mercredi 29 février 2012

La confiscation d’un bien infractionnel / L'état du droit selon la Cour d'Appel

R. c. Casey, 2012 QCCA 329 (CanLII)

Lien vers la décision
 
[3] Le juge de première instance a rejeté la requête au motif que l’intimé avait établi, conformément au paragraphe 490.41 (3) C.cr., que la confiscation serait démesurée par rapport à la nature et à la gravité de l’infraction, aux circonstances de sa perpétration et à son casier judiciaire. L’appelante se pourvoit avec l’autorisation d’un juge de la Cour.

[4] Invoquant l’arrêt de la Cour suprême dans R. c. Craig, l’appelante reproche d’abord au juge de première instance d’avoir rejeté sa requête en se fondant sur des facteurs non pertinents et, notamment, l’âge de l’intimé, ses problèmes de santé et ceux de sa conjointe, les frais considérables de taxis que la confiscation l’obligerait à assumer ainsi que « l’aspect familial » du bien infractionnel. Elle fait également valoir que le juge a omis de prendre en compte l’existence d’un second véhicule utilisé par l’intimé et susceptible de lui permettre de pourvoir à ses besoins de transport. Elle plaide enfin que le juge n’aurait pas suffisamment considéré le casier judiciaire de l’accusé, un élément particulièrement pertinent lorsque, comme en l’espèce, les condamnations antérieures sont liées à l’infraction commise.

[5] En ce qui concerne le premier moyen, l’arrêt R. c. Neault de notre Cour, qui a été repris dans l’arrêt R. c. Manning, établit que, même si les trois facteurs énoncés au paragraphe 490.41 (3) sont exhaustifs selon la Cour suprême, les termes choisis par le législateur confèrent tout de même un large pouvoir discrétionnaire au juge saisi d’une demande de confiscation, notamment parce que la disposition législative reste muette sur ses effets pouvant être pris en compte et sur la manière de les évaluer :

[23] À mon avis, les termes choisis par le législateur confèrent tout de même au juge une large discrétion face à une demande de confiscation. Il peut la refuser s’il est d’avis que « …la confiscation serait démesurée par rapport à… » (…if a court is satisfied that the impact of an order of forfeiture… would be disproportionate to…).

[24] L’idée de « démesure » (disproportionate to) et le terme de comparaison « par rapport à » impliquent de soupeser deux réalités pour constater s’il y a équilibre ou déséquilibre entre les plateaux de la balance. D'un côté, il y aura les faits relatifs à l’infraction, évalués selon l’objectif de l’ordonnance et les trois facteurs de la loi, et de l’autre, les effets plus ou moins draconiens de la confiscation (the impact of the forfeiture). Le poids relatif des faits et des effets fera pencher la balance en faveur ou contre la confiscation.

[25] Si la loi précise les facteurs d’évaluation de l’infraction, elle est muette sur les effets à prendre en compte et sur la manière de les évaluer. À mon avis, il est pertinent de considérer entre autres si le bien est superflu, utile ou nécessaire suivant son usage habituel; si le bien est de peu ou de grande valeur en soi et en l’espèce; si le bien est utilisé pour des besoins de base, s’approvisionner, se faire soigner; si le bien sert aux loisirs ou au travail; si le bien contribue à l’exécution d’obligations familiales ou sociales.

[6] L’arrêt Neault a également écarté l’argument de l’appelante voulant que l’effet de la confiscation sur la famille ne peut être considéré sous le paragraphe 490.41 (3) parce que ce facteur, prévu au paragraphe 490.41 (4), ne s’appliquerait que lorsque le bien infractionnel est constitué d’une maison d’habitation. Ce n’est pas parce que le paragraphe 490.41 (4) fait obligation au juge de prendre en compte l’effet sur la famille de la confiscation d’une maison d’habitation qu’une telle considération est interdite dans le contexte du paragraphe précédent. L’aspect familial pourra être pris en considération en autant qu’il est en lien avec le bien visé.

[7] Le juge de première instance était bien au fait de l’arrêt Neault puisqu’il lui a été plaidé par l’avocat qui représentait alors l’intimé à l’audience du 3 mai 2011 sur la requête de l’appelante. Dans son jugement du 23 août 2011, il n’a d’ailleurs pas commis l’erreur de principe que la Cour a reproché au juge de première instance dans l’arrêt Neault et il a expressément refusé de considérer la peine infligée à l’intimé pour apprécier le caractère démesuré de la confiscation.

[8] Pour évaluer l’effet de la confiscation eu égard aux facteurs énoncés au paragraphe 490.41 (3) C.cr., le juge a pris en compte le fait que l’intimé, âgé de 72 ans, a des problèmes de santé et qu’il en est de même avec sa conjointe avec qui il fait vie commune depuis plusieurs années. Ces problèmes de santé les obligent tous les deux à se déplacer régulièrement pour obtenir les soins requis. Il veut alors récupérer son véhicule pour le faire conduire par son fils ou une autre personne pour les fins de rendez-vous médicaux ou pour l’épicerie hebdomadaire. C’est en ce sens précis que la confiscation du véhicule aura un impact significatif sur la famille. Il considère également le fait que l’intimé demeure à plusieurs dizaines de kilomètres de Baie‑Comeau, ce qui entraînera des dépenses considérables si son véhicule est confisqué.

[9] Les effets identifiés par le juge et son évaluation comparative de ces effets s’inscrivent de façon rigoureuse dans les paramètres établis dans l’arrêt Neault et appliqués dans des circonstances similaires dans l’arrêt Manning. En conséquence, le premier moyen de l’appelante doit être écarté.

[10] L’appelante a également tort de prétendre que le juge a omis de considérer dans son analyse l’existence d’un deuxième véhicule, un camion avec une gratte, pouvant être utilisé par l’intimé. Sur cette question, le juge devait apprécier une preuve testimoniale quelque peu contradictoire quant aux possibilités réelles d’utilisation de ce second véhicule sur les chemins publics compte tenu de son kilométrage élevé, de son usure et des frais afférents à son entretien. Il a bel et bien considéré cet élément lorsqu’il déclare dans son jugement : « Il ressort des représentations qui ont été faites devant la Cour que c’est le seul véhicule [celui visé par la requête] utilisable par les parties ». Compte tenu du pouvoir discrétionnaire qui est le sien, ce moyen doit être rejeté.

[11] Il en va de même du dernier reproche de l’appelante concernant l’importance du facteur relatif au casier judiciaire de l’intimé qui serait particulièrement pertinent en l’espèce vu que les condamnations antérieures sont reliées à la conduite automobile sous l’effet de l’alcool. D’une part, le juge mentionne que l’intimé a des antécédents judiciaires de même nature. D’autre part, il fait le constat que la preuve ne révèle pas que dans le passé l’intimé ait fait fi des ordonnances qui ont été prononcées contre lui dans le cadre de plaidoyers de culpabilité ou de condamnations découlant d’une conduite de véhicule moteur alors qu’il avait les capacités affaiblies. Ce constat ne peut être fait qu’à partir d’une étude des antécédents de l’intimé en semblable matière.

[12] L’appelante ne peut donc valablement soutenir que le juge n’a pas accordé à ce facteur toute l’importance requise puisque, après les avoir considérés, il conclut que les antécédents judiciaires de l’intimé ne peuvent à eux seuls justifier une demande de confiscation en l’espèce, notamment à cause de l’impact familial d’une telle confiscation.

[13] Sur le tout, et en considérant que la décision du juge d’ordonner la confiscation bénéficie d’un large pouvoir discrétionnaire, l’appelante ne fait pas voir l’erreur de droit, l’erreur de principe ou l’erreur de fait manifeste et déterminante qui justifieraient l’intervention de la Cour.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire