[70] Avec égard pour la Juge d’instance, l’Appelant a raison de soutenir qu’elle commet une erreur de droit en concluant que les policiers Lafrenais et Thibault n’étaient pas des personnes en autorité au moment où les déclarations ont été faites[59].
[71] D’une part, il est reconnu que les agents de la paix sont considérés d’office comme des personnes en autorité du seul fait de leur qualité[60], ce que concédait d’ailleurs le procureur du ministère public devant la Juge d’instance, bien qu’il ait tenté de distinguer la situation pour la ramener à l’état de simples discussions entre collègues[61].
[72] Dès lors, même si les policiers Lafrenais, Thibault, Rheault-Poirier et l’Appelant sont des collègues de travail, ils ne perdent pas pour autant leur statut présumé de personne en autorité quand ils interagissent.
[73] D’autre part, l’exigence relative à la personne en situation d’autorité commande un examen au cas par cas de la croyance de l’accusé au sujet de la capacité de la personne qui reçoit sa déclaration d’influencer l’enquête ou la poursuite du crime[62].
[74] Or, en écrivant, aux paragraphes [138] et [139], que « (…) peut-être l’agent Côté croyait-il pouvoir infléchir le déroulement des choses », et « (…) peut-être croyait-il pouvoir les faire changer d’avis et éviter une enquête déontologique ou criminelle », la Juge d'instance reconnaît implicitement que l’Appelant pouvait entretenir la croyance raisonnable qu’il bénéficierait d’un traitement favorable s’il parlait.
[75] Selon les principes précités de l’arrêt Grandinetti, il faut en effet analyser la perception qu’avait l’Appelant des personnes à qui il a fait les déclarations et se demander « (…) si, compte tenu de sa perception du pouvoir de son interlocuteur d’influencer la poursuite, l’accusé croyait qu’il subirait un préjudice s’il refusait de faire une déclaration ou qu’il bénéficierait d’un traitement favorable s’il parlait »[63].
[76] Considérant que la Juge d’instance reconnaît que l’Appelant pouvait avoir une telle perception, celui-ci s’est donc déchargé de son fardeau de présentation à l’effet qu’il croyait avoir affaire à des personnes en situation d’autorité.
[77] Il appartenait alors au ministère public de prouver, hors de tout doute raisonnable, que l’Appelant ne croyait pas raisonnablement que ses interlocuteurs étaient des personnes en situation d’autorité ou, s’il le croyait, que les déclarations étaient volontaires.
[78] La Juge d’instance a conclu que tel était le cas :
« [142] Même en tenant pour acquis qu’ils sont des personnes en situation d’autorité, c’est un débat théorique puisque les policiers Rheault-Poirier et Côté sollicitent cette rencontre et veulent en reparler.
[143] Le Tribunal n’entretient aucun doute à l’effet que les déclarations des accusés ont été faites volontairement, sans contrainte ni menace, par un esprit conscient. Ils ont fait un choix « libre et éclairé » de parler à leurs collègues policiers.
[144] La rencontre a lieu à la demande express de l’agent Côté. Les policiers Thibault et Lafrenais ne sont pas en mode enquête. Ils sont plutôt en réflexion à savoir s’ils peuvent éviter de dénoncer les gestes.
[145] La rencontre peut être qualifiée de discussion entre collègues. D’une part, on cherche à comprendre ce qui s’est passé et d’autre part, l’agent Côté veut expliquer sa version des faits. Ils sont libres de partir en tout temps.
[146] La poursuite s’est déchargée de son fardeau d’établir que les déclarations étaient hors de tout doute volontaire et admissible en preuve. »
(Les emphases sont ajoutées.)
[79] Cette analyse ne comporte pas d’erreur de droit ni d’erreur manifeste et dominante dans l’appréciation de la preuve de la part de la Juge d’instance.
[80] En effet, pour être recevables en preuve, les déclarations de l’Appelant devaient être le fruit d’un état d’esprit conscient et ne pas avoir été faites dans un climat d’oppression[64]. À ce sujet, la preuve supporte amplement la conclusion de la Juge d’instance au paragraphe [143] de son Jugement.
[81] Dans le contexte de la présente affaire, il faut même présumer que tous les policiers impliqués connaissaient l’obligation de dénonciation énoncée à l’article 260 de la Loi sur la police[65] :
« 260. Tout policier doit informer son directeur du comportement d’un autre policier susceptible de constituer une infraction criminelle. Il doit également l’informer du comportement d’un autre policier susceptible de constituer une faute déontologique touchant la protection des droits ou la sécurité du public, s’il en a une connaissance personnelle. Ces obligations ne s’appliquent pas au policier qui est informé de tels comportements à titre de représentant syndical.
De même, il doit participer ou collaborer à toute enquête relative à un tel comportement. »
[82] D’ailleurs, lors de son témoignage, le constable Rheault-Poirier mentionne expressément qu’il pouvait s’attendre à subir les conséquences d’une dénonciation à un officier supérieur[66] et il est également manifeste que l’Appelant aussi était parfaitement conscient de la situation et de l’obligation de dénonciation puisqu’il a demandé aux policiers Lafrenais et Thibault s’ils avaient parlé à un supérieur, et il les a ensuite traités de « snitch »[67]. Il avait certainement la « capacité cognitive limitée » suffisante de comprendre les conséquences de faire ses déclarations, de sorte à satisfaire le critère de l’état d’esprit conscient[68].
[83] Dès lors, il était également conscient qu’il avait affaire à des personnes en situation d’autorité qui devaient collaborer à toute enquête relative à son comportement, mais il a néanmoins choisi de leur parler, et ce, en toute connaissance de cause, ayant même demandé à la policière Thibault de le rencontrer avec Lafrenais pour discuter plus amplement de la situation, en toute probabilité dans l’espoir de les dissuader de le dénoncer. Il ne s’agit pas ici d’un cas où une personne accusée fait une fausse confession.
[84] La Juge d’instance a bien soupesé tous les facteurs pertinents pour en arriver à la conclusion que les déclarations de l’Appelant étaient faites de façon libre et volontaire. Même si le soussigné avait divergé d’opinion quant au poids qu’il convient d’accorder à divers éléments de preuve, cela n’aurait pas été un motif justifiant d’infirmer la conclusion de la Juge d’instance à l’égard du caractère volontaire des déclarations de l’Appelant puisqu’il s’agit soit d’une question de fait, soit d’une question mixte de fait et de droit[69].
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