samedi 23 septembre 2017

Omission par les policiers de faciliter la communication avec un avocat sur les lieux de l’accident et à l’hôpital

R. c. Taylor, 2014 CSC 50, [2014] 2 R.C.S. 495

Lien vers la décision

[21]                          L’alinéa 10b) a pour objet « de permettre à la personne détenue non seulement d’être informée de ses droits et de ses obligations en vertu de la loi, mais également, voire qui plus est, d’obtenir des conseils sur la façon d’exercer ces droits » : Manninen, p. 1242‑1243.  Le droit à l’assistance d’un avocat « vise [. . .] à aider les détenus à recouvrer leur liberté et à les protéger contre le risque qu’ils s’incriminent involontairement » : R. c. Suberu, 2009 CSC 33 (CanLII)[2009] 2 R.C.S. 460, par. 40.  L’accès à des conseils juridiques fait en sorte qu’une personne qui se trouve sous le contrôle de l’État et encourt un risque juridique « [est] en mesure d’exercer un choix libre et éclairé quant à la décision de parler ou non aux enquêteurs de la police » : R. c. Sinclair, 2010 CSC 35 (CanLII)[2010] 2 R.C.S. 310, par. 25.
[22]                          Dans l’arrêt R. c. Bartle1994 CanLII 64 (CSC)[1994] 3 R.C.S. 173, le juge en chef Lamer a expliqué pourquoi l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat doit être facilité « sans délai » :
                    Cette possibilité lui est donnée, parce que, étant détenue par les représentants de l’État, [une personne] est désavantagée par rapport à l’État.  Non seulement elle a été privée de sa liberté, mais encore elle risque de s’incriminer.  Par conséquent, la personne « détenue » au sens de l’art. 10 de la Charte a immédiatement besoin de conseils juridiques, afin de protéger son droit de ne pas s’incriminer et d’obtenir une aide pour recouvrer sa liberté [. . .]  L’alinéa 10b) habilite la personne détenue à recourir de plein droit à l’assistance d’un avocat « sans délai » et sur demande.  [. . .] [L]e droit à l’assistance d’un avocat prévu à l’al. 10b) vise à assurer le traitement équitable dans le processus pénal des personnes arrêtées ou détenues.  [Italique ajouté; p. 191.]
[23]                          Il a également confirmé les trois obligations correspondantes qui ont été énoncées dans l’arrêt Manninen et s’imposent aux policiers qui arrêtent une personne ou la détiennent :
                    (1)  informer la personne détenue de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et de l’existence de l’aide juridique et d’avocats de garde;
                    (2)  si la personne détenue a indiqué qu’elle voulait exercer ce droit, lui donner la possibilité raisonnable de le faire (sauf en cas d’urgence ou de danger);
                    (3)  s’abstenir de tenter de soutirer des éléments de preuve à la personne détenue jusqu’à ce qu’elle ait eu cette possibilité raisonnable (encore une fois, sauf en cas d’urgence ou de danger).
(Bartle, p. 192, citant Manninen, p. 1241‑1242; R. c. Evans1991 CanLII 98 (CSC)[1991] 1 R.C.S. 869, p. 890; R. c. Brydges1990 CanLII 123 (CSC)[1990] 1 R.C.S. 190, p. 203‑204.)
[24]                          L’obligation d’informer le détenu de son droit à l’assistance d’un avocat prend naissance « immédiatement » après l’arrestation ou la mise en détention (Suberu, par. 41‑42), et celle de faciliter l’accès à un avocat prend pour sa part naissance immédiatement après que le détenu a demandé à parler à un avocat.  Le policier qui procède à l’arrestation a donc l’obligation constitutionnelle de faciliter à la première occasion raisonnable l’accès à un avocat qui est demandé.  Il incombe au ministère public de démontrer qu’un délai donné était raisonnable dans les circonstances (R. c. Luong (2000), 2000 ABCA 301 (CanLII)271 A.R. 368, par. 12 (C.A.)).  La question de savoir si le délai qui s’est écoulé avant que l’on facilite l’accès à un avocat était raisonnable est une question de fait.
[25]                          Il s’ensuit que, pour donner effet au droit à l’assistance d’un avocat, la police doit, sans délai dans les deux cas, informer les détenus des droits que leur garantit l’al. 10b) et faciliter l’exercice de ces droits sur demande en ce sens.  Cela signifie notamment qu’« à la demande [du détenu], on doit lui permettre d’utiliser le téléphone à cette fin s’il en est un de disponible » (Manninen, p. 1242). Tout cela parce que le détenu est sous le contrôle des policiers et ne peut exercer son droit de recourir à l’assistance d’un avocat que si ceux‑ci lui donnent une possibilité raisonnable de le faire (voir Brownridge c. La Reine1972 CanLII 17 (CSC)[1972] R.C.S. 926, p. 952‑953).
[26]                          Nul ne conteste que, tant que l’accès à un avocat qui est demandé n’a pas été fourni, les policiers doivent s’abstenir de prendre d’autres mesures d’investigation en vue de soutirer des éléments de preuve au détenu (R. c. Ross1989 CanLII 134 (CSC)[1989] 1 R.C.S. 3, p. 12; R. c. Prosper1994 CanLII 65 (CSC)[1994] 3 R.C.S. 236, p. 269). 
[28]                          Toutefois, les policiers ont néanmoins l’obligation de donner à une telle personne accès à un téléphone dès que cela est possible en pratique, afin de réduire le risque d’auto‑incrimination accidentelle, ainsi que l’obligation de s’abstenir de tenter de lui soutirer des éléments de preuve tant qu’ils ne lui ont pas facilité l’accès à un avocat.  L’alinéa 10b) ne crée pas le « droit » d’utiliser un téléphone précis, mais garantit effectivement à l’intéressé l’accès à un téléphone pour qu’il puisse exercer son droit à l’assistance d’un avocat à la première occasion raisonnable.
[31]                          Il peut fort bien se présenter des circonstances dans lesquelles il n’est pas possible d’aider une personne détenue qui reçoit un traitement médical d’urgence à avoir accès en privé à un avocat.  Comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt Bartle, les obligations qu’ont les policiers de donner effet aux droits garantis par l’al. 10b) sont nécessairement limitées lors de situations urgentes ou dangereuses.  Mais nous ne sommes pas en présence de telles circonstances restrictives en l’espèce.  Comme l’a affirmé le juge du procès, l’ambulancier paramédical [traduction] « n’estimait pas que l’état de l’accusé présentait quoi que ce soit d’anormal », mais il a amené celui‑ci à l’hôpital uniquement « par surcroît de prudence et conformément à la pratique habituelle ».  Une fois M. Taylor arrivé à l’hôpital, il s’est écoulé de 20 à 30 minutes avant que le personnel de l’hôpital effectue un prélèvement de son sang, soit plus de temps qu’il n’en fallait aux policiers pour demander si un téléphone était disponible ou si M. Taylor était médicalement apte à faire un appel téléphonique.
[32]                          Les policiers ont l’obligation de permettre l’accès à un avocat dès que la chose est possible en pratique.  Le fait de présumer, comme le suggère le juge du procès, qu’il est raisonnable de tarder à donner effet au droit à l’assistance d’un avocat pendant toute la période où l’accusé attend de recevoir un traitement médical à l’urgence d’un hôpital ainsi que pendant toute la durée de ce traitement, et ce, en l’absence de toute preuve des circonstances particulières en cause, compromettrait le respect de l’obligation constitutionnelle relative à l’accès « sans délai » à l’assistance d’un avocat.
[33]                          Les cas traités en salle d’urgence ne constituent pas nécessairement tous des urgences médicales telles que les communications entre un avocat et un accusé ne sont pas raisonnablement possibles.  Des droits constitutionnels ne sauraient être écartés sur la base de suppositions d’impossibilité pratique.  L’existence d’obstacles à l’accès doit être prouvée — et non pas supposée —, et des mesures proactives sont requises pour que le droit à un avocat se concrétise en accès à un avocat.
[34]                          La personne qui entre dans un l’hôpital pour y recevoir des soins médicaux ne se trouve pas dans une zone sans Charte.  Lorsqu’une personne a demandé à avoir accès à un avocat et qu’elle est sous garde à l’hôpital, les policiers sont tenus par l’al. 10b) de prendre des mesures pour vérifier s’il est dans les faits possible à cette personne d’avoir accès privément à un téléphone, eu égard aux circonstances.  Comme la plupart des hôpitaux sont dotés de téléphones, la question ne consiste pas simplement à déterminer si le détenu se trouvait à l’urgence, mais plutôt si le ministère public a démontré que les circonstances étaient telles qu’une conversation téléphonique privée n’était pas raisonnablement possible en pratique.

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