mercredi 30 novembre 2011

Le pouvoir d’amender un chef d’accusation

R. c. Cadorette, 2010 QCCS 1953 (CanLII)

[18] De manière générale, la justice criminelle a évoluée au cours des dernières années et elle s’est lentement éloignée d’un certain formalisme tant dans le domaine du droit de la preuve et de la procédure.

[19] Le juge Fish constate cette évolution dans R. c. Lemieux
The administration of the criminal law has evolved significantly during the past century. Particularly in recent years, it has become more humane and, largely for that very reason, less dependent on excessive formalism to ensure fairness and decency.

Emphasis on procedural equity as opposed to procedural nicety is, however, unrelated to the fundamental principal of substantive criminal law that an accused cannot be convicted unless caught by the plain words of the statute under which he or she is charged. This is not a matter of formalism, if I may say so with respect, but rather a corollary of Dicey's "first meaning" of the rule of law: "...a man may be punished for a breach of law, but he can be punished for nothing else" [A. V. Dicey, Introduction to the Study of the Law of the Constitution, 9th ed., 1939, p. 202.].

[20] L’évolution du droit canadien en matière d’amendement en est un bon exemple.

[22] Dans R. c. Moore, le juge Lamer, dissident, mais pas sur cette question, écrit ce qui suit:

Depuis l'adoption de notre Code en 1892, du fait de la jurisprudence et des modifications ponctuelles apportées à l'art. 529 [maintenant l’art. 601] et aux articles qui l'ont précédé, l'obligation pour les juges d'annuler les actes d'accusation s'est graduellement transformée en une obligation de les modifier; le juge ne conserve en effet qu'un pouvoir discrétionnaire restreint pour annuler.

[23] Dans R. c. Côté, le juge en chef Lamer résume la règle en ces termes :

Le tribunal qui est appelé à décider s’il y a lieu de modifier une dénonciation ou un acte d’accusation défectueux doit tenir compte des répercussions pour l’accusé de la modification proposée. La norme applicable en ce qui concerne l’art. 601 du Code est la question de savoir si l’accusé subirait un «préjudice irréparable» par suite de la modification de l’acte d’accusation: R. c. P. (M.B.), 1994 CanLII 125 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 555; R. c. Tremblay, 1993 CanLII 115 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 932; Vézina et Côté c. La Reine, 1986 CanLII 93 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 2; Morozuk c. La Reine, 1986 CanLII 72 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 31. Dans ces affaires, qui étaient fondées sur le Code criminel et où rien dans la preuve n’indiquait que l’accusé avait été induit en erreur ou avait subi un préjudice irréparable en raison d’une divergence entre l’acte d’accusation et la preuve, notre Cour a modifié l’acte d’accusation et rejeté le pourvoi.

La norme applicable en matière de modification est la même dans les affaires fondées sur la Loi sur les poursuites sommaires. Lorsqu’une accusation peut être corrigée, on corrige. Dans la mesure où la preuve est conforme à la bonne accusation et où les appelants n’ont pas été induits en erreur ou n’ont pas subi de préjudice irréparable en raison d’une divergence entre la preuve et les dénonciations, la défectuosité peut et doit être corrigée

[24] La question essentielle est donc de savoir si l’accusé a été induit en erreur ou subi un préjudice irréparable.

[25] Dans P.(M.B.), le juge en chef Lamer énonce une nuance importante à l’égard de la notion de préjudice :

Le paragraphe 601(4) ne prévoit nullement que l'incapacité d'invoquer un moyen de défense particulier constitue un «préjudice» ou une «injustice» irréparable, et cela ne peut pas non plus se déduire du texte de la disposition. Il convient plutôt de laisser au juge du procès le soin d'examiner ces questions en fonction des circonstances particulières d'une affaire.

[26] La Cour d’appel de l’Ontario a évalué la question du préjudice dans le cadre de l’analyse du pouvoir d’une cour d’appel d’amender une accusation en vertu de l’art. 683(1)(g) du Code criminel dans R. v. Irwin.

[27] Après avoir reconnu l’existence du pouvoir d’amendement d’une cour d’appel, le juge Doherty s’exprime ainsi à l’égard de la question du préjudice :

There is no "vested right" to any particular defence in a criminal proceeding: R. v. P. (M.B.) 1994 CanLII 125 (SCC), (1994), 89 C.C.C. (3d) 289 at 296-97 (S.C.C.) Were it otherwise, any amendment which had the effect of removing a defence or legal argument in support of an acquittal would be automatically prejudicial. Were that the law, the power to amend on appeal would be rendered almost nugatory.

Prejudice in the present context speaks to the effect of the amendment on an accused's ability and opportunity to meet the charge. In deciding whether an amendment should be allowed, the appellate court must consider whether the accused had a full opportunity to meet all issues raised by the charge as amended and whether the defence would have been conducted any differently had the amended charge been before the trial court. If the accused had a full opportunity to meet the issues and the conduct of the defence would have been the same, there is no prejudice: e.g. see R. v. Foley 1994 CanLII 9760 (NL CA), (1994), 90 C.C.C. (3d) 390 at 400-403 (Nfld. C.A.). As I see it, had the appellant been charged with unlawfully causing bodily harm, the trial would have proceeded exactly as it did save that there would have been no argument as to the applicability of the doctrine of transferred intent.


[28] La Cour d’appel de l’Ontario examine de nouveau cette question dans R. v. McConnell:

As this court said in R. v. Irwin 1998 CanLII 2957 (ON CA), (1998), 123 C.C.C. (3d) 316, at para. 38, prejudice "speaks to the effect of the amendment on an accused's ability and opportunity to meet the charge". Thus, in deciding whether an amendment should be allowed, the court will consider whether the accused will have a full opportunity to meet all issues raised by the charge and whether the defence would have been conducted differently. The respondent was aware of the essential elements of the charges and was aware of the transaction being alleged against him from the Crown disclosure. There would have been no prejudice in this case and defence counsel in his submissions to the trial judge did not point to any relevant prejudice. In his submissions before us, counsel for the respondent conceded that there was no relevant prejudice. As Morden J.A. said in R. v. Melo reflex, (1986), 29 C.C.C. (3d) 173 (Ont. C.A.) at 185:

The only prejudice which would be occasioned to the accused by the amendment is the removing of a defence which is both technical and unrelated to the merits of the case or to procedural fairness. The refusal of the amendment, with respect, resulted in the matter being decided on a basis that was not "in accordance with the very right of the case": [R. v. Adduono (1940), 73 C.C.C. 152 (Ont. C.A.), at 155]

[29] L’interprétation qui doit être donnée à l’arrêt Servant est capitale à l’issue de l’appel de la poursuite car les décisions de la Cour supérieure dans Descoteaux, Laroche et Forest c. Lavergne appuient la position de la poursuite en l'espèce, mais ce n’est pas le cas de la décision dans Bourbonnais.

[30] Dans l’affaire R. c. Servant, notre Cour d’appel a examiné la question de l’amendement mais dans un contexte bien spécifique.

[31] Dans cette affaire, la présentation de la preuve de la poursuite, celle-ci demande la modification d’un chef d’accusation alléguant une infraction d’avoir eu un taux d’alcoolémie supérieure à plus de 0.08 contrairement à l’art. 253 b) C.cr. pour qu’il soit remplacé par une infraction de conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool contrairement à l’art. 253 a) C. cr.

[32] Dans sa décision, la Cour d’appel examine si l’amendement pouvait être autorisé soit en vertu du par. 601(2) afin de rendre le chef d’accusation ou le détail conforme à la preuve ou soit en vertu du par. 601(3) lorsque le chef d’accusation comporte un vice de forme quelconque.

[33] La Cour d’appel s’exprime ainsi :

Le paragraphe (2) n'est pas pertinent en l'espèce puisqu'il vise à modifier un chef d'accusation intrinsèquement suffisant, mais qui s'avère non conforme à la preuve présentée. Par conséquent, un juge ne peut autoriser un tel amendement qu'après avoir entendu la preuve. Il s'agit plutôt de déterminer si le juge du procès pouvait autoriser l'amendement en vertu du paragraphe 601(3) C. cr.

Le ministère public pouvait-il alors demander un amendement pour l'un des motifs énoncés à l'alinéa 601(3)b)? La Cour est d'avis que la réponse est négative. Le législateur a spécifié que dans les cas prévus à cet alinéa, « les choses devant être alléguées dans la modification projetée » doivent être révélées par la preuve recueillie lors de l’enquête préliminaire ou au procès. Dans un arrêt récent, R. c. McConnell, le juge Rosenberg de la Cour d'appel de l'Ontario écrivait à ce sujet:

The problem for the prosecution in this case is that to rely on this part of subsection (3), the matters to be alleged in the amendment must have been disclosed in the evidence. At the opening of the trial, when Crown counsel sought the amendment, there was no evidence. In my view, the submissions of counsel as to what is contained in the disclosure is not evidence.

In my view, the interpretation that is most consistent with the wording of the Criminal Code is that there is no power to amend to conform to the evidence until the evidence has been heard. In addition to R. v. Callocchia, see for example, R. v. King (1956), 116 C.C.C. 284 (Ont. C.A.). Admittedly, the cases are also almost universally to the effect that if the trial judge errs and permits a premature amendment, if the accused was not prejudiced the appeal will be dismissed, presumably by application of the proviso in s. 686(1)(b)(iii) or (iv) of the Criminal Code. Thus, in addition to R. v. Deal, see R. v. Fiore (1962), 132 C.C.C. 213, (Ont. C.A.) and R. v. S.(C.A.) 1997 CanLII 2519 (BC CA), (1997), 114 C.C.C. (3d) 356 (B.C.C.A.) at 360 and 364. But the fact that no prejudice was occasioned by the error cannot create a power of amendment outside the Criminal Code regime.

Il s'agit exactement de la situation dans le présent dossier. Le juge du procès ne pouvait s'autoriser de l'alinéa 601(3)b) C. cr. pour modifier la dénonciation, puisque aucune preuve n'avait été présentée au moment où le ministère public a présenté sa requête. Force est de conclure que l'amendement était prématuré

[34] La Cour d’appel estime aussi que l’arrêt Irwin est difficilement applicable au cas de M. Servant en raison du fait qu’aucune preuve n’avait été présentée lors de son procès. La Cour d'appel conclut aussi que les motifs du juge Doherty dans Irwin permettent «de modifier un acte d'accusation pour substituer l'infraction originale par une nouvelle lorsque la modification ne vise rien de plus que la désignation, le « label » de l'infraction [et non] la substitution de l’infraction originale par la nouvelle accusation dans les circonstances de l’espèce».

[35] La Cour d’appel conclut son analyse en ces termes :

En l'espèce, en l’absence de toute preuve, la Cour est d'avis que la modification de la dénonciation ne constituait pas la correction d'un détail de l'infraction ou le changement de sa désignation, et encore moins la correction d'un vice de forme. Par conséquent, le juge du procès ne pouvait l'autoriser. Dans ces circonstances, l'absence de préjudice, question sur laquelle la Cour ne se prononce pas, n'a aucune pertinence

[36] Dans l’arrêt Servant, la Cour d’appel décide que le par. 601(3) du Code criminel ne permet pas de substituer une nouvelle infraction avant la présentation de la preuve lors du procès.

[37] La Cour d’appel, avec respect pour l’opinion contraire adoptée dans l’arrêt Bourbonnais, ne se prononce pas sur la question de savoir si un amendement peut être autorisé en vertu du par. 601(2) C. cr. afin de rendre le chef d’accusation ou le détail conforme à la preuve

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