vendredi 15 novembre 2024

L’existence d’une attente de vie privée dans les espaces communs des immeubles à condominiums

R. c. Donet, 2024 QCCS 3164

Lien vers la décision


[355]     Concernant la manière dont l’État a obtenu le renseignement dans la présente affaire, il s’agit d’une entrée subreptice dans les aires communes d’un immeuble.

[356]     Un particulier a une attente raisonnable, voire considérable, en matière de vie privée dans sa résidence ainsi qu’aux abords de celle-ci[95].

[357]     Déjà dans l’arrêt Evans, la Cour suprême a statué que les policiers sont autorisés à s’approcher de la porte de la résidence pour communiquer avec l’occupant, mais qu’ils outrepassent toute autorisation de s’approcher s’ils ont un but subsidiaire[96]. Il s’agit dans ce cas d’une perquisition sans mandat.

[358]     Dans l’affaire Aubrey[97], la Cour supérieure de l’Ontario indique que la surveillance physique d’un individu par l’État a pour limite la propriété privée :

Provided that the police do not trespass on private property, they are not constrained in their ability to employ physical surveillance as an investigative technique.

[359]     La Cour d’appel d’Ontario dans les arrêts White[98] et Yu[99] s’est penchée sur la question de l’existence d’une attente de vie privée dans les espaces communs des immeubles à condominiums.

[360]     Ce qui ressort de ces arrêts c’est qu’il n’existe pas automatiquement une attente raisonnable de vie privée dans les aires communes d’immeubles à condominiums. L’attente raisonnable en matière de vie privée est un concept propre au contexte qui ne se prête pas à des réponses catégoriques.

[361]     Comme pour chaque situation où une attente raisonnable de vie privée est invoquée, il faut analyser les circonstances de l’espèce à la lumière des facteurs énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Edwards[100].

[362]     Dans l’arrêt White, la Cour a considéré quatre éléments dans l’analyse visant à déterminer si le requérant avait une attente raisonnable de vie privée dans les aires communes de l’immeuble :

[1]  le degré de possession ou de contrôle exercé sur l’aire commune par le demandeur ;

[2]  la taille du bâtiment : plus l’immeuble est grand, plus le degré d’attente raisonnable en matière de vie privée dans les aires communes peut être faible en raison du plus grand nombre de personnes qui peuvent y accéder ;

[3]  si un système de sécurité ou des portes verrouillées fonctionnent pour exclure le public et réguler l’accès ;

[4]  la propriété de l’unité par le demandeur.

[363]     Dans cette affaire, la police est entrée subrepticement dans le bâtiment, a parcouru les couloirs, est entrée dans la zone d’entreposage et a vu le contenu du casier d’entreposage du propriétaire. Ils se sont cachés dans la cage d’escalier, ont observé l’unité du propriétaire et ont écouté ce qui se passait à l’intérieur.

[364]     La Cour a statué à l’existence d’une attente raisonnable de vie privée pour le propriétaire et l’occupant de l’unité. Le fait qu’il s’agissait d’un petit immeuble dont l’entrée était protégée par un système de sécurité sont les aspects qui ont principalement motivé cette décision.

[365]     Dans l’arrêt Yu, la Cour a également conclu à l’existence d’une attente raisonnable de vie privée dans des circonstances similaires.

[366]     L’objet de l’action de l’État en l’espèce était de connaître le numéro de l’appartement.

[367]     Pour déterminer si une personne a une attente raisonnable en matière de vie privée, il est nécessaire d’examiner non seulement les renseignements immédiats recherchés par la police, soit le numéro d’appartement, mais aussi les renseignements supplémentaires qu’ils révèlent en fin de compte[101].

[368]     La police, en le suivant et se cachant dans les aires communes de l’immeuble, a vu M. Donet ouvrir et entrer dans l’appartement 5 suivi par un autre individu. Évidemment, le fait de voir M.Donet pénétrer dans l’appartement 5 n’a pas permis d’obtenir des renseignements sur la nature des activités de M. Donet dans l’appartement 5.

[369]     Dans l’arrêt Saciragic, la Cour d’appel d’Ontario souligne qu’une adresse municipale ne révèle pas par elle-même des détails intimes du mode de vie et des choix personnels d’un individu, notamment parce que cette information est généralement disponible publiquement[102].

[370]     Dans les circonstances particulières de cette affaire, la Cour d’appel a statué que le fait qu’il s’agissait d’un complexe d’unités assez grand avec une surveillance vidéo dans les aires communes menait à la conclusion qu’il n’y avait pas d’attente raisonnable de vie privée, incluant la possibilité que les allées et venues de Saciragic puissent être observées par les autres, filmées ou révélées à la police.

[371]     Dans l’arrêt Nguyen[103], puisque l’objet de la fouille ne révélait pas le numéro de l’appartement en visionnant les vidéos issues des caméras de l’immeuble où Nguyen apparaissait, la Cour a conclu qu’il y avait une attente subjective de vie privée, mais que cette attente n’était pas objectivement raisonnable.

[372]     Les motifs ayant mené à cette décision s’appuient sur le fait qu’il s’agissait d’un grand complexe, que Nguyen n’avait pas de contrôle sur le vestibule où la police est entrée pour parler à l’agent de sécurité et lui demander l’accès aux vidéos de surveillance, que les caméras étaient en plain view dans le vestibule, et que Nguyen ne demeurait pas dans l’immeuble[104].

[373]     Il importe ici de rappeler que l’article 8 s’intéresse également aux conséquences à long terme de l’action de l’État sur l’ensemble de la société[105].

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