dimanche 20 août 2023

« Nouveau départ » et la condition de base

R. c. Beaver, 2022 CSC 54

Lien vers la décision


[95]                        Le paragraphe 24(2) de la Charte n’entre en jeu que lorsque l’accusé démontre d’abord que des éléments de preuve ont été « obtenus dans des conditions » qui portent atteinte à la Charte. La condition de base [traduction] « exige qu’il y ait un lien » entre la violation de la Charte et les éléments de preuve, sans quoi « le par. 24(2) ne s’applique pas » (R. c. Manchulenko2013 ONCA 543, 116 O.R. (3d) 721, par. 71, le juge Watt). Pour déterminer si des éléments de preuve ont été « obtenus dans des conditions » qui violent la Charte, il faut procéder à une analyse des faits de l’espèce pour vérifier l’existence et le caractère suffisant du lien entre la violation de la Charte et les éléments de preuve obtenus. Il n’existe pas « de règle stricte » (Strachan, p. 1006; Tim, par. 78).

[96]                        Les principes généraux régissant l’application de la condition de base ont été utilement résumés par le juge Moldaver dans l’arrêt R. c. Mack2014 SCC 58 (CanLII), 2014 CSC 58, [2014] 3 R.C.S. 3, par. 38 :

                        Une preuve est « obtenu[e] dans des conditions » qui portent atteinte ou non aux droits garantis par la Charte à l’accusé selon la nature du lien entre l’atteinte et la preuve. Les tribunaux privilégient une analyse téléologique en la matière. Il n’est pas nécessaire d’établir un lien causal strict entre l’atteinte et l’obtention subséquente de la preuve. La preuve est viciée lorsque l’atteinte et la découverte de la preuve dont l’admissibilité est contestée s’inscrivent dans le cadre de la même opération ou conduite. Le lien exigé entre l’atteinte et la déclaration subséquente peut être temporel, contextuel, causal ou un mélange des trois. Un lien « éloigné » ou « ténu » n’est pas suffisant (Wittwer, par. 21).

Voir aussi R. c. Pino2016 ONCA 389, 130 O.R. (3d) 561, par. 72, le juge Laskin; Tim, par. 78.

[97]                        Une jurisprudence des tribunaux d’appel et une doctrine abondantes ont reconnu que des éléments de preuve ne seront pas considérés comme ayant été « obtenus dans des conditions » qui portent atteinte à la Charte quand la police a pris un « nouveau départ » après une violation antérieure de la Charte en rompant tout lien temporel, contextuel ou causal entre la violation de la Charte et les éléments de preuve obtenus ou en rendant un tel lien éloigné ou ténu. Dans certains cas, la police peut prendre un « nouveau départ » en respectant ultérieurement la Charte, bien que le respect ultérieur n’entraîne pas un « nouveau départ » dans tous les cas. L’analyse doit tenir compte des faits de chaque affaire (voir R. c. Wittwer2008 CSC 33, [2008] 2 R.C.S. 235, par. 3 et 21‑22Plaha, par. 47 et 53R. c. Lewis2007 ONCA 349, 86 O.R. (3d) 46, par. 31R. c. Simon2008 ONCA 578, 269 O.A.C. 259, par. 69R. c. Woods2008 ONCA 713, par. 10‑11 (CanLII); Manchulenko, par. 68‑70R. c. Hamilton2017 ONCA 179, 347 C.C.C. (3d) 19, par. 54McSweeney, par. 59; Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 485; P. J. Sankoff, The Law of Witnesses and Evidence in Canada (feuilles mobiles), § 20:10; S. Penney, V. Rondinelli et J. Stribopoulos, Criminal Procedure in Canada (3e éd. 2022), ¶10.122‑10.124; R. J. Marin, Admissibility of Statements (9e éd. (feuilles mobiles)), § 2:36 et 5:68; D. Watt, Watt’s Manual of Criminal Evidence (2021), §41.01; Ewaschuk, § 31:1565).

[98]                        Le concept du « nouveau départ » pour l’application du par. 24(2) de la Charte est tiré de la « règle des confessions dérivées » reconnue en common law, en vertu de laquelle le tribunal se demande si une confession par ailleurs volontaire est suffisamment liée à une confession antérieure non volontaire pour être viciée (Penney, Rondinelli et Stribopoulos, ¶4.50‑4.52 et 10.122‑10.123; Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 426, note 179, et p. 485, note 72). Selon cette règle, les tribunaux déterminent si une confession volontaire est admissible, malgré la confession involontaire antérieure, en prenant une « décision factuelle fondée sur des facteurs destinés à établir le degré de connexité entre les deux déclarations », comme « le délai écoulé entre les déclarations, les allusions à la déclaration antérieure pendant l’interrogatoire, la découverte d’une preuve incriminante supplémentaire après la première déclaration, la présence des mêmes policiers au cours des deux interrogatoires et d’autres similarités entre les deux cas » (R. c. I. (L.R.) et T. (E.)1993 CanLII 51 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 504, p. 526; voir aussi R. c. R. (D.)1994 CanLII 131 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 881, p. 882; R. c. S.G.T.2010 CSC 20, [2010] 1 R.C.S. 688, par. 28‑30Manchulenko, par. 67 et 69).

[99]                        Dans certains cas, des éléments de preuve demeureront viciés par une violation de la Charte malgré le respect ultérieur de celle‑ci. Pour cette raison [traduction] « [i]l convient d’être prudent lorsqu’il s’agit de recourir à la notion de “nouveau départ” pour résoudre des questions relatives à des éléments de preuve “obtenus dans des conditions” attentatoires » (Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 485). La réponse à la question de savoir si des éléments de preuve ont été « obtenus dans des conditions » attentatoires n’est pas déterminée par le fait que l’État a ou non finalement respecté les obligations que lui impose la Charte, mais repose plutôt sur celui qu’il subsiste ou non un lien causal, temporel ou contextuel suffisant entre la violation de la Charte et les éléments de preuve contestés. De cette manière, l’analyse du « nouveau départ » cadre bien avec l’approche holistique de notre Cour à l’égard de la question de savoir si les éléments de preuve ont été « obtenus dans des conditions » qui violent la Charte.

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