O'Reilly c. R., 2017 QCCA 1283
[124] Plus récemment, dans l’arrêt Sadikov, le juge Watt a repris ces propos afin de décrire la distinction entre les contestations, lesquelles sont souvent présentées de façon simultanée, la contestation de la validité apparente étant présentée avec une demande pour contre-interroger le déclarant ou présenter une preuve afin d’en attaquer la validité au fond[55] :
[36] […] Challenges to the constitutionality of warranted searches may involve either or both a facial and sub-facial attack on the authorizing warrant. No reason in principle requires a separate voir dire for each mode of attack, although many prefer a discrete hearing for each.
[37] A facial validity challenge requires the reviewing judge to examine the ITO and to determine whether, on the face of the information disclosed there, the justice could have issued the warrant: R. v. Araujo, 2000 SCC 65, [2000] 2 S.C.R. 992, at para. 19. The record examined on a facial review is fixed: it is the ITO, not an amplified or enlarged record: R. v. Wilson, 2011 BCCA 252, 272 C.C.C. (3d) 269, at para. 39.
[38] Sub-facial challenges go behind the form of the ITO to attack or impeach the reliability of its content: Araujo, at para. 50; and Wilson, at para. 40. Sub-facial challenges involve an amplified record, but do not expand the scope of review to permit the reviewing judge to substitute his or her view for that of the authorizing judicial officer: Araujo, at para. 51; and R. v. Garofoli, 1990 CanLII 52 (CSC), [1990] 2 S.C.R. 1421, at p. 1452. The task of the reviewing judge on a sub-facial challenge is to consider whether, on the record before the authorizing justice as amplified on the review, the authorizing justice could have issued the warrant: Araujo, at para. 51; and Garofoli, at p. 1452. The analysis is contextual: Araujo, at para. 54. The reviewing judge should carefully consider whether sufficient reliable information remains in the amplified record, in other words, information that might reasonably be believed, on the basis of which the enabling warrant could have issued: Araujo, at para. 52.
[125] Dans le cadre d’une contestation de la validité au fond (« sub-facial validity ») de l’autorisation judiciaire, un accusé n’a pas un droit au contre-interrogatoire du déclarant; pour qu’il lui soit permis de le faire, l’accusé doit établir que le contre-interrogatoire est susceptible d’assister le juge réviseur dans sa prise de décision[56].
[126] Ainsi, le juge Sopinka a précisé dans Garofoli que l’accusé n’a pas un droit strict de contre-interroger le déclarant. Tout en écartant les critères fondés sur la décision de la Cour suprême des États-Unis dans Franks v. Delaware[57], le juge Sopinka a proposé une approche fonctionnelle qui se fonde sur la discrétion judiciaire d’autoriser ou non un tel contre-interrogatoire[58] :
[…] Il faut obtenir l'autorisation de contre‑interroger. Cette autorisation relève de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge du procès et devrait être accordée lorsqu'il est convaincu que le contre‑interrogatoire est nécessaire pour permettre à l'accusé de préparer une défense complète. L'accusé doit démontrer qu'il y a des motifs de penser que le contre‑interrogatoire apportera un témoignage tendant à réfuter la présence d'une des conditions préalables à l'autorisation, dont par exemple l'existence de motifs raisonnables et probables.
[127] Même si l’accusé invoque la fausseté de certains renseignements énoncés à la dénonciation sous serment, cela ne justifiera pas nécessairement le contre-interrogatoire du déposant, vu qu’une croyance raisonnable en l’existence des motifs légaux requis suffit afin de justifier la délivrance d’une autorisation judiciaire. Le contre-interrogatoire ne sera donc permis que si l’accusé démontre une probabilité raisonnable que cela permettra également d’établir que le déposant savait ou aurait dû savoir que les renseignements contestés étaient faux[59].
[128] La validité constitutionnelle de l’exigence d’une autorisation préalable pour la tenue d’un tel contre-interrogatoire a été affirmée dans Pires. Dans cet arrêt, le critère pour permettre ce contre-interrogatoire a été décrit ainsi par la juge Charron : « la défense doit démontrer qu’il existe une probabilité raisonnable que le contre-interrogatoire du déposant apporte un témoignage probant à l’égard de la question soumise à l’appréciation du juge siégeant en révision », soit la question de l’admissibilité de la preuve recueillie (soulignement ajouté)[60].
[129] La juge Charron note d’ailleurs que ce critère repose sur deux principes en matière de preuve, soit la pertinence et le caractère substantiel (« materiality ») et qu’il découle de préoccupations liées notamment à la nécessité de veiller à ne pas entraver le processus judiciaire criminel par de longues procédures qui n’aident en rien à la résolution des questions pertinentes[61]. Aujourd’hui, prenant en compte le récent arrêt R. c. Jordan[62] portant sur le droit à un procès dans un délai raisonnable, les commentaires suivants de la juge Charron à ce propos sont d’autant plus appropriés[63] :
[35] Les préoccupations touchant l’utilisation judicieuse des ressources judiciaires sont tout aussi légitimes aujourd’hui, et peut‑être même davantage, qu’elles ne l’étaient il y a 15 ans, à l’époque où l’arrêt Garofoli a été prononcé. Pour que notre système de justice fonctionne, les juges qui président les procès doivent être en mesure de veiller au bon déroulement des instances. L’un des mécanismes leur permettant d’y arriver est le pouvoir de refuser de procéder à une audition de la preuve lorsque la partie qui en fait la demande est incapable de démontrer qu’il est raisonnablement probable que cette audience aidera à résoudre les questions soumises au tribunal.
[Soulignement ajouté]
[130] Dans R. c. Jesse, le juge Moldaver a réitéré le critère de la « probabilité raisonnable » pour refuser la production d’éléments de preuve afin de permettre à un accusé de contester la validité d’une condamnation antérieure, invoquant à cette fin le pouvoir des juges d’instance de gérer les procès afin de permettre que les ressources judiciaires ne soient pas gaspillées dans des contestations futiles[64] :
[63] Dans les affaires comme celle de l’espèce, vu la norme de preuve peu élevée (soit qu’il existe « des éléments de preuve ») à laquelle il faut satisfaire pour rattacher l’accusé aux faits similaires, le juge du procès pourrait, au moment du voir‑dire, rejeter une demande visant la production d’éléments de preuve pour contester l’admissibilité d’une déclaration de culpabilité s’il estime qu’il n’y a aucune probabilité raisonnable que celle‑ci ait une incidence sur l’admissibilité de la preuve. Là encore, il s’agit d’une question liée au droit du juge d’être maître de la conduite de l’instance. Les ressources judiciaires sont limitées et doivent être utilisées de manière constructive plutôt que gaspillées pour des contestations futiles. […]
[Soulignement ajouté]
[131] De même, dans la récente décision Groupe de la Banque Mondiale c. Wallace, les juges Moldaver et Côté ont réitéré ce critère afin de permettre aux juges d’instance de cerner les débats sur les enjeux pertinents[65] :
[126] L’accusé qui présente une demande de type Garofoli ne peut contre‑interroger le déposant qu’avec l’autorisation du juge du procès, qui l’accorde si l’accusé démontre « qu’il existe une probabilité raisonnable que le contre‑interrogatoire du déposant apporte un témoignage probant à l’égard de la question soumise à l’appréciation du juge siégeant en révision » (Pires, par. 3; voir aussi Garofoli, p. 1465). Bref, l’accusé doit démontrer que le contre‑interrogatoire est raisonnablement susceptible de se révéler utile lorsqu’il s’agit de trancher sa demande.
[127] Dans l’arrêt Pires, la Cour a confirmé la constitutionnalité de l’exigence subordonnant le contre‑interrogatoire du déposant à l’autorisation judiciaire ainsi que du critère applicable, et ce, pour trois raisons. Premièrement, le critère applicable à une demande de type Garofoli circonscrit le type de questions sur lesquelles peut porter le contre‑interrogatoire (Pires, par. 40‑41). Le critère sert principalement à assurer la pertinence du contre‑interrogatoire (par. 3 et 31). Deuxièmement, le contre‑interrogatoire comporte le risque que l’identité confidentielle des informateurs soit révélée par inadvertance (par. 36). Troisièmement, le contre‑interrogatoire peut entraîner du gaspillage et des retards inutiles. Le critère « n’est rien de plus qu’un moyen de s’assurer que [. . .] l’instance demeure sur la bonne voie » (par. 31).
[…]
[133] Le critère de la « probabilité raisonnable » convient à une demande de type Garofoli. Il est équitable pour l’accusé, qui n’a pas à prouver au préalable la preuve sollicitée. Du même coup, il empêche les recherches à l’aveuglette et assure une utilisation efficace des ressources judiciaires. Bref, il circonscrit l’analyse aux questions pertinentes à l’égard d’une demande de type Garofoli, qui sont plus limitées que celles qui intéressent l’affaire dans son ensemble.
[Soulignement ajouté]
[132] Cependant, même si le contre-interrogatoire est refusé, l’accusé peut toujours demander la permission de présenter une autre preuve pertinente susceptible d’affaiblir la fiabilité de la dénonciation sous serment au soutien de l’autorisation judiciaire, tel que le soulignait le juge Watt dans R. v. Sadikov[66] :
[41] Refusal of leave to cross-examine the affiant removes any evidence that might have been elicited on cross-examination from what an applicant may rely upon to attack the reliability of the content of the ITO on a sub-facial review. The applicant remains free, however, to adduce other relevant and material evidence, admissible on the inquiry into sub-facial validity, in an attempt to show, based on the amplified record, that no sufficiently reliable information remains on the basis of which the warrant could have issued: Pires; Lising, at para. 32. […]
[47] Nothing in the controlling jurisprudence expressly or by necessary implication supports the proposition that refusal of leave to cross-examine the affiant precludes a sub-facial challenge to the reliability of the contents of the ITO. Indeed, a canvass of those precedents would seem to support a contrary conclusion: see e.g. Pires; Lising, at para. 32.
[Soulignement ajouté]
[133] Cela étant, le juge réviseur peut refuser la présentation d’une telle preuve selon le même critère de la « probabilité raisonnable ». En effet, dans Pires, la juge Charron laisse clairement entendre que ce critère s’étend non seulement au refus du contre-interrogatoire du déclarant, mais aussi à toute autre preuve, vu les préoccupations légitimes touchant l’utilisation judicieuse des ressources judiciaires et le bon déroulement des instances[67], ce qui reflète d’ailleurs les propos précités du juge Moldaver dans Jesse et (avec la juge Côté) dans Groupe de la Banque Mondiale c. Wallace. C’est d’ailleurs l’approche retenue par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans R. v. Wilson[68] et R. v. Bains[69] et par la Cour d’appel du Manitoba dans R. v. Le[70].
[134] Le juge réviseur jouit d’une large discrétion pour autoriser ou non le contre-interrogatoire ou toute autre nouvelle preuve. Il peut notamment vérifier si, après la suppression des éléments contestés de la dénonciation sous serment, des renseignements fiables et suffisants demeurent, qui justifient néanmoins que l’autorisation judiciaire ait été décernée selon les critères juridiques applicables. Si tel est le cas, le contre-interrogatoire ou la présentation d’une autre preuve devient futile.
[135] De même, bien que chaque voir-dire demeure une instance distincte, le juge du procès jouit néanmoins d’une large discrétion pour refuser le contre-interrogatoire ou une autre preuve portant sur des éléments contestés de la dénonciation sous serment qui ont déjà fait l’objet d’une décision antérieure de sa part dans le cadre d’autres voir-dire. Dans le cadre de la gestion du procès, il est tout à fait légitime pour un juge d’instance de ne pas permettre à la défense de présenter à répétition des moyens qui lui ont déjà été refusés ou de refuser d’entendre des demandes manifestement frivoles. De même, afin de s’assurer que le procès suive son cours dans des délais raisonnables, le juge d’instance peut prendre toutes les mesures légitimes requises y compris toutes les mesures de gestion qu’il juge appropriées pour trancher les requêtes en exclusion de la preuve avec justice, équité et célérité.
[136] À ces égards, les récents propos de la Cour suprême du Canada dans R. c. Cody[71] sont éloquents :
[38] En outre, les juges de première instance devraient utiliser leurs pouvoirs de gestion des instances pour réduire les délais au minimum. Par exemple, avant de permettre qu’une demande soit entendue, le juge de première instance devrait se demander si elle présente des chances raisonnables de succès. À cette fin, il peut notamment demander à l’avocat de la défense de résumer la preuve qu’il prévoit présenter lors du voir dire, puis rejeter celle‑ci sommairement si ce résumé ne révèle aucun motif qui indiquerait que la demande a des chances d’être accueillie (R. c. Kutynec (1992), 1992 CanLII 7751 (ON CA), 7 O.R. (3d) 277 (C.A.), p. 287‑289; R. c. Vukelich (1996), 1996 CanLII 1005 (BC CA), 108 C.C.C. (3d) 193 (C.A.C.‑B.)). De plus, même s’il permet que la demande soit entendue, le juge de première instance continue d’exercer sa fonction de filtrage : les juges de première instance ne devraient pas hésiter à rejeter sommairement des « demandes dès qu’il apparaît évident qu’elles sont frivoles » (Jordan, par. 63). […]
[137] Il appartient au juge d’instance de gérer le procès et les divers incidents qui se présentent dans le cours de celui-ci, y compris les requêtes en exclusion de la preuve menant à des voir-dire, afin de s’assurer que le processus ne s’enlise pas dans des débats inutiles ou qui ont peu d’impact sur les enjeux véritables. Comme le signalait le juge Watt dans R. v. Sadikov[72], « [t]he manner in which a voir dire is to be conducted is left to the discretion of the presiding judge, and is not subject to rigid or pre-fabricated rules ».
[138] Si le contre-interrogatoire du déclarant ou la présentation d’une autre preuve n’est pas autorisé dans le cadre du voir-dire selon le critère de la « probabilité raisonnable », cela ne dispense pas toutefois le juge réviseur de décider de la validé apparente (« facial validity ») de l’autorisation judiciaire sur la foi de la dénonciation sous serment à son soutien afin de s’assurer que les critères établis par la loi pour l’émission de celle-ci ont été respectés. En effet, à moins que la demande soit frivole, un juge ne peut refuser de statuer sur une opposition à l’admissibilité d’une preuve obtenue sous autorisation judiciaire qui allègue une violation des droits constitutionnels de l’accusé, comme le signalait le juge Sopinka dans R. c. Garofoli[73] :
Une opposition à l'utilisation de la preuve constitue très certainement un accessoire nécessaire du procès. Le juge du procès devant qui une preuve recueillie par écoute électronique est présentée doit se prononcer sur une opposition qui allègue la violation des droits constitutionnels de l'accusé. Il a compétence et il ne peut refuser de statuer.
[139] Si le juge du procès peut gérer le voir-dire et s’il peut refuser le contre-interrogatoire du déclarant et l’administration de toute autre preuve visant à contester la validité au fond de l’autorisation judiciaire, il ne peut refuser de vérifier la validité constitutionnelle de l’autorisation judiciaire en s’assurant qu’elle répond aux critères juridiques requis pour son émission. Bien que le fardeau repose sur l’accusé selon la prépondérance des probabilités, il appartient néanmoins au juge de révision de considérer les moyens soumis afin de vérifier à tout le moins la validité apparente (« facial validity ») de l’autorisation.
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