dimanche 3 novembre 2024

Evans : les principes de base & l'invitation implicite

Tremblay c. R., 2020 QCCA 1131 

Lien vers la décision


[18]        Il ne fait aucun doute que toute personne a, dans sa résidence, une attente raisonnable en matière de vie privée[11]. Cependant, dans certaines situations, la protection conférée par l’article 8 de la Charte est absente ou réduite. Dans l’arrêt Evans, la Cour suprême reconnaît que l’occupant d’une résidence invite, implicitement, le public, ainsi que les agents de police, à entrer sur sa propriété afin de communiquer avec lui.[12] Cette invitation implicite, qui peut également être décrite comme un droit de s’approcher et de communiquer, demeure en vigueur jusqu’à ce qu'elle soit retirée ou révoquée par l’occupant de la résidence, ou bien encore, jusqu’à ce que le visiteur quitte les lieux. Les parties ne contestent pas l’existence de ces principes, mais plutôt leur application aux circonstances de l’espèce.

[19]        L’invitation implicite de s’approcher et de communiquer est toutefois limitée :

l'invitation implicite à frapper à la porte ne va pas au‑delà de ce qui est nécessaire pour qu'il y ait communication convenable avec l'occupant de la maison.  La «renonciation» aux droits à la vie privée que comporte l'invitation implicite ne va pas au‑delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ce but.  Il s'ensuit que seules les activités qui sont raisonnablement liées au but de communiquer avec l'occupant sont permises en vertu de l'«autorisation implicite de frapper à la porte».  Lorsque la conduite des policiers (ou de qui que ce soit) va au‑delà de ce qui est permis en vertu de l'autorisation implicite de frapper à la porte, les «conditions» implicites de cette autorisation sont effectivement violées et l'auteur de l'activité non autorisée qui s'approche de la maison devient un intrus.[13]

[soulignements ajoutés]

[20]        C’est donc dire que, pour déterminer si l’activité est autorisée par l’invitation implicite, il faut s’attarder au but poursuivi par la personne qui se prévaut de l’invitation et à ses agissements[14]. Dans l’arrêt Evans, la majorité conclut que, lorsque les représentants de l'État s'approchent d'une maison dans le but de recueillir « des éléments de preuve » contre l'occupant, ils outrepassent l’invitation implicite :

En l'espèce, je suis d'avis que les actions des policiers sont allées au‑delà du type de conduite permis en vertu de l'autorisation implicite de frapper à la porte.  Bien que j'admette que l'un des buts poursuivis par les policiers en s'approchant de la maison des Evans était de communiquer avec ses occupants conformément à l'autorisation implicite de frapper à leur porte, la preuve révèle clairement que, ce faisant, ils poursuivaient un but subsidiaire, soit de [TRADUCTION] «sentir» la marijuana.  Par conséquent, les policiers se sont approchés de la demeure des Evans non pas simplement dans le but de communiquer avec les occupants, mais également dans l'espoir de recueillir des éléments de preuve contre eux.  De toute évidence, on ne peut pas présumer que les occupants d'une maison invitent les policiers (ou qui que ce soit) à s'approcher de leur maison pour établir le bien‑fondé d'une accusation portée contre eux.  Toute «renonciation» aux droits à la vie privée dont l'existence peut se déduire de l'«invitation à frapper à la porte» ne va tout simplement pas jusque‑là.  Il s'ensuit que, lorsque les représentants de l'État s'approchent d'une maison dans le but de recueillir des éléments de preuve contre l'occupant, ils outrepassent toute autorisation que l'invitation à frapper à la porte comporte implicitement.[15]

[Soulignements ajoutés]

[21]        Dans une telle situation, l’intervention policière constitue une « fouille »[16]. Ce commentaire vaut également lorsque la cueillette d’éléments de preuve n’est qu’un but subsidiaire à l’objectif de communiquer avec l’occupant[17].

[22]        Ultimement, dans l’arrêt Evans, la majorité de la Cour suprême conclut que l’invitation implicite a été outrepassée. Il faut préciser que, dans cette affaire, les représentants de l’État se sont  présentés à la porte d’une résidence et  y ont frappé non seulement dans le but de communiquer avec l’occupant, mais également dans celui, subsidiaire, de détecter une odeur suspecte de marijuana. C’est donc dire qu’ils tentaient de recueillir directement des éléments de preuve par leur sens olfactif.

[23]        La Cour suprême reconnaît également que les représentants de l’État outrepassent l’invitation implicite lorsqu’ils entreprennent une enquête criminelle qui équivaut à une « expédition de pêche »[18], c’est-à-dire en l’absence de soupçons entre les occupants d’une résidence et une présumée activité criminelle. Dans l’arrêt Le, les juges Brown et Martin écrivent ce qui suit :

Plus fondamentalement, en entrant dans la cour arrière, les policiers poursuivaient également un « but subsidiaire », pour reprendre l’expression du juge Sopinka dans l’arrêt Evans, et ont ainsi excédé les limites de l’autorisation implicite (par. 16). Dans l’arrêt Evans, le but subsidiaire ayant vicié l’« autorisation implicite » était l’espoir de recueillir des éléments de preuve contre les occupants de la maison (en recherchant une odeur de marijuana). En l’espèce, nous sommes d’avis que le juge Lauwers a bien cerné le but subsidiaire des policiers (au par. 107) : [traduction] « l’entrée des policiers ne valait guère mieux qu’une enquête criminelle hypothétique, ou une “expédition de pêche” ». Il faut rappeler ici que les policiers ne disposaient pas d’information permettant de faire un lien entre les occupants de la cour arrière — et dont ils ignoraient l’identité — et une quelconque conduite criminelle réelle ou soupçonnée. La théorie de l’autorisation implicite n’a jamais eu pour objectif de protéger ce type de conduite intrusive par les policiers.[19]

[soulignements ajoutés]

[24]        Cette interprétation répond d’ailleurs aux préoccupations exprimées par le juge Sopinka dans l’arrêt Evans:

20        À mon avis, il existe, sur le plan des principes, de bonnes raisons de statuer que l'intention des policiers, lorsqu'ils s'approchent de la maison d'un particulier, est pertinente pour déterminer si l'activité en question est une «fouille ou perquisition» au sens de l'art. 8. Si la position de mon collègue était acceptée et que l'intention n'était pas un facteur pertinent, les policiers pourraient alors s'appuyer sur l'«autorisation implicite de frapper à la porte» pour effectuer des inspections au hasard de maisons afin d'obtenir des éléments de preuve d'activités criminelles.  Ils pourraient se rendre dans un quartier ayant un haut taux de criminalité et procéder à des «contrôles‑surprises» dans les demeures de particuliers qui ne se douteraient de rien, feignant s'appuyer sur l'autorisation implicite de s'approcher de la porte et d'y frapper.  Il est évident que cette vision orwellienne des pouvoirs de la police dépasse les bornes de quelque «invitation implicite» que ce soit.  Par conséquent, je statuerais que, dans des cas comme la présente affaire, où la preuve établit clairement que les policiers ont expressément envisagé la possibilité de recueillir des éléments de preuve contre les accusés «en frappant à la porte», ceux‑ci ont outrepassé la permission accordée par l'autorisation implicite de frapper à la porte.[20]

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