R. c. Van, 2009 CSC 22
[34] Il convient pour l’instant de prendre un peu de recul et de reconnaître qu’une erreur commise dans un procès criminel ne justifie pas toujours l’intervention de la cour d’appel. Aux termes de l’al. 686(1)a) du Code criminel, un appel d’une déclaration de culpabilité ne peut être admis que dans le cas d’une erreur de droit, d’un verdict déraisonnable ou d’une erreur judiciaire. En l’espèce, nul ne conteste que l’omission d’une directive restrictive constitue une erreur de droit visée au sous‑al. 686(1)a)(ii) et que l’appel aurait donc pu** être accueilli. Toutefois, il appartient toujours à notre Cour de déterminer si, par le recours au sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code, les déclarations de culpabilité peuvent être maintenues malgré l’existence d’une erreur. Aux termes de cette dernière disposition, une déclaration de culpabilité peut être maintenue si l’erreur n’a pas causé un tort important ni une erreur judiciaire grave. Il incombe au ministère public de démontrer à la cour d’appel que la disposition est applicable et de la convaincre de maintenir la déclaration de culpabilité en dépit de l’erreur. Pour ce faire, la poursuite doit établir que l’erreur de droit entre dans l’une des deux catégories suivantes. La première catégorie est celle des erreurs inoffensives ou négligeables qui n’ont aucune incidence sur le verdict. La seconde catégorie englobe les erreurs graves qui justifieraient la tenue d’un nouveau procès ou un acquittement n’eut été du fait que la preuve présentée contre l’accusé était à ce point accablante qu’il aurait été impossible de rendre un autre verdict : Khan; R. c. Trochym, 2007 CSC 6, [2007] 1 R.C.S. 239.
[35] Dans l’arrêt Khan, notre Cour a examiné ces deux catégories d’erreurs et a expliqué pourquoi elle a confirmé les déclarations de culpabilité malgré ces erreurs. L’erreur tombant dans la première catégorie représente une erreur inoffensive à première vue ou sans incidence. L’application de la disposition réparatrice dispense une cour d’appel d’annuler une déclaration de culpabilité en raison seulement d’une erreur si négligeable qu’elle n’aurait pu causer aucun préjudice à l’accusé ni, par conséquent, influer sur le verdict. En fait, des acquittements ou des nouveaux procès ordonnés trop facilement sur la base d’erreurs de cette nature affecteraient négativement la perception que se forme la société d’un procès équitable et d’une bonne administration de la justice (voir Chibok c. The Queen (1956), 1956 CanLII 541 (SCC), 24 C.R. 354 (C.S.C.), p. 359). Le juge en chef Lamer avait fait une mise en garde en ce sens dans l’arrêt R. c. Jacquard, 1997 CanLII 374 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 314, en rappelant, à propos des erreurs dans l’exposé du juge du procès au jury, que « l’accusé a droit à ce que le jury reçoive des directives appropriées. Il n’existe toutefois aucune obligation que les directives au jury soient parfaites » (par. 2 (souligné dans l’original)). Ainsi, une légère déviation par rapport à la norme de l’exposé parfait au jury peut s’assimiler à une erreur inoffensive pouvant justifier le maintien d’une déclaration de culpabilité. De même, une erreur pourrait n’avoir qu’une incidence mineure si elle a trait à une question qui ne se situe pas au cœur de la décision globale sur la culpabilité ou l’innocence, ou si elle avantage la défense, par exemple par l’imposition d’un fardeau de preuve plus exigeant au ministère public (Khan, par. 30). Toutefois, la décision quant à la qualification d’une erreur ou de son incidence comme mineure devrait être prise sans évaluer la force probante des autres éléments de preuve présentés au procès. La question essentielle reste de déterminer si, à première vue ou du fait de son incidence, l’erreur demeurait si mineure, si dépourvue de lien avec la question au cœur du procès, ou si manifestement dépourvue d’un effet préjudiciable qu’un juge ou un jury raisonnable n’aurait pas pu rendre un verdict différent si l’erreur n’avait pas été commise.
[36] Une cour d’appel peut également confirmer une déclaration de culpabilité en application du sous‑al. 686(1)b)(iii) si une erreur n’est pas mineure et ne peut être considérée comme n’ayant causé aucun préjudice à l’accusé, mais lorsque la preuve contre l’accusé est à ce point accablante qu’un jury raisonnable ayant reçu des directives appropriées conclurait forcément à la culpabilité (Khan, par. 31). Dans l’arrêt R. c. S. (P.L.), 1991 CanLII 103 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 909, le juge Sopinka a avec justesse admis cette possibilité de confirmer une déclaration de culpabilité même dans le cas où une erreur grave aurait été commise au procès lorsqu’il a écrit qu’« il est justifié de priver l’accusé d’un procès régulier puisque cette privation est minime lorsque le résultat serait forcément une autre déclaration de culpabilité » (p. 916, confirmé dans Khan, par. 31). Cette norme élevée selon laquelle une déclaration de culpabilité doit inévitablement ou inéluctablement être prononcée conserve toute sa validité parce qu’une cour d’appel, qui n’a pas entendu les témoignages ni suivi le déroulement du procès, n’évalue rétroactivement la solidité de la preuve du ministère public qu’avec difficulté (Trochym, par. 82). Il est donc nécessaire de laisser à l’accusé le bénéfice de tout doute éventuel concernant la solidité de la preuve du ministère public. Cette justification du maintien d’une déclaration de culpabilité dans ces circonstances est claire; pour citer le juge Binnie dans R. c. Jolivet, 2000 CSC 29, [2000] 1 R.C.S. 751, par. 46 :
Si la preuve contre l’accusé est forte et qu’il n’y a aucune possibilité réaliste qu’un nouveau procès aboutisse à un verdict différent, il est manifestement dans l’intérêt public d’éviter les coûts et retards qu’entraînent des procédures supplémentaires. C’est ce que le législateur a prévu.
Ce raisonnement se retrouve dans mes motifs concordants dans l’arrêt Khan (par. 90). Ainsi, une cour d’appel demeure justifiée de rejeter un appel d’une déclaration de culpabilité en cas d’erreurs mineures qui ne pouvaient manifestement pas avoir une incidence sur le verdict et en cas d’erreurs plus graves commises alors qu’une preuve accablante a été produite contre l’accusé puisque la question sous‑jacente est toujours de savoir si, n’eût été l’erreur, le verdict aurait été le même : R. c. Bevan, 1993 CanLII 101 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 599.
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