mardi 4 août 2009

Détermination de la peine dans les cas d'infraction d'abus de confiance par un fonctionnaire public

R. c. Fortin, 2006 QCCQ 2519 (CanLII)

[120] Le défendeur invite le Tribunal à la clémence et demande de considérer une mesure d’absolution conditionnelle au terme de l’article 730 du Code.

[121] Il s’agit d’une disposition qui s’applique à toutes les infractions pour lesquelles la loi ne prescrit pas une peine minimum d’emprisonnement ou ne rend pas passible le contrevenant d'un emprisonnement de 14 ans ou de l’emprisonnement à perpétuité.

[122] Il s’agit d’une mesure dont l’effet évite au contrevenant le stigmate d’une condamnation lorsque celle-ci risque d’emporter des conséquences disproportionnées ou démesurées au regard d’une part, de la faute commise, et d’autre part, au regard de d’autres contrevenants coupables d’infractions semblables.

[123] Pour imposer cette mesure, le Tribunal doit considérer qu’il y va de l’intérêt véritable de l’accusé sans nuire à l’intérêt public.

[124] Le Tribunal y fait droit dans :

- R. c. Boulanger; il s’agit du cas d’un directeur de la sécurité publique d’une municipalité intervenant auprès de l’un de ses subalternes afin qu’il rédige un rapport complémentaire portant sur un accident impliquant sa fille et ayant pour effet d’annuler la responsabilité civile que l’assureur attribuait jusqu’alors à celle-ci;

- R. c. Blain; il s’agit du cas d’un président d’élections qui a approuvé et transmis à un comité de transition des factures portant sur des travaux faussement allégués avoir été exécutés par son épouse pour un montant de 7 550 $; le Tribunal tient compte du plaidoyer de culpabilité au début des procédures, de l’absence d’antécédents judiciaires, du fait que la perpétration de l’infraction relève davantage d’un manque de jugement que d’une véritable intention criminelle, de l’offre de rembourser et de faire un don à un organisme de bienfaisance et de l’intérêt du défendeur qui doit voyager aux États-Unis pour des raisons professionnelles et familiales;

- R. c. Couillard; il s’agit d’un vice-président et directeur général d’une société de l’État qui remet à un centre équestre une somme de 5 000 $ provenant des fonds de la société pour payer partiellement la pension du cheval de sa fille. En fait, il s’agissait d’une commandite que répétait la société, pour l’avoir fait l’année précédente, en faveur de l’entreprise; la faute du défendeur consiste à ne pas avoir informé son supérieur ni avoir demandé la permission que cette somme serve en partie ses intérêts personnels. Le Tribunal tient compte du plaidoyer de culpabilité, du fait qu’il s’agit de geste ponctuel et irréfléchi sur une courte période, de la réputation irréprochable du défendeur, de son implication dans la communauté, de l’absence d’antécédents judiciaires et des conséquences sur sa vie personnelle et familiale; il fait état aussi du comportement inacceptable de la société envers l’accusé;

- R. c. Gray; il s’agit d’un policier qui, en raison de sa charge, reçoit des informations privilégiées qu’il utilise par la suite à des fins personnelles. Le Tribunal tient compte de l’âge du défendeur, 57 ans, de l’absence d’antécédents judiciaires, d’une carrière irréprochable jusqu’alors comme policier, du fait qu’il plaide coupable, de sa démission comme policier, du fait qu’il s’agit davantage d’une sérieuse erreur de jugement que d’intention criminelle, de son implication bénévole au sein de la communauté et des conséquences de l’affaire sur sa santé.

[125] On voit donc que l’absolution, comme le prescrit d’ailleurs la loi, n’exclut pas l’infraction d’abus de confiance.

[126] Toutefois, avec égard, le Tribunal estime qu’il ne s’agit pas d’une mesure appropriée dans les circonstances de la présente affaire.

[127] D’abord, le défendeur ne démontre pas qu’il y va de son intérêt véritable d’obtenir une absolution.

[128] Sur cette question, le Tribunal estime que celui qui recherche une mesure d’absolution ne peut pas se contenter de faire valoir qu’une condamnation, créant un casier judiciaire, suffit pour démontrer son intérêt véritable. Il faut établir des faits qui permettraient de conclure qu’une condamnation aurait des effets disproportionnés. Une autre interprétation rendrait inutile l’utilisation de l’adjectif véritable accolé au mot intérêt.

[129] Même en reconnaissant sa réputation irréprochable et une expérience professionnelle, riche de réalisations remarquables notamment à l’étranger, le défendeur n’en doit pas moins recevoir une peine; il ne se trouve pas dans une situation tellement différente des personnes qui commettent pour la première fois une infraction criminelle. Rien au dossier n’indique qu’un casier judiciaire perturberait, par exemple, ses activités professionnelles.

[130] Mais ensuite, en tenant même pour acquis, aux fins de la discussion, qu’elle serait dans l’intérêt véritable du défendeur, l’absolution ne répond pas dans les circonstances à l’intérêt public et est de nature à lui nuire.

[131] L’intérêt public prend particulièrement en compte les circonstances, les conséquences et l’incidence de l’infraction dans la collectivité.

[132] Faire droit, dans la présente affaire, à une mesure d’absolution occulterait la dénonciation qu’appelle un abus de confiance répété à deux reprises par le personnage le plus important de l’administration municipale, en violation de règles d’éthique qu’il ne pourrait pas ignorer. À l’heure où l’on questionne davantage la crédibilité et la légitimité des institutions, la mesure d’absolution nuirait ici à l’intérêt public.

[133] Pour ces raisons, la demande d’absolution conditionnelle ou inconditionnelle est refusée.

[134] Le Tribunal ne croit pas qu’il s’agit d’un cas d’emprisonnement.

[135] Le déclenchement des procédures judiciaires, la mise en accusation et ses effets sur la vie personnelle et professionnelle du défendeur constituent autant de facteurs dissuasifs auxquels il n’est pas nécessaire d’en mettre davantage. En réitérant les propos qui précèdent sur le profil du défendeur, le risque de récidive paraît très peu probable.

[136] La peine d’emprisonnement que suggère le Ministère public repose donc uniquement sur les facteurs de dénonciation et de dissuasion générale. À cet égard, il renvoie à plusieurs décisions des tribunaux qui en marge d’infractions de fraude, d’abus de confiance et d’infractions analogues, imposent des peines d’emprisonnement. Toutefois, on y trouve généralement des éléments de corruption, de vénalité ou de cupidité marqués, inexistants dans la présente affaire. Ainsi, dans :

- R. c. Dussault et al; une peine de 23 mois avec sursis ainsi que de lourdes amendes à 2 défendeurs pour l’obtention de pots-de-vin en contrepartie d’interventions favorables aux fins d’un changement de zonage;

- R. c. Jacques; emprisonnement de 2 ans moins 1 jour avec sursis pour des infractions de complot et de trafic d’influence; l’accusé était une députée;

- R. c. Filion; emprisonnement de 6 mois à un député, trouvé coupable d’avoir détourné à son profit personnel des sommes qui lui étaient allouées aux fins de sa fonction;

- R. c. Lafrance; la Cour d’appel substitue une peine de 18 mois d’emprisonnement avec sursis, à une peine d’emprisonnement de même durée, à une personne, occupant une fonction au sein du gouvernement, qui accepte des bénéfices en provenance de personnes morales auxquelles il était lié;

- R. c. Gagné; une peine de 18 mois d’emprisonnement avec sursis et amende au maire d’une municipalité étant intervenue en faveur de son fils auprès d’un fonctionnaire de la ville pour favoriser l’émission d’un permis de construction;

- R. c. Fortin; une peine de 20 mois d’emprisonnement avec sursis et amende à un fonctionnaire d’une ville ayant accepté des sommes d’argent en vue d’accélérer une demande de subvention; il y a, en l’occurrence, plusieurs infractions;

- R. c. Corbeil; une peine de 12 mois d’emprisonnement au défendeur, qui, occupant un poste auprès de la Commission des valeurs mobilières du Québec, détourne, à des fins personnelles, une somme d’environ 375 000 $ sur une période de 5 ans;

- R. c. Amyot; une peine de 15 mois d’emprisonnement avec sursis à un fonctionnaire, responsable de la garde d’objets saisis dans un palais de justice, qui dérobe une somme d’environ 30 000 $ à 50 000 $ pour satisfaire sa passion du jeu;

- R. c. Godbout; la Cour d’appel maintient une peine de 90 jours d’emprisonnement à purger de façon discontinue ainsi qu’une amende à un fonctionnaire du gouvernement fédéral qui a accepté une somme de 1 895 $ de l'entrepreneur faisant affaire avec l’État et d’avoir aussi dans le cadre de ses fonctions frustré le gouvernement d’une somme de 5 000 $;

- R. c. Blumer; une peine de 30 jours d’emprisonnement à purger de manière discontinue pour un pot-de-vin de 5 000 $ en contrepartie d’une influence indue auprès d’un service du gouvernement;

- R. c. Bouchard; un an d’emprisonnement au maire d’une municipalité pour l’obtention d’un pot-de-vin de 25 000 $ en contrepartie d’une intervention pour favoriser le projet d’un développeur immobilier;

- R. c. Bédard; une peine de 15 mois d’emprisonnement avec sursis à un ingénieur occupant un poste de fonctionnaire et qui se sert du matériel appartenant à l’État, à des fins personnelles, d’une part, et d’autre part, encaisse un chèque de 20 000 $ devant servir à payer les travaux exécutés par une société;

- R. c. MacEachern, une peine de 12 mois avec sursis à un sous-ministre, coupable d’abus de confiance et de fraude, qui touche, sur une période de 3 ans, 25 000 $ dans l’exécution des ses fonctions;

- R. c. Ryan; une peine de 8 mois d’emprisonnement à un policier, coupable d’abus de confiance, de vol et de fraude; les circonstances et les sommes en jeu ne sont pas indiquées bien qu’il y ait une ordonnance de restitution d’une somme de 1 900 $;

- R. c. McLaren; une peine de 3½ ans pour fraude, vol et abus de confiance à un membre de l’Assemblée législative de la province, coupable de plusieurs infractions à l’égard du gouvernement et impliquant une somme dépassant 1 000 000 $;

- R. c. LeBlanc; une peine de 3 mois d’emprisonnement à un policier qui commet un vol et se rend coupable d’abus de confiance au cours d’une intervention lors d’un incendie ;

- R. c. Berntson; une peine de 12 mois d’emprisonnement à un membre de l’Assemblée législative de la province, coupable d’une fraude à hauteur de 41 735 $ obtenus à la suite de réclamations pour frais de secrétariat fournies par des membres de sa famille qui, dans les faits, n’ont jamais été payés;

- R. c. Auger; une peine de 2 ans moins 1 jour d’emprisonnement avec sursis, à un fonctionnaire, qui bénéficie, par corruption, pour lui-même et sa conjointe, d’une somme de 50 000 $;

- R. c. Gyles; une peine de 2 ans d’emprisonnement à un conseiller municipal, coupable d’avoir accepté des pots-de-vin pour faciliter des changements de zonage.

[137] Sans la banaliser, l’inconduite du défendeur se démarque tout de même des comportements dont il est question dans les exemples précédents tirés de la jurisprudence, en termes d’importance de l’appropriation, de gravité des infractions et d’éléments de malhonnêteté.

[138] Pour les raisons qui précèdent, un sursis de peine assorti de l’accomplissement d’heures de service communautaire et de dons à un organisme voué à l’aide aux victimes d’actes criminels s’avèrent une sanction juste et proportionnelle à la gravité des infractions et à la responsabilité du défendeur, d’autant que les articles 718.2d) et f) du Code invitent le juge à examiner la possibilité de toute sanction moins contraignante que la privation de liberté.

[139] Tout bien considéré, l’on ne saurait dire qu’une telle peine soit exempte de dissuasion compte tenu des contraintes qu’elle impose au défendeur, âgé de 50 ans, et sans antécédents judiciaires. En outre, elle comporte un volet qui répond à bon escient, dans les circonstances, à l’objectif de réparation des torts causés à la collectivité.

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