Drolet c. R., 2021 QCCA 1421
[53] Les policiers doivent, en principe, « “surseoir” à toute mesure ayant pour objet de […] soutirer des éléments de preuve de nature incriminante »[29] à une personne détenue ou arrêtée tant qu’elle n’aura pas eu la possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat[30].
[54] Dans le présent dossier, alors que l’appelant a été informé de son droit à l’assistance d’un avocat et qu’il a clairement exprimé son intention de s’en prévaloir, les policiers poursuivent leurs démarches. L’agent Morneau lui lit l’ordre suivant en vertu de l’ancien paragraphe 254(3) du Code criminel (maintenant article 320.28 C.cr.) à deux reprises :
J’ai des motifs raisonnables de croire que vous conduisiez un véhicule à moteur (ou que vous en aviez la garde ou le contrôle) au cours des trois heures précédentes alors que votre capacité de conduire était affaiblie par l’effet de l’alcool ou que le taux d’alcool dans votre sang dépassait la limite prescrite par la loi.
Par conséquent, je vous ordonne de me suivre immédiatement afin de fournir les échantillons d’haleine qui, de l’avis d’un technicien qualifié, sont nécessaires à une analyse convenable pour déterminer votre alcoolémie.
Un refus ou un défaut de vous soumettre à cet ordre constitue une infraction et vous rend passible de poursuites criminelles et entraine la suspension immédiate de votre permis de conduire et la saisie du véhicule routier.
[55] L’agent Morneau explique dans son témoignage qu’il procède avec cet ordre avant que l’appelant ait eu l’occasion de consulter un avocat, puisque l’ordre de fournir un échantillon d’haleine devait être donné « immédiatement » afin d’éviter une détention arbitraire. Une fois qu’il donne l’ordre et face au refus éclairé que l’appelant lui oppose, il dit qu’il ne peut détenir l’appelant dans l’unique but de l’amener au poste de police afin de lui permettre de communiquer avec un avocat. De toute façon, une fois que l’appelant refuse d’obtempérer à l’ordre, il est trop tard pour consulter un avocat – l’infraction est commise.
[56] L’appelant ne plaide pas que le fait pour l’agent Morneau de lui donner l’ordre de le suivre au poste brime son droit à l’assistance d’un avocat. Toutefois, l’appelant soutient qu’il n’était pas nécessaire, au sens de l’al. 254(3)b) C.cr., de donner un tel ordre puisque l’agent pouvait simplement l’y amener. Dans l’alternative, l’appelant allègue que s’il lui donnait l’ordre, l’agent Morneau devait, tout au moins, ne pas exiger que l’appelant y réponde ou ne pas enregistrer son refus avant qu’il n’ait eu l’occasion de consulter son avocat.
[57] Le juge de première instance ne traite pas de ces arguments. Le juge d’appel aborde brièvement le premier :
[22] Que faire de plus? Certes pas comme le soumet l’appelant en argumentation, dans le contexte d’une infraction criminelle de nature sommaire, de l’amener contre son gré au poste de police, menotté.
[58] Je doute que l’agent Morneau pouvait, dans le contexte où l’appelant avait demandé de consulter un avocat et qu’il n’avait pas encore eu l’occasion de le faire, lui donner l’ordre de le suivre au poste afin de fournir un échantillon d’haleine. L’ordre place l’appelant dans une situation très délicate : il doit soit se rendre au poste afin de fournir un élément de preuve susceptible de l’incriminer, soit refuser d’obtempérer, ce qui peut constituer une infraction criminelle et en plus fournit une preuve admissible dont le tribunal peut, dans le cas d’une accusation impliquant la capacité de conduire, tirer une conclusion défavorable[31]. Il devait, tout au moins, ne pas exiger que l’appelant y réponde ou ne pas enregistrer son refus avant qu’il n’ait eu l’occasion de consulter son avocat.
[59] L’alinéa 10b) de la Charte impose l’obligation au policier de ne pas forcer la personne détenue à prendre une telle décision lourde de conséquences légales jusqu'à ce qu’elle ait eu une possibilité raisonnable d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat. Les seules exceptions sont l’urgence, des circonstances dangereuses ou un manque de diligence de la part de la personne détenue dans l’exercice de ce droit.
[60] J’écarte d’emblée la question de l’urgence. Une majorité de juges de la Cour suprême a décrété que l’existence de la présomption en matière de preuve à l'égard des échantillons d’haleine pris dans les deux heures selon l’ancien sous-alinéa 258(1)c)(ii) C.cr. ne constitue pas en soi une circonstance pressante ou urgente justifiant que les policiers continuent leur enquête, même si la personne détenue n’a pu exercer son droit à l’assistance d'un avocat[32]. De toute façon, ils étaient à 10 ou 15 minutes du poste et rien dans le dossier ne suggère que permettre à l’appelant de contacter un avocat aurait eu pour résultat d’outrepasser ce délai.
[61] De plus, rien dans le dossier ne suggère qu’il y avait un danger quelconque justifiant la continuation de l’enquête. L’appelant était menotté dans la voiture de police et ne représentait aucun danger.
[62] Enfin, l’appelant a agi avec diligence et n’a jamais renoncé à son droit à l’avocat.
[63] Toutefois, l’appelant ne soutient pas que son droit à l’assistance d’un avocat ait été brimé par le fait que les policiers lui donnent l’ordre de les suivre au poste avant qu’il n’ait pu consulter un avocat. Il fait plutôt valoir que les policiers ont brimé son droit en exigeant qu’il réponde à l’ordre et en enregistrant son refus sans qu’il ait eu l’occasion de consulter son avocat.
[64] Il est vrai que la situation était un peu circulaire : l’appelant veut consulter un avocat, ce qui selon les policiers doit se faire au poste, alors qu’il refuse de suivre les policiers au poste afin de fournir un échantillon d’haleine parce qu’il n’a pas eu l’occasion de consulter un avocat, consultation qui se fera au poste. Plusieurs solutions étaient disponibles. Les policiers auraient pu tout simplement l’amener au poste – l’appelant était arrêté, menotté et assis sur le siège arrière de la voiture de police. Une fois rendu au poste, les policiers auraient pu lui demander de fournir un échantillon d’haleine après lui avoir donné la possibilité d’exercer son droit de consulter un avocat[33]. Ils auraient pu l’inviter à les suivre au poste afin qu’il exerce son droit à l’avocat. Son refus d’obtempérer constituerait alors un manque de diligence de sa part dans l’exercice de ses droits et permettrait aux policiers de poursuivre leur enquête et de lui donner l’ordre de les suivre au poste. Enfin, ils auraient pu lui permettre de communiquer avec un avocat sur place. Dans tous ces cas, l’appelant aurait eu l’opportunité de communiquer avec un avocat avant qu’il ne soit obligé de donner sa réponse définitive à l’ordre formulé.
[65] Plutôt que de lui expliquer qu’il aurait la chance de parler à un avocat une fois au poste, l’agent Morneau s’est engagé dans un débat avec l’appelant sur les conséquences de son refus d’obtempérer et a soutiré à l’appelant des éléments de preuve de nature incriminante. Bien qu’il ne l’ait pas interrogé à proprement parler, l’interaction était de nature à déclencher une réponse de la part de l’appelant avant qu’il n’ait pu obtenir les conseils d’un avocat[34].
[66] Somme toute, le problème dans le présent dossier ne réside pas dans la décision de refuser à l’appelant l’accès à un avocat alors qu’il est dans la voiture de police, vu les enjeux de sécurité, mais bien dans celle de forcer l’appelant à s’incriminer avant d’avoir pu parler à un avocat. En conséquence, je suis d’avis que le volet de mise en application imposé par l’alinéa 10b) de la Charte n’a pas été respecté.
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