samedi 5 octobre 2024

L’intention rattachée à l’infraction de port ou de possession d’arme dans un dessein dangereux pour la paix publique représente l’élément central

Forgues c. R., 2020 QCCS 1891

Lien vers la décision


[61]        L’intention rattachée à l’infraction de port ou de possession d’arme dans un dessein dangereux pour la paix publique représente l’élément central. Le port ou la possession doit avoir lieu dans le but de constituer un danger pour la paix publique ou de commettre une infraction. La preuve que l’acte est effectivement dangereux pour la paix publique est insuffisante, à moins qu’il soit démontré que l’accusé visait cet objectif. Il s’agit donc d’une infraction comportant une intention spécifique[19].

[62]        C’est donc dire que l’acte prohibé doit être accompli dans l’intention d’obtenir un résultat précis.

[63]        Le juge Bastarache dans l’arrêt R. c. Kerr[20] rappelle que le ministère public doit établir que l’accusé avait l’arme en sa possession et que cette possession visait un dessein dangereux pour la paix publique. Il ajoute que selon la doctrine, la perpétration de cette infraction exige une intention spécifique comportant à la fois une composante subjective et une composante objective.

[64]        Quant au critère à appliquer pour déterminer l’intention requise, il mentionne :

            Une certaine confusion subsiste dans la jurisprudence quant au critère qu’il convient d’appliquer pour déterminer l’intention. À mon avis, dans l’arrêt Nelson, précité, la Cour d’appel d’Ontario a appliqué la démarche appropriée — un critère à la fois subjectif et objectif. Suivant cette démarche, le juge des faits doit tout d’abord déterminer le dessein de l’accusé, ce qu’il fait d’une manière subjective. Le juge des faits doit ensuite décider si, compte tenu de toutes les circonstances, ce dessein était dangereux pour la paix publique, ce qu’il fait d’une manière objective.[21]

[65]        Il doit également y avoir, à un certain moment, une concomitance ou une rencontre entre la possession et le dessein dangereux pour la paix publique[22].

[66]        Traitant plus spécifiquement de la détermination de l’intention subjective, le juge Bastarache précise :

               Il va sans dire que la détermination de l’intention subjective de l’accusé peut comporter la prise en compte d’éléments objectifs : R. c. Hundal1993 CanLII 120 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 867, R. c. Théroux1993 CanLII 134 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 5.  La distinction entre une norme fondamentale subjective et une analyse objective de la preuve est bien établie.  Comme la cour l’a affirmé dans Nelson, précité, p. 31 :

      [traduction] L’intention subjective de l’accusé, révélée par son témoignage, est un facteur, mais seulement un parmi d’autres, dont le juge du procès doit tenir compte pour déterminer l’« intention sous‑jacente à la possession ».

     Une conclusion définitive quant à la nature de cette intention est tirée après examen de toutes les circonstances pertinentes à l’espèce, y compris la nature de l’arme, les circonstances dans lesquelles l’accusé l’a eue en sa possession, ce qu’il dit pour expliquer cette possession et l’utilisation qu’il a faite de l’arme, si cela aide à comprendre son intention en prenant initialement possession de l’arme.  [En italique dans l’original.]

Le témoignage de l’accusé n’est donc pas le seul facteur à prendre en considération pour déterminer son intention; des facteurs objectifs, comme l’utilisation effective, peuvent permettre de déduire cette intention : voir également R. c. Proverbs (1983), 1983 CanLII 3547 (ON CA), 9 C.C.C. (3d) 249 (C.A. Ont.).[23]

[67]        En l’espèce, le juge d’instance se devait d’appliquer cette démarche en deux (2) étapes pour retrouver chez l’appelante cette intention spécifique de posséder le répulsif canin dans un dessein dangereux pour la paix publique soit d’abord déterminer le dessein de l’appelante d’une manière subjective puis ensuite, décider objectivement, compte tenu de toutes les circonstances, si ce dessein est dangereux pour la paix publique.

[68]        La détermination du dessein comme étant ou non dangereux s’effectue, elle, de façon objective[24] :

               […]  Est utile, cependant, l’arrêt de la Chambre des lords Chandler c. Director of Public Prosecutions[1962] 3 All E.R. 142, dans lequel était en cause le par. 1(1) de l’Official Secrets Act, 1911, dont voici le texte :

     [traduction] Est coupable d’un acte criminel grave quiconque, dans un dessein nuisible à la sécurité ou aux intérêts de l’État — a) s’approche d’un endroit prohibé au sens de la présente loi, se trouve dans son voisinage ou y pénètre . . .

La similarité entre la formulation de cette disposition et celle de la disposition en cause — [traduction] « dans un dessein nuisible » et « dans un dessein dangereux » — est évidente.  Au sujet du sens du mot « dessein » (purpose), Lord Devlin s’est exprimé ainsi à la p. 155 :

     [traduction] J’examinerai d’abord le mot « dessein », puisque les deux parties ont invoqué ce mot dans des sens différents.  Essentiellement, les appelants prétendent qu’il faut lui donner un sens subjectif et le ministère public, un sens objectif.

     Je n’ai aucun doute que son sens doit être subjectif. Un dessein doit exister dans l’esprit.  Il ne peut exister ailleurs. Le mot peut servir à désigner soit l’objet principal qu’un homme veut ou espère accomplir par son acte, soit les objets qui, à sa reconnaissance, seront vraisemblablement accomplis par cet acte, qu’il les veuille ou non. Je suis convaincu qu’en droit criminel en général, et dans le contexte précis de la présente loi, ce dernier sens est le sens ordinaire. Dans le premier sens, il ne peut être concrètement distingué du mobile, lequel est habituellement dénué de pertinence en droit criminel. L’employer en ce sens rendrait la présente loi inepte. Comme l’a fait remarquer mon distingué et savant collègue LORD Reid au cours des plaidoiries, un espion pourrait obtenir un acquittement en convainquant le jury que son but était de gagner sa vie, but qui, en soi, ne nuit pas à l’État, sans se soucier des autres conséquences de ses actes. Peut donc être considéré comme un « dessein » au sens de l’art. 1 tout résultat qu’une personne peut vraisemblablement prévoir en conséquence de ses actes : puisque la loi indique « un dessein », la poursuite a le droit de soulever n’importe lequel.  Se pose alors la question de savoir si le dessein choisi est « nuisible », et à mon avis, il faut répondre à cette question de façon objective. [Je souligne.]

Cette analyse de la mens rea est précisément celle qui est proposée en l’espèce : premièrement, il faut déterminer subjectivement le dessein poursuivi par la personne et, deuxièmement, il faut déterminer objectivement la dangerosité de ce dessein […].

[69]        Le juge Bastarache ajoute :

            Ainsi, la difficulté que posent l’arrêt Nelson et les décisions qui l’ont suivi, ne tient pas à ce qu’ils énoncent un critère à la fois subjectif et objectif à l’égard de l’expression « dans un dessein dangereux pour la paix publique », mais plutôt à ce qu’ils n’établissent pas clairement en quoi consiste véritablement le fait de compromettre la paix publique. […]

Cette lacune de la jurisprudence n’est guère étonnante; il ne peut y avoir un critère de dangerosité exhaustif étant donné la grande variété de situations et de circonstances dans lesquelles un danger peut survenir. Je suis disposé à admettre, comme le propose le juge Binnie, que la « paix publique » renvoie généralement à l’ordre ou à l’état normal qui règne dans une société, mais je ne suis pas disposé à conclure, comme il le propose, que la violence présente toujours, sans exception, un danger pour la paix publique. Il appartient au juge des faits de décider, à partir de tous les facteurs pertinents, si l’acte délibéré aurait dans ce cas en particulier mis en danger la paix publique.

[70]        Pour leur part, les juges Arbour et LeBel estiment, dans l’arrêt Kerr, que la détermination du dessein au sens du paragraphe 88(1) C.cr. doit s’effectuer de façon entièrement subjective[25].

[71]        En outre, le juge LeBel propose de définir la notion de dessein dangereux pour la paix publique comme étant « l’intention de causer des lésions corporelles ou des dommages matériels ou l’insouciance à cet égard ». Il précise :

               Non seulement le par. 88(1) commande-t-il une analyse purement subjective, mais encore l’application pratique des critères à la fois subjectifs et objectifs comporte des difficultés notoires.  De plus, je crains qu’une analyse à la fois subjective et objective entraîne un glissement vers un critère purement objectif.  Cette possibilité peut être évitée par l’adoption d’une définition de l’expression « dangereux pour la paix publique ».  À mon sens, un danger pour la paix publique suppose une possibilité de lésions corporelles ou de dommages matériels.  Il faut donner un contenu concret au « dessein dangereux pour la paix publique ».  Au sens du par. 88(1), il s’agit de la possession d’une arme dans l’intention de causer des lésions corporelles ou des dommages matériels ou sans se soucier de causer des lésions corporelles ou des dommages matériels.

               En termes clairs, le par. 88(1) exige que la possession d’une arme coïncide à un moment quelconque avec l’intention d’utiliser l’arme pour causer des lésions corporelles ou des dommages matériels, ou sans se soucier que de telles conséquences surviennent.  À un moment quelconque, ces deux éléments doivent se rencontrer : Cassidy, précité, p. 351.  Il ne s’agit pas d’une infraction de possession simpliciter. L’infraction exige la possession ainsi qu’une intention additionnelle, mais elle n’exige pas que l’arme soit effectivement utilisée.

[72]        De l’avis du Tribunal, le juge d’instance conclut à l’intention spécifique requise pour l’infraction de possession d’une arme dans un dessein dangereux pour la paix publique en énonçant des scénarios hypothétiques susceptibles de constituer, s’ils se réalisent, une violation de la paix publique. Ce faisant, il fait fi de l’étape de l’analyse du dessein de l’appelante.

[74]        Le juge d’instance retient que la plupart des objets saisis de l’appelante sont de nature soit à se protéger, soit à dissimuler son visage, soit à résister à une arrestation[27]. Il reconnait durant le procès que le répulsif canin n’est pas, en soi, une arme, mais qu’il peut le devenir « dépendamment de l’utilisation qu’on en fait »[28].

[75]        Or, rien dans la preuve offerte par la poursuite ne laisse voir que l’appelante avait l’intention d’utiliser d’une quelconque façon le répulsif contre les policiers ou dans le but de résister à son arrestation, ce qui aurait pu permettre au juge d’instance d’inférer subjectivement le dessein dangereux.

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