyen2013 ONCA 51 (CanLII) : (1200 plants) - plaidoyer, jardinier, détournement électrique – 10 mois;
      R. v. Readhead2008 BCCA 532 (CanLII) : (59 plants) – plantation sophistiquée, marijuana trouvée ailleurs, conteste le mandat de perquisition, mais ne présente pas de défense après avoir échoué, condamnation antérieure en même matière, 1 an détention, intervalle de 12 ans depuis. La C.A. ramène la peine de 2½ ans à 2 ans moins 1 jour;
      R. v. Gobran2013 ONCA 407 (CanLII) : opérateur principal, deux coaccusés, 3 plantations : 2079 plants + 24 lb de marijuana, 1312 plants + 27 lb de marijuana et 600 gr. de haschich et 2700 plants. S’ajoutent deux unités d’entreposage avec 52 et 177 lb de marijuana. Plaidoyer, aucun antécédent, 42 ans, aux prises avec problème de cocaïne et de jeu, revue des peines aux paragr. 20 à 27, 5 ans maintenu.
[67]      Quant aux décisions où les accusés ont allégué l’inconstitutionnalité des peines minimales :
      R. v. Li2016 ONSC 1757 (CanLII) : jardinier, pas de preuve de risque relié à la plantation, 475 plants, accusé considéré comme à « the lowest possible end of the spectrum », risque de déportation, peine minimale de 12 mois, revue de jurisprudence. Accusé échoue dans sa demande, peine de 12 mois non « grossly disproportionate either in relation to him personnally or to a reasonable hypothetical offender »;
      R. v.  Picard2016 BCSC 2052 (CanLII) : un peu moins de 500 plants, grange et sous-sol, région rurale, 61 ans, pas antécédents, déclaré coupable après procès, 1 an minimum.
Le juge fait une revue de la jurisprudence en Colombie-Britannique établissant la fourchette entre 9 mois et 3 ans (paragr. 27) :
The Crown submits that s. 7(2)(b)(iii) closely reflects the sentences that were handed out prior to the amendments. The Crown referred to the oft-cited authorities which established the range of sentences for marihuana production. These include: R. v. Su, 2000 BCCA 480 (CanLII); R. v. Anderson, 2007 BCCA 581 (CanLII); R. v. Lau, 2014 BCCA 176 (CanLII); R. v. Vu, 2003 BCCA 339 (CanLII); R. v. Hill, 2007 BCCA 309 (CanLII) (and supplemental reasons from R. v. Hill, 2007 BCCA 340 (CanLII)); R. v. Wallis, 2007 BCCA 377 (CanLII); R. v. Koenders, 2007 BCCA 378 (CanLII); R. v. Budd, 2010 BCCA 214 (CanLII); R. v. Kwiatkowski, 2010 BCCA 238 (CanLII); R. v. Bui, 2013 BCCA 168 (CanLII); and R. v. Van Santvoord, 2007 BCCA 23 (CanLII). The Crown says that these authorities establish a sentencing range of nine months to three years' incarceration for marihuana offences.
Il fait une revue de la jurisprudence ayant approuvé le nouveau régime de peine (paragr. 51) :
There are additional examples of judicial approval of the provisions in the marihuana production sentencing regime. These include Li, relating to the same provision at issue here; Serov, upholding s. 7(2)(b)(iv); R. v. Hofer2016 BCSC 1442 (CanLII), upholding s. 7(2)(b)(v); R. v. Hanna2015 BCSC 986 (CanLII), upholding s. 7(2)(b)(v); R. v. Kennedy2016 ONSC 3438, upholding s. 7(2)(b)(v) and s. 7(2)(b)(vi); andR. v. Vu2015 ONSC 5834 (CanLII), striking down ss. 7(2)(b)(i) and (ii), and the residential aggravating factor in s. 7(3)(c). These decisions do not dictate the result of the present case; however, I agree with the Crown that there is now a substantial body of jurisprudence upholding the mandatory minimum sentences under s. 7(2) for commercial grow ops of more than 200 plants. I am not persuaded that I should arrive at a different conclusion in this case.
Au final, une peine de 1 an est imposée.
[68]      En somme, ces décisions, tout comme certaines d’entre elles qui font une revue de la jurisprudence, se rejoignent toutes. Les facteurs de dénonciation et de dissuasion sont présents et doivent recevoir une attention particulière au sens du paragr. 43 de Nasogaluak précité.

L'interception sur un terrain privé VS 636 Csr

R. c. Gasse, 2013 QCCQ 8053 (CanLII)

Lien vers la décision

[29]      En premier lieu, nous devons déterminer si les policiers pouvaient intervenir de la manière dont ils ont procédé pour interpeller et sommer le requérant à subir un test de dépistage d’alcool. Il est clair de l'intervention des policiers qu'ils se croyaient investis des mêmes pouvoirs que ceux qu'ils utilisent habituellement lorsqu'ils exigent qu'un conducteur de véhicule automobile immobilise son véhicule sur la route, en vertu de l'article 636 du Code de la sécurité routière qui se lit ainsi:
«636. Un agent de la paix, identifiable à première vue comme tel, peut, dans le cadre des fonctions qu'il exerce en vertu du présent code, des ententes conclues en vertu de l'article 519.65 et de la Loi concernant les propriétaires, les exploitants et les conducteurs de véhicules lourds (chapitre P-30.3), exiger que le conducteur d'un véhicule routier immobilise son véhicule. Le conducteur doit se conformer sans délai à cette exigence.»
[30]      Dans la présente affaire, l'attention des policiers est attirée par un véhicule qui recule rapidement dans une entrée sans qu’ils ne puissent décrire rien de particulier au sujet de la conduite. Il est à se demander si c'est la façon dont le véhicule a reculé qui a attiré leur attention ou le fait qu'il y avait également trois personnes à l'extérieur qui discutaient à une heure tardive de la nuit.
[33]      Il est à noter que les observations des policiers se limitent à deux personnes à l'extérieur de leurs véhicules sur un terrain privé dont l’une vient de sortir de son véhicule qu'elle vient de déplacer.
[34]      Comme mentionné précédemment, leur façon de faire est similaire à celle qu'ils auraient utilisée s'ils avaient demandé à un automobiliste de s'immobiliser sur la route. Par contre, est-ce que l'article 636  du Code de sécurité routière trouve application en la présente affaire?
[35]      L'auteur Karl-Emmanuel Harrison dans la deuxième édition de son volume sur les capacités affaiblies, précise les exigences légales à cette sphère d’activité pour l'agent de la paix qui intervient en vertu de l'article 636 du Code de sécurité routière:
«L'agent de la paix a quatre exigences légales à satisfaire. Premièrement, il doit être identifiable comme tel à première vue. Deuxièmement, il ne doit utiliser ce pouvoir que dans l'exercice des fonctions qui lui sont attribuées par les lois relatives à la sécurité routière. Troisièmement, il ne peut requérir que l'immobilisation d'un véhicule routier. Quatrièmement, il ne peut demander qu'à un conducteur circulant sur un chemin public ou un lieu de circulation public de s'immobiliser.» (Soulignements du tribunal)
[36]      Or, la toute première question que le tribunal doit résoudre est de déterminer si les agents pouvaient exercer leur pouvoir en vertu de l'article 636 du Code de sécurité routière lorsqu'un véhicule est déjà immobilisé sur un terrain privé avant qu'ils ne le demandent et que le conducteur est à l'extérieur à discuter avec une autre personne?
[37]      Dans la décision Briand, le juge Michel Parent fait une analyse très détaillée de toute cette question et souligne qu’« afin de décider si l'agent de la paix agissait en vertu du Code de sécurité routière, il faut déterminer où était l'automobile lorsque l'agent a interpellé le conducteur et non pas où l'automobile a finalement décidé de s'immobiliser ».
[38]      Dans Briand, tout comme dans la présente affaire, toute l'interpellation policière a eu lieu sur un terrain privé alors que le conducteur avait déjà immobilisé son véhicule de sa propre volonté et sans contrainte. Dans ce type de circonstances, il est clair que l'agent de la paix n'agit pas dans le cadre de ses fonctions et la cour a décidé que le policier ne peut fonder son pouvoir d’intervention sur les prescriptions de l'article 636 du Code de sécurité routière. L'affaire Lacasse du juge Bellavance va également dans le même sens.
[39]      La Cour d'appel dans Harvey autorise l'intervention des policiers dans une entrée privée en utilisant le pouvoir prévu à l'article 636 du Code de sécurité routière. Cependant, cela survient après que les policiers aient suivi et observé le véhicule pendant un certain trajet sur la voie publique pour un motif précis et après avoir fait certaines constatations particulières quant au comportement de la conductrice. Il en va de même dans Élie où le conducteur a fait une manœuvre bizarre et qu’il a été suivi sur une certaine distance avant d’être intercepté sur la route, pour un motif précis relié à la conduite d’une automobile. La présente affaire se distingue très clairement de ces deux dernières décisions.
[40]      Dans le présent dossier, la Cour conclut que les policiers n’avaient aucun motif précis d’intervention et qu’ils ne se sont fondés sur aucune observation préalable sérieuse avant d’intercepter les deux personnes à l’extérieur, situées sur un terrain privé. Il ne s’agissait pour eux que d’aller voir ce qui se passait. La cour ne retient pas la version des policiers quant à la manœuvre prétendument observée et qu’ils voulaient voir l’état du conducteur. En accord avec les principes énoncés dans les décisions Briand et Lacasse, comme le véhicule était déjà immobilisé et que le conducteur en était sorti, les policiers ne pouvaient pas fonder leur intervention en application de l’article 636 du Code de la sécurité routière.
[41]      Toujours en référant à l'auteur Harrison, les policiers n'agissaient pas dans le cadre de leurs fonctions en vertu de la sécurité routière. En effet l'auteur précise que :
«(…) une interpellation ne peut pas se fonder sur la curiosité ou un caprice de la part de l'agent de la paix : Donnacona (Ville de )c. Plamondon [1996] A.Q. 2575 (QL) (CS). Lorsque le Code de la sécurité routière est détourné à d'autres fins ou qu'il sert uniquement à satisfaire, comme moyen d'enquête, la curiosité d'un policier, il en résulte une détention arbitraire qui n'est pas justifiable dans une société libre et démocratique. »
Ce passage trouve application dans la présente affaire compte tenu que les policiers n'avaient aucun véritable motif d'intervenir ou d'enquêter et qu'ils sont allés voir ce qui se passait à cet endroit, sans plus.
[42]      En second lieu, puisque les policiers n'intervenaient pas en l'application de l'article 636 du Code de la sécurité routière, pouvaient-ils intervenir en vertu de leur devoir général de préserver la paix et la sécurité du public ou plus précisément de leur pouvoir d'intervention de common law.
[43]      Pour exercer ces pouvoirs, les policiers doivent être en mesure de justifier certains motifs d’intervention (articulable cause), tel que mentionné dans l'arrêt R. c. Mann :
«Le critère servant à déterminer si un policier a agi conformément aux pouvoirs que lui confère la common law a d'abord été formulé par la Cour d'appel d'Angleterre en matière de juridiction criminelle dans l'arrêt Waterfield, précité, p. 660-661. Il s'est dégagé de cet arrêt une analyse à deux volets applicable lorsque la conduite du policier constitue à première vue une atteinte illicite à la liberté ou aux biens d'une personne. En pareil cas, le tribunal se demande d'abord si la conduite du policier à l'origine de l'atteinte entre dans le cadre général d'un devoir imposé à ce dernier par une loi ou par la common law. Si cette condition préliminaire a été satisfaite, le tribunal poursuit l'analyse et se demande si cette conduite, bien qu'elle respecte le cadre général du devoir en question, a donné lieu à un emploi injustifiable de pouvoirs afférents à ce devoir.» 
[44]      L'auteur Harrison sur le même sujet mentionne :
« Pour pouvoir légalement entraver, à des fins d'enquête, à la liberté de circulation d'un individu en l'absence d'une disposition législative ou réglementaire l'habilitant spécifiquement à le faire, il faut que l'agent de la paix soit en mesure d'établir le devoir dont il cherche à s'acquitter en procédant à l'interpellation de l'individu et de justifier celle-ci au regard de l'ensemble des circonstances. En outre, il doit pouvoir énoncer clairement un motif précis pour lequel il décide d'intercepter cette personne en particulier et, au surplus, que ce motif ait trait à la possibilité que cette personne sera relié à la commission d'une activité criminelle sous enquête. »
[45]      Plus loin, l’auteur précise :
« (…) Le policier n'ayant connaissance d'aucune infraction ni possibilité d'infraction au moment où il a décidé de procéder à l'interception, il n'enquêtait alors sur rien de particulier, sinon la présence d'un véhicule circulant sur une rue passante ou non, ce qui n'est pas susceptible de constituer une infraction en soi. Dès lors, rien ne lui permettait d'établir un motif précis qui lui permettrait de relier l'accusé à la commission ou à la possibilité de la commission d'une infraction quelconque. »
[46]      Dans la présente affaire, les policiers n'ont fait état d'aucun motif pouvant justifier une intervention même en vertu de leurs pouvoirs de common law. Il n'y avait aucune menace à la sécurité publique, aucune plainte relativement au fait que ces individus pouvaient troubler l'ordre public, faire du bruit ou quoi que ce soit. En fait, il n'y avait absolument aucun motif d'intervention pour les policiers, si ce n'est de satisfaire leur curiosité à la suite d'une manœuvre qu’ils qualifient d'étrange ou de particulière sans pouvoir en préciser la nature.
[47]      Donc, en appliquant le test mentionné dans l'arrêt Mann, la Cour conclut que les policiers n'agissaient pas dans le cadre général d'un devoir imposé par une loi ou par la common law lorsqu'ils ont décidé d'intervenir.