Pelletier c. R., 2021 QCCA 1596
[43] Il me semble à propos de reprendre le droit applicable pour comprendre l’erreur qui affecte le jugement. Je dirai donc un mot à propos des règles suivantes : la pertinence, le mobile, la règle du ouï-dire, la valeur probante et l’effet préjudiciable et enfin, la preuve de mauvaise réputation.
1.2.1 La pertinence
[44] Toute preuve pertinente est admissible, sujette aux règles d’exclusion. Dans l'arrêt J.-L.J., la Cour suprême a rappelé qu’une preuve est pertinente « lorsque, selon la logique et l’expérience humaine, elle tend jusqu’à un certain point à rendre la proposition qu’elle appuie plus vraisemblable qu’elle ne le paraîtrait sans elle / [e]vidence is relevant “where it has some tendency as a matter of logic and human experience to make the proposition for which it is advanced more likely than that proposition would appear to be in the absence of that evidence », ce qui « constitue un seuil peu élevé (« tend jusqu’à un certain point ») / a low threshold (“some tendency”) : R. c. J.-L.J., 2000 CSC 51 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 600, par. 47 (soulignement du j. Binnie, pour la Cour); voir aussi R. c. Corbett, 1988 CanLII 80 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 670, p. 697 (j. Dickson), p. 715 (j. La Forest, dissident); R. c. White, 2011 CSC 13 (CanLII), [2011] 1 R.C.S. 433; par. 36; R. c. Cloutier, 1979 CanLII 25 (CSC), [1979] 2 R.C.S. 709, p. 731, (j. Pratte); R. c. Martinez, 2017 QCCA 526, par. 12, 20.
1.2.2 Le mobile
[45] Le mobile est une preuve pertinente. En droit criminel, il se distingue de l’intention : R. c. Lewis, 1979 CanLII 19 (CSC), [1979] 2 R.C.S. 821, p. 831. Dans cette affaire, la Cour suprême rappelle que la notion de « mobile » est imprécise et qu’elle soulève des difficultés. Elle prend « le mot "mobile" en droit criminel au sens de "intention ultérieure" », soit le sens retenu par l’auteur Glanville Williams : Lewis, p. 832.
[46] Toujours dans l’arrêt Lewis, le juge Dickson, pour la Cour, cite l’auteur Williams :
L’imprécision en droit de la notion de «mobile» soulève cependant certaines difficultés. Les auteurs s’entendent généralement pour dire que l’expression peut avoir deux sens. Dans son ouvrage Criminal Law, The General Part (2e éd., 1961) Glanville Williams établit une distinction entre ces deux sens:
[TRADUCTION] (1) Il se rapporte parfois au sentiment qui porte à commettre un acte, par exemple, «D a tué P, l’amant de sa femme, poussé par un mobile de jalousie». (2) L’expression désigne parfois une sorte d’intention, par exemple, «le mobile (l’intention, le désir) de D en tuant P a été de l’empêcher de faire la cour à sa femme». (p. 48)
Selon Williams, c’est dans ce dernier sens qu’on utilise l’expression en droit pénal:
[TRADUCTION] Le mobile est l’intention ultérieure—l’intention avec laquelle on accomplit un acte intentionnel (ou, de façon plus claire, l’intention avec laquelle on produit une conséquence intentionnelle). Lorsqu’on distingue entre intention et mobile, l’intention se rapporte au moyen et le mobile à la fin. (p. 48)
R. c. Lewis, 1979 CanLII 19 (CSC), [1979] 2 R.C.S. 821, p. 831.
[47] Dans l’arrêt Barton, le juge Moldaver pour la Cour résume ainsi :
[130] Motive is ulterior intention — it is the end for which a crime is committed (see Lewis v. The Queen, 1979 CanLII 19 (CSC), [1979] 2 S.C.R. 821, at pp. 831-35). In most criminal matters, to establish the mental element of the offence, the Crown need not prove motive. Instead, what it must prove is “intent” (i.e., “the exercise of a free will to use particular means to produce a particular result”) (ibid., at p. 831).
R. c. Barton, 2019 CSC 33 (CanLII), [2019] 2 R.C.S. 579, par. 130.
[48] Ainsi compris, il est indiscutable que le mobile est un élément pertinent, mais pas essentiel, d’une accusation. « Normalement, les gens n’agissent pas sans mobile » : R. c. Lewis, 1979 CanLII 19 (CSC), [1979] 2 R.C.S. 821, p. 833, citant cette fois les auteurs Smith et Hogan, Criminal Law (4e éd., 1978). Le mobile « ne constitue pas un élément juridiquement essentiel de l’accusation » : Lewis, p. 833. Si accepté, il peut notamment aider à déterminer si l’accusé a commis le crime qu’on lui reproche, en participant à établir l’identité et l’intention si la preuve est entièrement circonstancielle. Inversement, l’absence de mobile est importante puisqu’il peut laisser un doute en faveur de l’accusé : Lewis, p. 833-836.
[49] Toutefois, la recevabilité d’une preuve de mobile n’est pas pour autant automatique. La Cour suprême souligne que la nécessité de prouver un mobile est avant tout contextuelle et que « [l]a question du mobile est toujours une question de mesure » : Lewis, p. 837. Plus important encore, elle ajoute qu’il y a des limites à la preuve d’un mobile, et elle écrit :
Bien que la preuve du mobile soit toujours pertinente quant à la question de l’intention ou de l’identité, le mobile doit se manifester par des actes humains et il y a des limites quant à l’admissibilité de ces actes comme preuve de mobile: voir R. c. Barbour.
R. c. Lewis, 1979 CanLII 19 (CSC), [1979] 2 R.C.S. 821, p. 833 (note omise)
[50] La référence à l’arrêt Barbour est significative. Dans cette affaire, qui avait divisé la Cour suprême, la théorie du ministère public était que l’accusé avait tué la victime dans le contexte d’une crise de jalousie parce qu’elle fréquentait un autre homme. Les juges majoritaires expriment l’idée que les incidents dans la vie d’un couple ne sont pas automatiquement admissibles. Ils expliquent :
If you have acts seriously tending, when reasonably viewed, to establish motive for the commission of a crime, then there can be no doubt that such evidence is admissible, not merely to prove intent, but to prove the fact as well. But I think, with the greatest possible respect, it is rather important that the courts should not slip into a habit of admitting evidence which, reasonably viewed, cannot tend to prove motive or to explain the acts charged merely because it discloses some incident in the history of the relations of the parties.
R. v. Barbour, 1938 CanLII 29 (SCC), [1938] S.C.R. 465, p. 469 (je souligne).
[51] La force persuasive de la preuve doit être considérée. Les faits avancés pour démontrer un mobile ou l’animosité entre la victime et l’accusé sont manifestement variés : R. c. Boukhalfa, 2017 ONCA 660, par. 175. Ils peuvent découler d’une preuve matérielle, d’un témoin des faits, mais aussi de l’état d’esprit de la victime dans les moments précédant le drame : R. c. Skeete, 2017 ONCA 926, par. 83-84.
[52] Les inférences permises dépendent du contexte. Rappelant l’arrêt Barbour, le juge Watt dans l’arrêt Boukhalfa explique qu’un élément de preuve offert pour démontrer l’animosité ou le mobile doit être tel qu’il permet d’inférer davantage l’existence de cette animosité ou de ce mobile qu’en l’absence de cette preuve, selon une évaluation fondée sur le sens commun et l’expérience de la vie :
[191] To establish animus or motive, a party such as the Crown, may rely on evidence from a variety of sources. But, whatever the source, the evidence tendered to establish animus or motive must be such to render the existence of the animus or motive slightly more probable than it would be without the evidence, according to everyday experience and common sense. In other words, the evidence tendered to establish animus or motive must be relevant to their proof.
R. c. Boukhalfa, 2017 ONCA 660, par. 191 (italique dans le texte).
[53] Cela dit, dans un procès d’homicide, la situation d’une relation détériorée entre l’accusé et la victime est pertinente dans la mesure où elle permet l’inférence d’un mobile ou l’identité de l’auteur. Elle doit être prouvée par une preuve admissible: voir notamment R. c. Boukhalfa, 2017 ONCA 660, par. 190; R. c. Skeete, 2017 ONCA 926, par. 92; R. c. Carroll, 2014 ONCA 2; R. c. Moo, 2009 ONCA 645; R. c. Walker (2002), 2002 BCCA 89 (CanLII), 163 C.C.C. (3d) 29 (C.A.C.-B.); R. c. Mafi (1998), 1998 CanLII 6221 (BC CA), 130 C.C.C. (3d) 329 (C.A.C.-B.).
[54] Je le répète, une fois la pertinence établie, la preuve est admissible à moins qu’une autre règle ne l’exclue. Très souvent, la preuve visant une relation détériorée se heurte à deux obstacles : la preuve par ouï-dire et la preuve de mauvais caractère qui ne fait que ternir la réputation. L’une et l’autre sont, en principe, des éléments de preuve inadmissibles : R. c. Baldree, 2013 CSC 35 (CanLII), [2013] 2 R.C.S. 520, par. 2; R. c. Handy, 2002 CSC 56 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 908, par. 31.
[55] Dans un procès pour homicide, alors que la victime et l’accusé se connaissent, il est fréquent que cette preuve émane de déclarations de la victime. Si les propos peuvent expliquer la détérioration de la relation, ils comportent souvent des éléments de mauvais caractère. Comme je l’expliquerai, la jurisprudence reconnaît que cette preuve peut être admise, mais sujette à une évaluation de sa force probante et de son effet préjudiciable.
1.2.3 Le ouï-dire et les exceptions au ouï-dire
[56] D’abord, je rappelle qu’aucune preuve ne constitue a priori un ouï-dire et que tout dépend de la fin poursuivie. Dans le cas d'une déclaration extrajudiciaire, le ouï-dire se définit comme le fait de vouloir la présenter pour en établir la véracité alors qu’il est impossible de contre-interroger le déclarant au moment précis où il la fait : R. c. Bradshaw, 2017 CSC 35 (CanLII), [2017] 1 R.C.S. 865, par. 20; R. c. Baldree, 2013 CSC 35 (CanLII), [2013] 2 R.C.S. 520, par. 30, 36; R. c. Khelawon, 2006 CSC 57 (CanLII), [2006] 2 R.C.S. 787, par. 56.
[57] Les préoccupations majeures du ouï-dire sont l’impossibilité d’en vérifier la fiabilité et la difficulté d’en contrôler la véracité : R. c. Starr, 2000 CSC 40 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 144, par. 159; R. c. Baldree, 2013 CSC 35 (CanLII), [2013] 2 R.C.S. 520, par. 31. En ce sens, il est indiscutable que le ouï-dire peut compromettre la recherche de vérité et l’équité du procès : R. c. Bradshaw, 2017 CSC 35 (CanLII), [2017] 1 R.C.S. 865, par. 20. Les dangers sont bien connus :
[32] Premièrement, il se peut que le déclarant ait mal perçu les faits relatés dans sa déclaration; deuxièmement, même s’il a correctement perçu les faits pertinents, il se peut qu’il ne se les remémore pas fidèlement; troisièmement, il est possible qu’en relatant les faits pertinents il induise involontairement en erreur; finalement, il pourrait avoir sciemment fait une fausse déclaration. La possibilité de sonder en profondeur ces éventuelles sources d’erreur ne se présente que si le déclarant comparaît pour être contre‑interrogé.
R. c. Baldree, 2013 CSC 35 (CanLII), [2013] 2 RCS 520, par. 32 (italiques du juge Fish), repris dans R. c. Bradshaw, 2017 CSC 35 (CanLII), [2017] 1 R.C.S. 865, par. 20.
[58] En général, les exceptions à l’admissibilité de la preuve de ouï-dire font intervenir deux concepts fondamentaux, soit la nécessité et la fiabilité : R. c. Starr, 2000 CSC 40 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 144, par. 34; R. c. Bradshaw, 2017 CSC 35 (CanLII), [2017] 1 R.C.S. 865, par. 18. Les présents motifs se concentrent uniquement sur le second puisque le premier était admis et n’était donc pas en litige.
[59] Dans la présente affaire, le ministère public souhaitait prouver le mobile de l’appelant pour démontrer qu’il était l’auteur de l’homicide et qu’il avait agi avec l’intention de tuer. Afin d’y parvenir, le ministère public s’appuyait sur l’exception dite de la méthode d’analyse raisonnée et celle dite traditionnelle de la common law pour établir l’état d’esprit du déclarant.
[60] L’exception traditionnelle a été évoquée la première fois dans l’arrêt Smith, où le juge Lamer, pour la Cour, a reconnu qu’ «[u]ne exception à la règle du ouï-dire s'applique lorsque la déclaration du déclarant est présentée pour démontrer ses intentions ou son état d'esprit au moment où il l'a faite. » : R. c. Smith, 1992 CanLII 79 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 915, 925 (je souligne). Il adoptait ainsi l’exception dont discutait le juge Doherty, alors à la Haute Cour de justice de l’Ontario, dans l’affaire R. v. P. (R.) (1990), 58 C.C.C. (3d) 334 (H.C.J.O.). Le juge Lamer en reprend des passages :
(TRADUCTION) Une déclaration montrant qu'une personne décédée avait une certaine intention ou un certain dessein contribue à prouver que cette dernière a donné suite à cette intention ou à ce dessein explicite lorsqu'il est raisonnable de déduire qu'elle l'a fait. Le caractère raisonnable de la déduction est fonction d'un certain nombre de variables, dont la nature du dessein énoncé dans la déclaration et le délai qui s'est écoulé entre le moment où la déclaration a été faite et la réalisation projetée du dessein.
Les règles de preuve établies jusqu'à ce jour n'excluent pas la preuve des déclarations d'une personne décédée qui révèlent son état d'esprit, mais paraissent plutôt prévoir expressément leur admission lorsque cela est utile. Toutefois, la preuve n'est pas admissible pour montrer l'état d'esprit de personnes autres que la personne décédée (à moins que celles-ci n'aient été au courant des déclarations) ou pour établir que des personnes autres que la personne décédée ont donné suite aux intentions explicites de cette dernière, sauf peut-être dans le cas d'un acte que la personne décédée et une autre personne ont accompli ensemble. La preuve n'est pas non plus admissible pour établir que les actes ou événements mentionnés dans les déclarations se sont produits.
R. c. Smith, 1992 CanLII 79 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 915, 927 (Souligné dans le texte.)
[61] Ainsi, ce qui est décrit comme une exception à la règle du ouï-dire relative à « l’état d’esprit » ne constitue pas véritablement une preuve de ouï-dire. Le juge Lamer suggère que si les dangers sont toujours présents, ils sont moins importants lorsque la seule pertinence des déclarations réside dans le fait qu'elles ont été faites. Voici comment s’exprime le juge Lamer :
Il n'est pas opportun en l'espèce de tenter de définir la "preuve par ouï‑dire" d'une manière exhaustive. Toutefois, pour les fins qui nous occupent, l'énoncé suivant, qui figure dans l'arrêt Subramaniam c. Public Prosecutor, [1956] 1 W.L.R. 965 (C.P.), à la p. 970, est utile pour établir les paramètres du débat:
[TRADUCTION] La preuve d'une déclaration faite à un témoin par une personne qui n'est pas elle‑même appelée à témoigner peut être ou ne pas être du ouï‑dire. Cette preuve constitue du ouï‑dire et est inadmissible lorsqu'elle vise à établir la véracité du contenu de la déclaration. Elle ne constitue pas du ouï‑dire et est admissible lorsqu'elle vise à établir non pas que la déclaration est exacte mais qu'elle a été faite. Le fait que la déclaration a été faite, indépendamment de son exactitude, est dans bien des cas pertinents lorsqu'il s'agit d'examiner l'état d'esprit et la conduite ultérieure du témoin ou d'une autre personne en présence de laquelle la déclaration a été faite.
Cette formulation de la "règle du ouï‑dire" illustre bien les circonstances dans lesquelles des déclarations faites par des personnes non appelées à témoigner ont été traditionnellement considérées comme inadmissibles. Quand elles sont présentées pour prouver la véracité de leur contenu, ces déclarations sont généralement considérées comme inadmissibles. Toutefois, lorsqu'elles sont présentées simplement pour prouver qu'elles ont été faites, ces déclarations sont traditionnellement considérées comme admissibles en vertu d'une "exception" à la règle du ouï‑dire, ou encore plus exactement, d'un point de vue analytique, parce qu'elles ne correspondent pas à la définition du ouï‑dire. Ce qui importe c'est que les dangers en matière de preuve traditionnellement associés aux déclarations faites par des personnes non appelées à témoigner, particulièrement l'impossibilité de contre‑interroger le déclarant, soient absents ou qu'ils soient présents à un degré beaucoup moindre, lorsque la seule pertinence de ces déclarations réside dans le fait qu'elles ont été faites.
R. c. Smith, 1992 CanLII 79 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 915, 925 (je souligne).
[62] L’objectif est donc limité. Il est d’éclairer sur l’état d’esprit ou l’intention immédiate du déclarant au moment où il fait la déclaration. Parfois, il est possible d’en inférer un sentiment de douleur, une préoccupation ou encore une crainte. Cette preuve ne peut pas servir à prouver autre chose que cet état subjectif. En retour, avec d’autres éléments de preuve, cet état d’esprit peut participer aux inférences que propose la preuve, dont le mobile.
[63] Comme l’écrivait le juge Doyon, « [a] victim's state of mind may be relevant and may be established by an out of court statement. However, it must be shown that this statement actually demonstrates the victim's state of mind, on the basis of facts that are admissible, and that its prejudicial effect does not substantially outweigh its probative value.» : R. c. Griffin, 2008 QCCA 824, par. 81 (Je souligne.). Ce principe est toujours applicable bien que l’arrêt de la Cour ait été infirmé sur la portée de l’utilisation permise une fois la preuve admise : R. c. Griffin, 2009 CSC 28 (CanLII), [2009] 2 R.C.S. 42.
[64] Cet arrêt Griffin est devenu l’arrêt phare lorsqu’il est question de l’«exception de l’état d’esprit de la victime ». On y réitère qu’il s’agit d’une exception traditionnelle, dite de « l’état d’esprit » ou des « intentions existantes »: R. c. Griffin, 2009 CSC 28 (CanLII), [2009] 2 R.C.S. 42, par. 50. La Cour suprême confirme l’objectif strict de l’exception.
[65] La Cour s’interrogeait sur la portée d’une seule déclaration, soit : « [s]’il m’arrive quelque chose, c’est la famille de ton cousin ». C’était M. Poirier, la victime de l’homicide, qui l’avait faite la veille du drame à Mme Williams, son amie, cousine de l’appelant Griffin. Mme Williams avait témoigné au procès. En plus d’avoir vu Griffin tirer le coup de feu fatal, elle avait rapporté les paroles en question. Vu les circonstances démontrées par la preuve, Mme Williams avait immédiatement compris de ces paroles que M. Poirier avait peur de Griffin : R. c. Griffin, par. 18.
[66] Dans cette affaire, cependant, tant l’exception traditionnelle à la règle du ouï‑dire que la méthode d'analyse raisonnée soutenaient l’admissibilité de la déclaration. Cette preuve était donc nécessaire et fiable : R. c. Griffin, par. 50 et 52; R. c. Griffin, 2008 QCCA 824, par. 79.
[67] Sous l’angle de l’exception traditionnelle, devant la Cour suprême, on plaidait que la déclaration n’exprimait aucunement les intentions de Poirier, le déclarant, ni même qu’il avait peur de Griffin. Au mieux, elle révélait la croyance de M. Poirier que M. Griffin lui voulait du mal, de sorte que la véritable portée de la déclaration était de prouver les intentions de Griffin : R. c. Griffin, 2009 CSC 28 (CanLII), [2009] 2 R.C.S. 42, par. 53. La juge Charron a rejeté ce point de vue et elle a confirmé que cela serait interdit. Reprenant la règle précisée dans l’arrêt R. c. Starr, 2000 CSC 40 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 144, aux par. 164-167, 174, la juge Charron réitère que l’exception de la preuve « relative à l’ "état d’esprit" ou aux "intentions existantes" ne permet pas l’admission d’une preuve par ouï‑dire pour démontrer l’état d’esprit d’un tiers. » : Griffin, par. 55 à 58. « Il est logique que la déclaration relatée de la personne décédée concernant son propre état d’esprit ou sa propre intention de prendre une mesure donnée ne puisse constituer une preuve de l’état d’esprit ou des intentions d’une autre personne » : Griffin, par. 58 (italique dans le texte).
[68] La peur exprimée par la victime à l’endroit de Griffin ne pouvait donc pas expliquer les intentions de celui-ci. Elle constituait un élément pertinent pour démontrer le mobile, lequel l’était à son tour pour établir l’identification de l’auteur de l’homicide. Or, l’identité du tireur était en cause au procès, malgré l’identification directe par Williams.
[69] C’est « [l]’état de la relation entre la victime d’un meurtre et un accusé dans la période ayant précédé le crime [qui] constitue un élément de preuve probant relativement à la question du mobile » : R. c. Griffin, 2009 CSC 28 (CanLII), [2009] 2 R.C.S. 42, par. 60-61. Si la victime craignait l’accusé dans les moments précédant sa mort violente, en raison de la relation préexistante entre eux, cela aidait à comprendre l’animosité que nourrissait l’accusé ou son intention d’agir contre la victime de manière à inférer un mobile : Griffin, par. 61-63. Comme le rappelle la juge Charron « [c]ela ne signifie pas que l’état d’esprit d’une personne décédée suffit à lui seul à prouver l’existence d’un mobile [mais] dans la mesure où il permet d’établir la nature de la relation entre une personne décédée et un accusé, l’état d’esprit d’une personne décédée est un élément de preuve susceptible d’être pertinent quant à la question du mobile » : Griffin, par. 63. Ce n’était qu’une « pièce du vaste puzzle de la preuve circonstancielle visant à établir le mobile », mais cette preuve était aussi utile pour « réfuter la thèse de la défense selon laquelle une personne autre que M. Griffin aurait pu avoir un motif de tuer M. Poirier au mois de janvier 2003 » : Griffin, par. 65 et 67.
[70] Outre cette utilité limitée, l’admissibilité du ouï-dire est sujette à des conditions. Plus particulièrement, une déclaration visée par l’exception traditionnelle de « l’état d’esprit », suppose qu’elle a été faite de manière naturelle et dans des circonstances qui ne sont pas douteuses : R. c. Starr, 2000 CSC 40 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 144, par. 168. C’était le cas dans l’arrêt Griffin où personne n’avait « prétendu que la déclaration avait été faite dans des circonstances douteuses » : R. c. Griffin, 2009 CSC 28 (CanLII), [2009] 2 R.C.S. 42, par. 59. Cela étant, la preuve était admissible en vertu de l’exception traditionnelle.
[71] Il se pose toutefois le problème de l’interaction entre les exceptions traditionnelles et la méthode d’analyse raisonnée plus moderne, adoptée dans R. c. Khan, 1990 CanLII 77 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 531, c’est-à-dire les exigences de fiabilités et de nécessité. L’arrêt Starr y a répondu par la plume du juge Iacobucci qui conclut que « la preuve par ouï‑dire qui relève effectivement d’une exception traditionnelle à la règle du ouï‑dire, dans son sens actuel, peut néanmoins être inadmissible si elle n’est pas suffisamment fiable et nécessaire. » : R. c. Starr, 2000 CSC 40 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 144, par. 105-106 (soulignement dans le texte; italique ajouté).
[72] La Cour suprême reconnaît que les exceptions traditionnelles comportent un élément de fiabilité inhérent et qu’une preuve admissible en vertu d’une exception traditionnelle est présumée admissible : R. c. Starr, 2000 CSC 40 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 144, par. 212; R. c. Mapara, 2005 CSC 23 (CanLII), [2005] 1 R.C.S. 358, par. 15. Ainsi, les deux approches se rejoignent. La « préoccupation fondamentale de fiabilité est au cœur de la règle du ouï‑dire. » : Starr, par. 199.
[73] Le juge Iacobucci ajoute que « cette préoccupation de fiabilité et de nécessité ne doit pas être moindre lorsqu’on cherche à présenter une preuve par ouï‑dire en vertu d’une exception reconnue » : R. c. Starr, 2000 CSC 40 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 144, par. 200 (je souligne). Il ajoute que « le fait d’adapter les exceptions à la règle du ouï‑dire à la méthode fondée sur des principes augmentera également la cohérence intellectuelle du droit de la preuve par ouï‑dire », car après tout, les exceptions traditionnelles « sont simplement des manifestations particulières de principes généraux » : Starr, par. 201. L’exception traditionnelle doit « céder le pas afin d’assurer la conformité avec la méthode fondée sur des principes. » : R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, par. 106 et 192. En clair, les exceptions traditionnelles doivent être interprétées d’une manière conforme à l’exigence de la méthode d’analyse raisonnée, c’est-à-dire que la preuve ne peut être admise que si elle est nécessaire et fiable: Starr, par. 213.
[74] Cela dit, j’ouvre une parenthèse pour signaler que certaines exceptions traditionnelles de common law au ouï-dire n’exigent pas la non-disponibilité du déclarant, c’est-à-dire l’exigence de nécessité, et je n’exprime aucune opinion à l’égard de l’admissibilité de celles-ci : voir David M. Paciocco, “The Hearsay Exceptions: A Game of ‘Rock, Paper, Scissors’” in Special Lectures of the Law Society of Upper Canada 2003: The Law of Evidence (Toronto: Irwin Law, 2004), page 52. Je ferme la parenthèse.
[75] Enfin, toujours dans l’arrêt Starr, le juge Iacobucci avance que les cas seront rares où une preuve manifestement visée par une exception traditionnelle ne satisfera pas les exigences de nécessité et de fiabilité de la méthode d'analyse raisonnée. La partie qui le conteste aura le fardeau de démontrer l’inadmissibilité de la preuve dans les circonstances qui seront nécessairement particulières. Cependant, si elle réussit, « la preuve devrait être écartée. » : R. c. Starr, 2000 CSC 40 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 144, par. 214 (je souligne).
1.2.4 Valeur probante et effet préjudiciable
[76] Une fois les conditions d’admissibilité satisfaites, la recevabilité d’une preuve est aussi fonction de sa valeur probante par rapport au préjudice qu’elle cause : R. c. Seaboyer, 1991 CanLII 76 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 577, 611; R. c. Sweitzer, 1982 CanLII 23 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 949, 953; R. c. Boukhalfa, 2017 ONCA 660, par. 178; R. c. Skeete, 2017 ONCA 926, par. 93.
[77] Dans l’arrêt B. (C.R.), une affaire concernant une preuve de faits similaires, la majorité de la Cour suprême, sous la plume de la juge McLachlin, avait expliqué la difficulté d’évaluer la valeur probante d’une preuve et de soupeser son effet préjudiciable. L’exercice fait appel à la discrétion judiciaire :
La tâche du juge des faits est très difficile et son pouvoir discrétionnaire très grand. Comme le souligne Forbes, op. cit., aux pp. 54 et 55:
[TRADUCTION] En présence d'une preuve de faits similaires produite par la poursuite, un juge doit exercer des fonctions et des pouvoirs d'une très grande complexité. Premièrement, il doit évaluer non seulement la pertinence, mais également le poids de la preuve contestée, bien que cette dernière fonction relève habituellement du jury. Deuxièmement, il doit fusionner en quelque sorte la pertinence et le poids pour obtenir la "valeur probante". Troisièmement, et compte tenu de la présomption d'exclusion, il doit soupeser cette valeur probante, établir un certain équilibre malgré les impondérables, en regard du préjudice que la preuve risque de soulever dans l'esprit des jurés.
"Le poids relatif de la preuve et du préjudice varie infiniment d'un cas à l'autre et l'opinion d'un juge en particulier dépend de l'impression que lui donne la preuve compte tenu de son expérience et de son propre sens de la justice. Il est inévitable que certaines affaires constituent des cas limites à tel point que différents juges pourront adopter des points de vue divergents à leur sujet et c'est donc le genre d'affaires où la cour hésitera longtemps avant de modifier une décision du juge du procès . . . (L)a solution de la question en litige fait appel dans une très large mesure à l'intuition . . ."
Lorsque le juge du procès a dûment tenu compte de ces préoccupations et a conclu sur son admissibilité, après avoir soupesé la preuve et le préjudice qu'elle était susceptible de causer, les tribunaux d'appel s'abstiennent d'intervenir à la légère.
R. c. B. (C.R.), 1990 CanLII 142 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 717, 733-734.
[78] Dans l’arrêt Seaboyer, la juge McLachlin est revenue sur la question. Elle énumère quatre facteurs pour évaluer le préjudice d’un élément de preuve :
Le professeur McCormick, dans McCormick's Handbook of the Law of Evidence (2e éd. 1972), énonce ce principe, parfois appelé concept de la "pertinence juridique", aux pp. 438 à 440:
[traduction] [...] Toutefois, la pertinence ne suffit pas toujours. On peut se demander si la valeur probante l'emporte sur l'effet préjudiciable. Plusieurs facteurs peuvent amener le tribunal à exclure une preuve pertinente s'ils ont plus de poids que sa valeur probante. Voici quels sont ces facteurs par ordre d'importance. Premièrement, le danger que les faits présentés soulèvent indûment chez le jury des sentiments de préjudice, d'hostilité ou de sympathie. Deuxièmement, la possibilité que la preuve et la contre-preuve soulèvent une question accessoire susceptible de détourner l'attention du jury des principales questions en litige. Troisièmement, le risque que la présentation de la preuve et de la contre-preuve occupe trop de temps. Quatrièmement, le danger que la preuve présentée surprenne l'adversaire qui, n'ayant aucun motif raisonnable de la prévoir, ne serait pas en mesure de la réfuter. [...]
R. c. Seaboyer, 1991 CanLII 76 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 577, 611 (soulignements ajoutés).
[79] Ainsi, la valeur probante d’un fait dépend du contexte dans lequel il est présenté. La mise en balance de sa valeur probante et de son effet préjudiciable commande la déférence en appel en l’absence d’une erreur de principe, parce que « le juge du procès a l’avantage d’être en mesure d’apprécier sur place la dynamique du procès et l’effet que la preuve aura vraisemblablement sur les jurés » : R. c. Shearing, 2002 CSC 58 (CanLII), [2002] 3 R.C.S. 33, par. 73; R. c. Araya, 2015 CSC 11 (CanLII), [2015] 1 R.C.S. 581, par. 31. Voir également R. c. Boukhalfa, 2017 ONCA 660, par. 187; R. c. Skeete, 2017 ONCA 926, par. 88.
1.2.5 La preuve de mauvaise réputation
[80] La preuve de mauvaise réputation est une autre dimension qui s’invite lorsque le ministère public cherche à mettre en preuve l’état de la relation entre la victime et l’accusé. Comme je l’ai mentionné, la preuve de mauvaise moralité ou de conduite indigne est en principe inadmissible.
[81] Le principe est énoncé clairement dans l’arrêt Handy :
[53] Par la suite, dans l’arrêt R. c. C. (M.H.), 1991 CanLII 94 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 763, le juge McLachlin affirme que l’arrêt B. (C.R.) fait autorité (p. 771-772), comme l’a fait notre Cour, à l’unanimité, presque 10 ans plus tard dans son jugement le plus récent en la matière, l’arrêt Arp, précité, par. 41, le juge Cory :
. . . la preuve présentée dans le seul but d’établir que l’accusé est le genre de personne susceptible d’avoir commis une infraction, est en principe inadmissible. La question de savoir si la preuve en question constitue une exception à cette règle générale dépend de savoir si la valeur probante de la preuve présentée l’emporte sur son effet préjudiciable. [Je souligne.]
R. c. Handy, 2002 CSC 56 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 908, par. 53.
[82] Le juge qui permet une preuve de mauvaise moralité doit donner des directives au jury afin que ce dernier ne l’utilise pas pour conclure que l'accusé est probablement le genre de personne à commettre l'infraction ou pour conclure autrement à sa culpabilité : R. c. Chambers, 1990 CanLII 47 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1293, 1310-1311; R. c. B. (F.F.), 1993 CanLII 167 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 697, 708, 738.
[83] Cependant, lorsque la preuve est présentée en lien avec un mobile ou l’identité de l’auteur du crime, il serait paradoxal d’exiger une telle directive. Cette règle n’est plus controversée. Dans l’arrêt Godbout, le juge Chamberland, pour notre Cour, reprend à son compte le passage de l’arrêt Pasqualino de la Cour d’appel de l’Ontario:
[84] Dans R. v. Pasqualino, la Cour d'appel de l'Ontario résume le droit à ce sujet:
[64] The appellant submits that the trial judge erred by not instructing the jury on the proper use of the abuse evidence in relation to the issues at trial. I take this to suggest that the trial judge should have provided a “bad character” caution with regard to this evidence of prior discreditable conduct.
[65] A consistent line of authority in this court states that no such caution is required for evidence of past threats or other bad conduct by the accused against the victim, if such evidence is admissible in relation to motive. This is because such evidence is admitted on the basis that someone who has threatened or acted against a specific victim in the past is more likely to have engaged in bad conduct against the same victim than someone who has not, and a jury is permitted to draw an adverse inference of guilt from such conduct.
[66] This line of precedent began with R. v. Jackson (1980), 1980 CanLII 2945 (ON CA), 57 C.C.C. (2d) 154, in which Justice Martin stated at pp. 168–69:
[W]here evidence of threats against the victim are admissible on the issue of motive, there is no requirement that the trial Judge should direct the jury that they are not to infer from the threats that the accused is a person who, from his criminal character or conduct, is likely to have committed the crime with which he is charged. Evidence of motive is a circumstance to be considered along with all the other circumstances. [Emphasis in the original text.]
[67] In R. v. Merz, supra at para. 59, Justice Doherty stated his agreement with the principle set down in Jackson:
I agree with the view expressed in Jackson. The evidence of the threats made by the appellant was evidence of motive which, in turn, constituted circumstantial evidence of identity and intent. I see no reason to warn the jury against using the evidence to infer propensity and hence to infer that the accused committed the crime when the more direct and powerful inference to be drawn from that evidence is that the accused had a motive to kill Ms. Murray. The trial judge properly instructed the jury as to how they could use evidence of motive. The limiting instruction normally given when evidence of prior bad acts by the accused is placed before the jury would make no sense in the context of evidence of motive. An instruction like that called for by the appellant could only serve to confuse the jury.
[68] This principle was more recently reaffirmed by Justice Moldaver in R. v. Krugel (2000), 2000 CanLII 5660 (ON CA), 143 C.C.C. (3d) 367 at paras. 84–92 (Ont. C.A. ). The appellant has not provided any arguments or countervailing authority to contest the logic supporting this precedent, and I see no reason for doing so.
[69] In the present case, the only issues contested at trial concerned the appellant’s intent and the defence of provocation. The trial judge in his voir dire ruling specifically explained, with regard to every item of past discreditable conduct evidence that he admitted, that he was admitting it as relevant to motive. He similarly labelled all of this evidence as going to motive in his charge to the jury.
[70] I therefore conclude that there was no need for the trial judge to provide a bad character caution in the jury charge and he therefore did not err by omitting such a caution.
R. c. Godbout , 2012 QCCA 59, par. 84 (soulignement dans le texte; références omises).
[84] Il est à mon avis incontestable que la relation passée entre deux personnes est logiquement pertinente pour comprendre comment ont pu évoluer les événements culminant à un homicide. Une preuve de la bonne entente et d’attentions bienveillantes entre les parties est certainement un élément, logiquement, participe à soulever un doute sur la responsabilité d’un accusé d’avoir infligé les blessures à la victime. De la même façon, lorsqu’un homicide survient dans le cadre d’une relation conjugale, l’état de la relation peut avoir un lien pertinent avec un mobile, l’identité de l’auteur du crime et l’intention requise. En général, les actes d’inconduites extrinsèques de l’accusé envers la victime, comme des menaces ou des voies de fait, peuvent être admis pour ces raisons : R. c. Moo, 2009 ONCA 645, par. 98 à 100.
[85] Les exemples sont fréquents en jurisprudence. Dans l’arrêt Carroll, la preuve du meurtre de la conjointe de l’appelant comportait des déclarations antérieures de la victime qui exprimaient sa crainte ou sa peur de l’appelant ou rapportaient des paroles de l’appelant qui suscitaient cette crainte : R. c. Carroll, 2014 ONCA 2, par. 83. Le juge du procès avait admis cette preuve en se fondant à la fois sur l’exception de common law de l’état d’esprit du déclarant et sur la méthode d'analyse raisonnée du ouï-dire : Carroll, par. 86-87. La Cour d’appel constate que les déclarations en question étaient des déclarations spontanées, contemporaines, qui comportaient suffisamment de détails pour leur donner un sens et qui, en définitive, satisfaisaient le seuil de la fiabilité, raison pour laquelle l’appel a été rejeté : Carroll, par. 108 à 112.
[86] La Cour d’appel de l’Ontario a souligné que l’état d’esprit de la victime pouvait être pertinent pour refléter les ressentiments de l’appelant à son égard. À son tour, ce ressentiment peut devenir pertinent pour établir un mobile ou l’identité de l’assaillant et même pour éliminer un tiers suspect : R. c. Carroll, 2014 ONCA 2, par. 109, citant notamment R. c. Griffin, 2009 CSC 28 (CanLII), [2009] 2 R.C.S. 42, par. 60 à 63; R. c. Pasqualino, 2008 ONCA 554, par. 31.
[87] Dans l’arrêt Walker, les propos de la victime, rapportés par sept témoins, étaient constitués de 65 déclarations. Selon la Cour, plusieurs étaient inoffensives, ne faisant que répéter des propos tenus par Walker lui-même à d’autres témoins : R. c. Walker, 2002 BCCA 89, par. 48. Ce constat avait également une importance dans l’évaluation de l’effet préjudiciable : Walker, par. 59. Toutes ces déclarations, selon le juge du procès, étaient admissibles sous l’exception fondée sur la méthode d'analyse raisonnée et décrivaient la relation conjugale précédant les événements, ce qui en faisait une preuve pertinente pour démontrer les ressentiments de l’appelant envers la victime et ensuite pour inférer un mobile : Walker, par. 54-55. La Cour d’appel a refusé d’intervenir à l’égard des conclusions concernant le seuil de fiabilité en l’absence d’erreur, le juge étant le mieux placé pour en décider : Walker, par. 58.
[88] Dans un contexte qui n’était pas celui d’une relation conjugale, l’arrêt Godbout illustre bien la pertinence des actes d’inconduites extrinsèques à l’accusation. Cette affaire mettait en cause le meurtre de la directrice générale d’une petite municipalité, tuée de deux décharges de fusil. En appel, il n’était pas question d’admissibilité de la preuve, mais de son caractère préjudiciable. L’appelant s’en prenait à « l'ampleur de la preuve du ministère public concernant son état d'esprit et le mobile qui aurait pu l'amener à s'en prendre à [la victime] commandait que le juge avise le jury de ne pas se servir de cette preuve pour conclure à sa culpabilité simplement parce qu'il serait le genre de personne susceptible de commettre le crime dont il était accusé (une preuve de propension). » : R. c. Godbout, 2012 QCCA 59, par. 80.
[89] Au procès, le ministère public avait établi que Godbout avait été vu à proximité du bureau municipal, à l'heure approximative du crime, mais, surtout, il avait fait état des éléments caractéristiques de la relation entre l’appelant et la victime, en lien avec un mobile.
[90] En quelques mots, Godbout subissait une décision de la municipalité l’obligeant à se départir de ses animaux. Le matin du drame, la Cour d’appel avait rejeté sommairement son appel, ce qui marquait la fin des procédures dans le conflit acrimonieux qui l’opposait à la municipalité.: R. c. Godbout, 2012 QCCA 59, par. 4 à 8.
[91] Au procès, une cousine de la victime a rapporté que celle-ci lui avait raconté, quelques mois auparavant, avoir été traitée de « grosse vache » par Godbout et qu’elle le craignait. Godbout lui-même avait dit à plusieurs témoins qu’il allait « mettre le feu là-dedans » (dans l’immeuble où il gardait ses animaux) s’il perdait sa cause, qu’il irait « chercher [son] quatre cent dix (410), et [que cela irait] mal en "tabarnac" ». Une autre témoin a rapporté que « la veille du meurtre; il passait de porte en porte pour faire signer une pétition. Elle a raconté que Godbout traitait madame Vaudreuil de "grosse vache" et qu'il en voulait au maire, ajoutant qu'il était "pour le faire sauter" et que, pour tous les membres du conseil, "c'était une balle dans la tête" » : Godbout, par. 72 à 76. Cette preuve était pertinente au procès en lien avec un mobile, l’identité et l’intention : Godbout, par. 83 et 84.
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