R. c. Calmès, 2021 QCCQ 1933
[72] Il est reconnu que la maison de chacun est pour lui son château et sa forteresse[85], tant pour se défendre contre l’injure et la violence que pour son repos[86]. Dit autrement, la demeure de chacun est en principe sacré et inviolable[87].
[73] Pour éviter qu’une personne qui cherche à prévenir ou à repousser une intrusion chez lui en ayant recours à la force soit déclarée coupable d’une infraction criminelle, le législateur a mis à sa disposition un moyen de défense particulier[88].
[74] L’article 35 du Code criminel codifie ce moyen de défense et en balise les conditions d’ouverture[89]. Cet article se lit en partie comme suit :
35. (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :
a) croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle a la possession paisible d’un bien ou agit sous l’autorité d’une personne – ou prête légalement main-forte à une personne – dont elle croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle a la possession paisible d’un bien;
b) croit, pour des motifs raisonnables, qu’une autre personne, selon le cas :
(i) sans en avoir légalement le droit, est sur le point ou est en train d’entrer dans ou sur ce bien ou y est entrée,
(ii) est sur le point, est en train ou vient de le prendre,
(iii) est sur le point ou est en train de l’endommager, de le détruire ou de le rendre inopérant;
c) commet l’acte constituant l’infraction dans le but, selon le cas :
(i) soit d’empêcher l’autre personne d’entrer dans ou sur le bien, soit de l’en expulser,
(ii) soit d’empêcher l’autre personne de l’enlever, de l’endommager, de le détruire ou de le rendre inopérant, soit de le reprendre;
d) agit de façon raisonnable dans les circonstances.
[75] L’article 35 du Code criminel prévoit donc quatre conditions cumulatives qui doivent être remplies pour que le moyen de défense puisse s’appliquer[90].
[76] Cela dit, pour bénéficier de ce moyen de défense, l’accusé doit d’abord en démontrer un air de vraisemblance[91].
[77] À cette étape, le Tribunal doit s’assurer de la plausibilité apparente de la défense sans évaluer la crédibilité de l’accusé ou soupeser les différents éléments de preuve[92].
[78] Si l’accusé rencontre son fardeau de présentation, il appartient à la poursuivante de convaincre le Tribunal que la défense ne s’applique pas en démontrant hors de tout doute raisonnable l’inexistence d’une des conditions[93].
[79] Tout doute raisonnable concernant l’une ou l’autre des quatre conditions doit jouer en faveur de l’accusé[94].
• La possession paisible d’un bien
[80] Le terme « bien » inclut les biens meubles et immeubles[95]. Elle vise aussi le terrain et les espaces qui mènent à la résidence[96]. La propriété du bien n’est pas requise[97] et sa possession n’a pas à être exclusive[98].
[81] La possession « paisible » désigne une possession qui n’est pas sérieusement contestée physiquement ou juridiquement par d’autres personnes[99]. Cela dit, une croyance honnête, mais erronée d’un accusé quant à la possession paisible du bien doit reposer sur la présence de motifs raisonnables[100].
• Un intrus
[82] La croyance du possesseur paisible à l’effet qu’une personne est un intrus doit être fondée sur des motifs raisonnables[101].
[83] De façon générale, un « intrus » est une personne qui n’est pas autorisée à pénétrer dans un immeuble[102]. Dans la décision R. c. Hassani, le juge Salvatore Mascia précise qu’une personne peut être un intrus dans trois situations :
[76] Premièrement, une personne est un intrus lorsqu’elle « [réussit] à s'introduire sur un terrain ou dans une bâtisse, sans droit, sans invitation, en cachette, sans autorisation quelconque. »
[77] Deuxièmement, est un intrus la personne qui s’introduit dans un immeuble sur invitation du propriétaire, mais qui, pour une raison ou une autre, voit son invitation révoquée et dont la présence devient non-désirée. Lorsque cette situation se présente, l’accusé doit toutefois donner à l’intrus une opportunité raisonnable de quitter les lieux avant de pouvoir poser un acte en vue de protéger son bien.
[78] Troisièmement, une personne se qualifie d’intrus lorsqu’elle « [dépasse] les limites de l'invitation notamment en adoptant un comportement inacceptable compte tenu de la destination des lieux, ou [si elle agit] dans la poursuite d'un but illégal »[103].
[84] Par ailleurs, le statut d’invité dans une maison ou un établissement ouvert au public est toujours tributaire de la volonté du possesseur des lieux[104]. En fait, quel que soit le contexte ou la raison invoquée par le possesseur, ce dernier a le droit de demander à quiconque de quitter sa propriété[105], et ce, même si la personne a initialement pénétré normalement ou légalement dans son immeuble, à titre d’invité ou de client[106]. Une fois informé de quitter, l’invité qui n’obtempère pas est dès lors considéré comme un intrus[107]. Il est entendu que chaque cas est un cas d’espèce[108].
• Une conduite défensive en lien avec l’intrusion
[85] Comme le souligne l’auteur Hugues Parent, cette troisième condition renvoie à l’intention de l’accusé au moment de recourir à la force[109]. La condition ressortissant à l’objectif défensif doit être évaluée de façon subjective[110]. Pour être justifiés, les gestes posés par le possesseur paisible doivent être faits dans le but de préserver le bien[111] ou pour éloigner l’intrus[112]. Par ailleurs, la conduite défensive du possesseur paisible doit se limiter à ce qui est nécessaire pour empêcher l’intrusion ou pour éloigner l’intrus[113]. Dit autrement, cette défense n’est pas applicable lorsque le possesseur paisible utilise la force pour satisfaire son mécontentement[114], pour se venger ou pour donner une leçon à l’intrus[115].
• Un agir raisonnable
[86] Un possesseur paisible est justifié d’appliquer une force raisonnable contre un intrus pour défendre cette possession. Pour être jugé raisonnable, l’acte posé doit se limiter à une conduite nécessaire pour éloigner l’intrus[116] ou pour protéger ses biens[117].
• Un délai raisonnable pour obtempérer
[87] Le droit de recourir à la force nécessaire pour expulser un intrus n’est pas automatique[118]. À moins que l’intrus ait un comportement inapproprié autorisant le possesseur des lieux à l’expulser sans plus attendre[119], la règle veut que le possesseur paisible accorde à l’intrus un délai ou une occasion raisonnable pour lui permettre de donner suite, volontairement, à la demande de quitter[120]. Une personne ne devient un intrus que lorsqu’elle ne quitte pas dans un délai raisonnable après s’être vu intimer l’ordre de quitter[121]. Si la personne se retire dans un délai raisonnable, elle n’est pas une intruse durant la durée de son départ[122]. Une agression survenant simultanément ou immédiatement après une sommation de quitter n’est donc pas justifiée en vertu de la défense des biens[123].
• L’usage de la force est-elle nécessaire ?
[88] Le Tribunal fait siens les propos de l’auteur Hugues Parent lorsqu’il indique :
« Bien que la perception de l’accusé soit pertinente pour déterminer si la force est nécessaire, elle ne l’est que dans la mesure où elle est raisonnable. En ce qui concerne les facteurs qui se rapportent plus immédiatement à l’acte reproché, disons simplement que l’imminence du danger ainsi que l’absence ou la présence d’autres moyens d’agir pour assurer la protection du bien en question constituent des éléments pertinents »[124].
• Le degré de force utilisé est-il raisonnable ?
[89] Lors de l’évaluation de la raisonnabilité des gestes du possesseur paisible, le Tribunal doit utiliser un critère objectif contextualisé[125]. Ainsi, la croyance subjective du possesseur paisible quant à la force requise est pertinente, mais cette croyance doit être fondée sur des motifs raisonnables, c’est-à-dire qu’elle doit être fondée sur des motifs qui sont objectivement raisonnables dans les circonstances[126].
[90] Il est entendu que l’obligation d’agir raisonnablement n’équivaut pas à un standard de perfection[127]. Par ailleurs, l’ensemble des circonstances inclut notamment[128] : l’historique des relations entre les parties[129]; l’existence de menaces antérieures; l’utilisation d’une arme à feu ou d’un objet dangereux; l’heure de l’intrusion; la taille et le poids de l’intrus; sa condition physique ou émotionnelle; sa persistance et son insistance à demeurer sur les lieux malgré les avertissements de quitter; son agressivité; sa mauvaise réputation; son état d’ébriété; les caractéristiques personnelles du possesseur des lieux[130]; ainsi que le contexte juridique[131].
• La proportionnalité de la réponse
[91] Également, la « proportionnalité » de la réaction fait partie des facteurs pertinents pour déterminer si le possesseur paisible a utilisé une force raisonnable[132]. À cet égard, la Cour suprême indique dans l’arrêt R. c. McKay, qu’il ne faut pas croire qu’elle souscrit à l’opinion voulant que la défense des biens ne justifie jamais, à elle seule, le recours à une force autre que minime contre un intrus[133].
[92] Par ailleurs, ce n’est pas parce que d’autres options s’offraient au possesseur paisible que celle qu’il a privilégiée n’est pas nécessairement raisonnable[134]. Par exemple, le défaut d’appeler les policiers et d’attendre leur arrivée ne peut pas nécessairement être reproché à un possesseur qui a le droit de protéger son bien[135].
[93] De même, selon les circonstances, l’usage d’un répulsif dans un but défensif n’est pas, en soi, un obstacle à l’application de la défense des biens[136]. Toutefois, il est clair qu’une gradation dans les moyens utilisés par un possesseur paisible, pour protéger son bien ou éloigner un intrus, sera plus facilement jugée raisonnable[137].
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