vendredi 12 janvier 2018

Comment valablement apprécier si une personne se qualifie comme étant en situation d'autorité

R. c. C. S., 2006 NBCP 7 (CanLII)

Lien vers la décision

[41]     Dans l’arrêt Hodgson, le juge Cory a réitéré que le fait que le défendeur croit subjectivement que la personne est en situation d’autorité est important pour déterminer la véritable qualité de la personne qui a reçu la déclaration. Il a toutefois ajouté qu’il doit y avoir un fondement raisonnable à la croyance subjective que la personne qui reçoit la déclaration a quelque influence sur le déroulement des poursuites judiciaires. Il a ajouté, aux paragraphes 33 et 34 :

[33]  Notre Cour a adopté l’approche subjective à l’égard de l’exigence relative à la personne en situation d’autorité. Voir l’arrêt Rothman, précité, à la p. 663. L’approche adoptée par le juge McIntyre (plus tard juge de notre Cour) dans R. c. Berger (1975), 27 C.C.C. (2d) 357 (C.A.C.‑B.), aux pp. 385 et 386 constitue, à mon avis, un exposé clair du droit pertinent :

[TRADUCTION] Il est établi, en droit, que la personne en situation d’autorité est une personne concernée par les poursuites judiciaires et qui, de l’avis de l’accusé, peut en influencer le déroulement. Le critère à appliquer pour décider si les déclarations faites à des personnes ayant de tels liens avec les poursuites judiciaires sont volontaires est subjectif. En d’autres mots, que pensait l’accusé? À qui croyait‑il parler? [. . .] Avait‑il l’impression que s’il ne parlait pas à cette personne, qui avait le pouvoir d’influencer les poursuites judiciaires, il en subirait un préjudice, ou croyait‑il qu’une déclaration lui permettrait d’obtenir un avantage ou une récompense? Si l’accusé n’avait pas une telle impression, la personne à laquelle la déclaration a été faite n’est pas considérée comme une personne en situation d’autorité et la déclaration est admissible.
[34]  Toutefois, j’ajouterais à cet énoncé que la croyance de l’accusé qu’il parle à une personne en situation d’autorité doit également être raisonnable eu égard aux circonstances dans lesquelles il fait la déclaration. […]
[42]     Le juge a ensuite donné, au paragraphe 35, plusieurs exemples de personnes en situation d’autorité :
[35]  Au fil des ans, les tribunaux ont établi à quel moment et dans quelles circonstances une personne est réputée être une personne en situation d’autorité pour l’application de la règle des confessions. Voir, p. ex., R. c. Trenholme(1920), 1920 CanLII 461 (QC CA)35 C.C.C. 341 (B.R. Qué.) (il a été jugé que le père du plaignant est une personne en situation d’autorité lorsqu’il a un certain pouvoir sur les poursuites contre l’accusé); R. c. Wilband,1966 CanLII 3 (SCC)[1967] R.C.S. 14 (un psychiatre n’est pas une personne en situation d’autorité lorsqu’il n’a ni pouvoir ni influence sur le déroulement des procédures); R. c. Downey (1976), 32 C.C.C. (2d) 511 (C.S.N.‑É., Div. app.) (la victime est une personne en situation d’autorité si l’accusé croyait raisonnablement qu’elle avait un certain pouvoir sur les procédures); A.B., précité (le père ou la mère ne sont pas, en droit, des personnes en situation d’autorité s’il n’y a aucun lien étroit entre la décision d’appeler les autorités et l’encouragement donné à un enfant pour qu’il fasse une déclaration); R. c. Sweryda (1987), 1987 ABCA 75 (CanLII)34 C.C.C. (3d) 325 (C.A. Alb.)(une travailleuse sociale est une personne en situation d’autorité si l’accusé savait qu’elle enquêtait sur des allégations de mauvais traitements infligés à des enfants et croyait que cela pouvait entraîner son arrestation). Ces décisions n’ont pas dérogé à la règle directrice qui définit la personne en situation d’autorité en fonction de la perception qu’a l’accusé du rôle que joue, dans l’enquête ou la poursuite du crime, la personne à laquelle il fait la déclaration; et elles n’ont pas non plus défini la personne en situation d’autorité en fonction uniquement de l’autorité personnelle que cette personne peut exercer sur l’accusé. Dans les cas où les tribunaux ont jugé que la personne qui avait reçu la déclaration était une personne en situation d’autorité, ils ont systématiquement conclu que l’accusé croyait que cette personne était un allié des autorités étatiques et pouvait influencer l’enquête ou les poursuites le visant.
[43]     D’autres remarques qu’il a faites au paragraphe 36 sont importantes pour la décision à rendre en l’espèce :
[36] Le facteur important à souligner dans toutes ces affaires est que, hormis les agents de la paix et les gardiens de prison, il n’existe aucune liste de personnes qui sont considérées d’office comme des personnes en situation d’autorité du seul fait de leur qualité. Un parent, un médecin, un enseignant ou un employeur peuvent tous être considérés comme des personnes en situation d’autorité si les circonstances le justifient, mais leur qualité, ou le simple fait qu’ils peuvent exercer une certaine autorité personnelle sur l’accusé, ne suffit pas à faire d’eux des personnes en situation d’autorité pour l’application de la règle des confessions. […] [C’est moi qui ajoute l’italique.]
[44]     Pour que la question soit soulevée au procès, la preuve présentée doit au moins satisfaire au critère énoncé aux paragraphes 37 et 38 de l’arrêt Hodgson :

[37] […] Toutefois, eu égard à l’exigence relative à la personne en situation d’autorité, la preuve requise pour établir si une personne doit être considérée comme une personne en situation d’autorité incombera souvent principalement à l’accusé. Ce dernier a donc une certaine obligation relativement à cet aspect de la règle des confessions. Il s’agit d’un fardeau de présentation et non de persuasion. Voir, p. ex., R. c. Scott (1984), 1 O.A.C. 397, à la p. 399. Dans The Law of Evidence in Canada (1992), aux pp. 56 et 57, John Sopinka, Sidney N. Lederman et Alan W. Bryant expliquent ainsi la différence entre ces deux fardeaux:

[TRADUCTION] L’expression fardeau de présentation signifie qu’une partie a la responsabilité de s’assurer qu’il y a au dossier suffisamment d’éléments de preuve de l’existence ou l’inexistence d’un fait ou d’un point litigieux pour satisfaire au critère préliminaire applicable à ce fait ou à cette question. [. . .] Par contre, l’expression fardeau de la preuve signifie qu’une partie a l’obligation de prouver ou de réfuter un fait ou un point litigieux eu égard à la norme en matière criminelle ou civile. Le fait de ne pas convaincre le juge des faits suivant la norme applicable signifie que la partie n’aura pas gain de cause sur ce point.

Le fardeau de présentation qui incombe à l’accusé dans une affaire criminelle est décrit de la manière suivante (à la p. 138) :

[TRADUCTION] Lorsque le fardeau de présentation relativement à une question incombe au défendeur dans une affaire criminelle, par exemple la légitime défense, l’accusé est tenu de s’assurer qu’il y a au dossier des éléments de preuve permettant d’en faire une question en litige. Les éléments nécessaires pour satisfaire au fardeau de présentation peuvent se trouver dans la preuve du ministère public ou de la défense.

[38]  Dans la très grande majorité des cas, l’accusé s’acquittera de ce fardeau de présentation en prouvant qu’il connaissait l’existence du lien entre la personne recevant la déclaration et la police ou les autorités chargées des poursuites. Par exemple, le fait que la déclaration ait été faite à un agent de police en uniforme ou qui s’est identifié comme étant un agent de la paix permettra à l’accusé de s’acquitter du fardeau de présentation en ce qui concerne l’exigence relative à la personne en situation d’autorité. Voir, p. ex., Morris c. La Reine1979 CanLII 243 (CSC),[1979] 2 R.C.S. 1041, à la p. 1066. Une fois que l’accusé s’acquitte du fardeau de présentation, le fardeau ultime de la preuve incombe au ministère public. Voir R. c. McKenzie[1965] 3 C.C.C. 6 (C.S. Alb., Div. app.), à la p. 28. Dans R. c. Postman (1977), 1977 ALTASCAD 92 (CanLII)3 A.R. 524, à la p. 542, la Cour suprême de l’Alberta, Division d’appel, a statué, à juste titre à mon avis, que lorsqu’un témoin n’est pas à première vue une personne en situation d’autorité (dans cette affaire, il s’agissait d’un médecin), [TRADUCTION] « il est loisible à l’avocat de la défense de contester la preuve prima facie et d’exiger que des éléments de preuve soient produits pour permettre de statuer sur les faits de l’espèce ». Ainsi, une fois que la défense s’acquitte de son fardeau et établit que la preuve confirme la prétention que la personne qui a reçu la déclaration était une personne en situation d’autorité, il appartient alors au ministère public de prouver hors de tout doute raisonnable soit que la personne qui a reçu la déclaration n’était pas une personne en situation d’autorité, soit, s’il est impossible de faire cette preuve, que la déclaration a été faite volontairement.
[45]     C’est le même critère qui s’appliquerait pour qu’un défendeur puisse présenter une défense affirmative à un procès criminel. Ainsi, la question doit respecter le critère ou avoir assez de vraisemblance, si une preuve présentée par le ministère public ou la défense ou qui ressort du dossier lui-même pourrait permettre à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant de façon raisonnable, dans le cas d’une affaire donnant lieu à une défense affirmative, de prononcer l’acquittement. Voir R. c. Cinous2002 CSC 29 (CanLII)[2002] 2 R.C.S. 3 (C.S.C.)R. c. Fontaine, 2004 CSC 27 (CanLII)[2004] 1 R.C.S. 702 (C.S.C.), aux paragraphes 64 à 74, R. c. Cornejo (2003),2003 CanLII 26893 (ON CA)18 C.R. (6th) 124 (C.A. Ont.)R. c. O’Brien (R.S.) (2003), 2003 NBCA 28 (CanLII)257 R.N.‑B. (2e) 243(C.A.N.‑B.), aux paragraphes 113, 114, 116 et 120, et R. c. T.K.E., [2005] A.N.‑B. no 91 (C.A.N.‑B.), au paragraphe 34.
[46]     Dans sa conclusion sur la question, le juge Cory a donné un résumé utile des principes applicables pour évaluer, d’une part, si une déclaration a été faite à une personne en situation d’autorité, et, d’autre part, si elle était volontaire. Les points 3, 4 et 5 du résumé donné au paragraphe 48 de l’arrêt Hodgson sont particulièrement pertinents quant à la question de la personne en situation d’autorité :

3. La règle s’applique lorsque l’accusé fait une déclaration à une personne en situation d’autorité. Bien qu’il ne soit ni nécessaire ni souhaitable de définir de manière absolue l’expression « personne en situation d’autorité », cette expression vise habituellement les personnes qui participent officiellement à l’arrestation, à la détention, à l’interrogatoire ou à la poursuite de l’accusé. En conséquence, elle s’applique aux personnes tels les policiers et les gardiens de prison. Lorsque la déclaration de l’accusé est faite à un policier ou à un gardien de prison, un voir‑dire doit être tenu pour déterminer si la déclaration est admissible en tant que déclaration volontaire, sauf si l’avocat de l’accusé renonce au voir-dire.

4. Peuvent aussi être des personnes en situation d’autorité les personnes qui, selon ce que croit raisonnablement l’accusé, agissent pour le compte de la police ou des autorités chargées des poursuites et pourraient, de ce fait, avoir quelque influence ou autorité sur les poursuites engagées contre lui. Cette question doit être tranchée au cas par cas.

5. Pour déterminer qui est une personne en situation d’autorité, il faut examiner la question subjectivement, du point de vue de l’accusé. Toutefois, la croyance de l’accusé que la personne qui entend sa déclaration est une personne en situation d’autorité doit avoir un fondement raisonnable.

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