vendredi 29 novembre 2013

Revue de l'état du droit par la Cour fédérale sur l’admissibilité des pièces commerciales

Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Seifert, 2006 CF 270 (CanLII)


[11]           L’argument principal du demandeur est que la majorité des documents mis à la disposition de la Cour constituent des pièces commerciales, admissibles en vertu de l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5. (Les dispositions pertinentes sont reproduites à l’Annexe A.) Selon le demandeur, il s’agit de documents qui ont été établis « dans le cours ordinaire des affaires » (paragraphe 30(1)). De plus, dans les cas où l’original d’un document n’était pas disponible, le demandeur a fourni un affidavit pour expliquer pourquoi l’original ne pouvait être produit (il ne pouvait être retiré des archives publiques, par exemple), indiquer le lieu où se trouve le document, attester son authenticité et répondre de l’exactitude des copies, comme le permet le paragraphe 30(3) de la Loi sur la preuve au Canada

[12]           Le défendeur a opposé plusieurs objections au fait que le demandeur invoque l’exception relative aux pièces commerciales. J’ai rejeté cinq d’entre elles, mais j’ai examiné les autres avec attention. En premier lieu, le défendeur soutient que de nombreux documents débordent le cadre prévu par l’article 30 parce qu’ils contiennent des opinions et analyses − ils ne se résument pas à des faits consignés dans un dossier ou un tableau (comme c’était le cas dans l’arrêt Ares c. Venner1970 CanLII 5 (CSC), [1970] R.C.S. 608). Cependant, je suis convaincu que des documents qui comportent des opinions peuvent néanmoins constituer des pièces commerciales et être admissibles en vertu de l’article 30 en vue de faire foi de leur contenu (Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada, 2e éd., Markham, Butterworths, 1999, page 229, §6.163). Naturellement, cela ne signifie nullement que je suis lié par les opinions qui peuvent être exprimées dans ces documents.

[13]           Deuxièmement, le défendeur prétend que les documents qui proviennent des ministères ou organismes gouvernementaux ne peuvent constituer des « pièces commerciales ». Toutefois, compte tenu du libellé très large de la définition du terme « affaires » qui figure au paragraphe 30(12) de la Loi sur la preuve au Canada, j’estime que les documents établis dans le cours ordinaire des affaires d’une activité gouvernementale ou d’opérations gouvernementales peuvent être considérés comme des pièces commerciales et être admissibles en vertu de l’article 30 pour faire foi de leur contenu. Le paragraphe 30(12), en effet, prévoit précisément que le terme « affaires » comprend « toute activité exercée ou opération effectuée, au Canada ou à l’étranger, par un gouvernement, par un ministère, une direction, un conseil, une commission ou un organisme d’un gouvernement, par un tribunal ou par un autre organisme ou une autre autorité exerçant une fonction gouvernementale ».

[14]           Troisièmement, le défendeur allègue que de nombreux affidavits présentés par le demandeur au soutien des documents sont irréguliers et ne respectent pas les exigences du paragraphe 30(3). Le défendeur avance, plus particulièrement, qu’il est inapproprié qu’un archiviste déclare qu’un document a été préparé dans le cours ordinaire des affaires dans le seul but de satisfaire aux exigences de l’article 30. Je conviens que l’opinion d’un archiviste sur la question de savoir si un document a été préparé « dans le cours ordinaire des affaires » ne peut tenir lieu de la décision du tribunal à cet égard pour l’application de l’article 30 de la Loi (comparer Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fast2003 CF 1139 (CanLII), 2003 CF 1139, [2003] A.C.F. no 1428, (1re inst.) (QL), et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Oberlander1998 CanLII 9094 (CF), [1999] 1 C.F. 88, [1998] A.C.F. no 1380 (1re inst.) (QL)). En revanche, le fait qu’un archiviste ait émis une opinion sur le sujet ne rend pas pour autant son affidavit inadmissible ni dépourvu de pertinence pour ce qui est des autres questions.

[15]           Quatrièmement, le défendeur est d’avis qu’aucun document ne peut être admis aux termes de l’article 30 si le déclarant est décédé. Suivant le sous-alinéa 30(10)a)(iv), une pièce reproduisant une déclaration faite par une personne qui n’est pas habile et contraignable à témoigner dans la procédure judiciaire ne peut être admise à titre de pièce commerciale. Cette disposition précise aussi qu’une pièce reproduisant une déclaration faite par une personne qui, si elle était vivante et saine d’esprit, ne serait pas habile et contraignable à témoigner dans la procédure judiciaire, ne peut non plus être admise à titre de preuve commerciale. On me demande de conclure que cette règle interdit l’admission de documents établis par des personnes désormais décédées et qui, dès lors, ne sont pas contraignables comme témoins dans la présente instance. Telle n’est pas mon interprétation de cette disposition. Celle-ci, à mon avis, dispose simplement que l’exception relative aux pièces commerciales énoncée au paragraphe 30(1)ne peut être invoquée pour présenter la preuve d’une personne qui, qu’elle soit vivante ou décédée, ne pourrait pas témoigner dans la procédure (voir R. c. Heilman, [1983] M.J. no 390, (1983), 22 Man. R. (2d) 173 (Cour de comté.)).

[16]           Cinquièmement, le défendeur prétend que tous les documents relatifs aux politiques et aux pratiques entourant la sélection des candidats à l’immigration au Canada après la Deuxième Guerre mondiale sont inadmissibles du fait que, par définition, ils se rapportent à une investigation ou à une enquête, à la préparation ou à la prestation de conseils juridiques ou ont été établis en vue d’une procédure judiciaire et qu’en conséquence, ils sont visés par les exceptions décrites aux sous‑alinéas 30(1)a)(i) et (ii) à la règle relative aux pièces commerciales. Je ne crois pas que tous les documents qui se rapportent à la sélection des immigrants soient, par définition, visés par ces exceptions à la règle; cependant, je me suis penché sur la question de savoir si certains documents pouvaient être inadmissibles pour ce motif (voir par exemple R. c. Palma 2000 CanLII 22806 (ON SC), (2000), 149 C.C.C. (3d) 169 (C.S.J. Ont.)).

[17]           De manière générale, je conviens avec le défendeur que de nombreux documents du demandeur ne peuvent être considérés comme des pièces commerciales. Notamment, les documents énonçant des politiques, les mémoires et les lettres personnelles ne m’apparaissent pas faire partie des documents admissibles à titre de pièces commerciales en application de l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada. Par ailleurs, les diverses exceptions formulées au paragraphe 30(10) de la Loi n’interdisent pas l’admission en preuve de documents qui ne sont pas des pièces commerciales.

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