mardi 10 octobre 2017

L’al. 258 (1) c) du Code criminel et le prélèvement des échantillons d’haleine dès que matériellement possible

Simard c. R., 2016 QCCS 2712 (CanLII)

Lien vers la décision

[17]        Dans une affaire de conduite avec un taux d’alcoolémie dépassant la limite légale, la poursuite doit notamment prouver que les résultats des analyses obtenus au moyen de l’alcootest sont exacts et qu’ils donnent une indication de l’alcoolémie au moment de la commission de l’infraction.
[18]        L’al. 258 (1) c) du Code criminel prévoit une présomption pour faciliter la tâche de la poursuite à cet égard. Si la poursuite établit les faits énoncés aux sous-al. (ii) à (iv) de cette disposition, dont le prélèvement des échantillons d’haleine dès que matériellement possible selon le sous-al. (ii), les résultats des analyses sont tenus comme démontrant l’alcoolémie de l’accusé tant au moment des analyses qu’au moment où l’infraction a été commise, ceci à moins que l’accusé ne présente une preuve, avec certaines restrictions, soulevant un doute raisonnable sur le bon fonctionnement  ou l’utilisation correcte de l’alcootest (R. c. St-Onge Lamoureux2012 CSC 57 (CanLII)[2012] 3 RCS 187R. c. Gibson2008 CSC 16 (CanLII)[2008] 1 RCS 397R. c. Boucher2005 CSC 72 (CanLII)[2005] 3 RCS 499R. c. St. Pierre1995 CanLII 135 (CSC)[1995] 1 RCS 791).
[19]        Les exigences préalables à l’application de la présomption se lisent comme suit:
(ii) chaque échantillon a été prélevé dès qu’il a été matériellement possible de le faire après le moment où l’infraction aurait été commiseet, dans le cas du premier échantillon, pas plus de deux heures après ce moment, les autres l’ayant été à des intervalles d’au moins quinze minutes,
(iii) chaque échantillon a été reçu de l’accusé directement dans un contenant approuvé ou dans un alcootest approuvé, manipulé par un technicien qualifié,
(iv) une analyse de chaque échantillon a été faite à l’aide d’un alcootest approuvé, manipulé par un technicien qualifié;
[Soulignement ajouté]
[20]        Bien évidemment, le fardeau d’établir les prérequis à l’application de la présomption, mentionnés aux sous-al. 258 (1) c) (ii) à (iv), incombe à la poursuite (R. c. Burwell2015 SKCA 37 (CanLII), par. 93; R. c. O’Meara2012 ONCA 420 (CanLII), par. 28; R. c. Vanderbruggen (2006), 2006 CanLII 9039 (ON CA)206 CCC (3d) 489 (CAO), par. 8 à 17; R. c. Maroussis2016 QCCS 209 (CanLII), par. 29 et 30).
[21]        Ainsi, contrairement à ce qu’a avancé l’intimée, une requête en exclusion de preuve en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés n’est pas requise lorsqu’il s’agit de décider de l’application de la présomption eu égard aux exigences préalables mentionnées aux sous-al. 258 (1) c) (ii) à (iv) du Code criminel. En effet, dans ce contexte, l’enjeu n’est pas l’admissibilité en preuve des résultats de l’alcootest mais plutôt les effets de ceux-ci. Il n’est pas non plus question de déterminer si les échantillons d’haleine ont été obtenus en vertu d’un ordre valide au sens du par. 254 (3) du Code et des droits garantis par la Charte, c’est-à-dire un ordre qui est notamment fondé sur des « motifs raisonnables de croire ». Il y a donc lieu de distinguer la situation sous études de celles examinées dans les arrêts R. c. Anderson,2013 QCCA 2160 (CanLII)R. c. Forsythe2009 MBCA 123 (CanLII); et R. c. Charrette2009 ONCA 310 (CanLII).
[22]        L’arrêt ontarien Vanderbruggen, précité, aux par. 12 et 13, expose, dans les termes suivants, le droit relatif à l’exigence de la prise d’échantillons d’haleine dès que matériellement possible:
[12]      That leaves the question that is at the heart of this appeal—the meaning of as soon as practicable.  Decisions of this and other courts indicate that the phrase means nothing more than that the tests were taken within a reasonably prompt time under the circumstances. (…) There is no requirement that the tests be taken as soon as possible. The touchstone for determining whether the tests were taken as soon as practicable is whether the police acted reasonably.  (…)
[13]      In deciding whether the tests were taken as soon as practicable, the trial judge should look at the whole chain of events bearing in mind that the Criminal Code permits an outside limit of two hours from the time of the offence to the taking of the first test.   The “as soon as practicable” requirement must be applied with reason.  In particular, while the Crown is obligated to demonstrate that—in all the circumstances—the breath samples were taken within a reasonably prompt time, there is no requirement that the Crown provide a detailed explanation of what occurred during every minute that the accused is in custody. (…)
[Citations omises]

[26]        Ce moyen est sans fondement. Selon la preuve, les policiers ont fait remorquer le véhicule de l’appelante pour les deux motifs invoqués ci-dessus. Une lecture attentive du jugement de première instance ne révèle aucune erreur sur ce point. De toute façon, l’un et l’autre des motifs de remorquage étaient raisonnables et, en définitive, ils étaient tous deux imputables à l’appelante. Par ailleurs, le juge examine avec justesse les agissements des policiers à cet égard. Dans les circonstances de la présente affaire, l’attente de la dépanneuse était raisonnable. De plus, il fallait prendre le temps nécessaire pour inspecter le véhicule et préparer la documentation requise pour le remorquage et le remisage du véhicule.
[27]        Ensuite, l’appelante plaide que le juge a commis une erreur en considérant que le délai total écoulé jusqu’à la prise du premier échantillon d’haleine était bien en deçà de la limite de deux heures fixée par le sous-al. 258 (1) c) (ii). Elle soutient que l’exigence de prélever les échantillons d’haleine dès que matériellement possible et celle du délai maximal de deux heures sont bien distinctes et qu’elles ne doivent pas être amalgamées.
[28]        Dans son jugement, le juge du procès ne confond aucunement les exigences distinctes du sous-al. 258 (1) c) (ii). De plus, il est tout à fait approprié de considérer la limite de deux heures, parmi l’ensemble des circonstances, pour décider du caractère raisonnable du délai. Dans Vanderbruggen, précité, au par. 13, il est précisément affirmé que le juge doit avoir à l’esprit la limite de deux heures lorsqu’il cherche à déterminer si le test a été effectué dès que matériellement possible: « In deciding whether the tests were taken as soon as practicable, the trial judge should look at the whole chain of events bearing in mind that the Criminal Code permits an outside limit of two hours from the time of the offence to the taking of the first test ».  
[29]        Enfin, l’appelante soutient que le témoignage du policier n’explique pas avec suffisamment de précision le délai survenu entre l’arrestation et le début de la prise des échantillons d’haleine pour les fins de l’alcootest. Elle souligne certaines lacunes dans le récit de l’agent. En substance, elle plaide qu’il était déraisonnable de conclure que le test a été fait dès que matériellement possible en se fondant sur la preuve présentée au procès par l’intimée.
[30]        Il est vrai que le policier a été incapable d’expliquer en détail certains aspects du déroulement des évènements. Cependant, comme le mentionne l’arrêt Vanderbruggen, précité, au par. 13, la poursuite n’avait pas à présenter une preuve parfaite: « there is no requirement that the Crown provide a detailed explanation of what occurred during every minute that the accused is in custody ».
[31]        Bien que l’exigence de la prise d’échantillons d’haleine dès que matériellement possible soit une norme juridique dont l’interprétation soulève une question de droit, l’appréciation de la preuve relative à son application dans un cas donné soulève une question de fait qui doit être examinée avec déférence en appel (R. c. Vanderbruggen, précité, par. 14; R. c. Burwell, précité, par. 87; R. c. Duong2015 ONSC 5676 (CanLII), par. 14).

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