mardi 29 novembre 2016

Le moment de la décision sur la demande d’arrêt des procédures relativement à la destruction / perte d'élément de preuve



27                     La réponse à la question de savoir si l’arrêt des procédures est une réparation convenable dépend de l’effet qu’a, sur l’équité du procès, la conduite causant un abus de procédure ou quelque autre préjudice.  Souvent, il est préférable de trancher cette question au fur et à mesure du déroulement du procès.  En conséquence, le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire de statuer sur la demande d’arrêt des procédures soit sur‑le‑champ, soit après avoir entendu une partie ou la totalité de la preuve.  À moins qu’il ne soit évident qu’aucune autre mesure ne pourra réparer le préjudice causé par la conduite donnant lieu à l’abus, il est généralement préférable de surseoir à statuer sur la demande.  Ainsi, le juge sera en mesure d’évaluer l’ampleur du préjudice et de déterminer si les mesures prises pour réduire celui-ci au minimum se sont avérées fructueuses.  Il s’agit de la procédure adoptée par la Cour d’appel de l’Ontario dans les affaires d’éléments de preuve perdus.  Dans R. c. B. (D.J.) (1993), 16 C.R.R. (2d) 381, la cour a dit ceci, à la p. 382:

[TRADUCTION] Il était impossible d’évaluer l’ampleur du préjudice dans les circonstances de l’espèce sans avoir entendu toute la preuve pertinente, preuve dont la nature permettait de démontrer si le préjudice était réel ou minimal.

De même, dans R. c. Andrew (S.) (1992), 60 O.A.C. 324, la cour a conclu, à la p. 325, que, sauf si la violation de la Charte [TRADUCTION] «est flagrante et manifeste, il est préférable que le procès ait lieu et que la question de la violation soit examinée au fur et à mesure de la présentation de la preuve».  Voir également:  R. c. François (L.) (1993), 1993 CanLII 8582 (ON CA)65 O.A.C. 306R. c. Kenny (1991), 1991 CanLII 2738 (NL SCTD)92 Nfld. & P.E.I.R. 318 (C.S.T.‑N. 1re inst.).

28                     J’ajouterais que, même si le juge du procès rejetait la requête dès le début du procès, une autre requête au même effet pourrait être présentée advenant un changement important de circonstances.  Voir R. c. Adams1995 CanLII 56 (CSC)[1995] 4 R.C.S. 707, et R. c. Calder1996 CanLII 232 (CSC)[1996] 1 R.C.S. 660.  Il en serait ainsi dans le cas où, après le rejet de sa demande, l’accusé serait en mesure d’établir un changement appréciable de l’ampleur du préjudice.

Le respect de l’obligation de divulgation dans les affaires de perte d’éléments de preuve

R. c. La, [1997] 2 RCS 680, 1997 CanLII 309 (CSC)


16                     Depuis l’arrêt de notre Cour R. c. Stinchcombe1991 CanLII 45 (CSC)[1991] 3 R.C.S. 326 («Stinchcombe (no 1)»), il est bien établi que le ministère public a l’obligation de divulguer tous les éléments de preuve pertinents en sa possession, qu’ils soient inculpatoires ou exculpatoires et qu’il compte s’en servir ou non.  Dans cette affaire, les déclarations des témoins posaient un problème particulier.  Nous avons conclu que les notes prises par les policiers doivent être divulguées et que, s’il n’en existe pas, il faut communiquer un énoncé de ce que «va dire» le témoin, établi à partir des renseignements dont dispose le ministère public et résumant la déposition:  voir la p. 344.


17                     Dans R. c. Egger1993 CanLII 98 (CSC)[1993] 2 R.C.S. 451, notre Cour a reconnu que l’obligation de divulgation du ministère public donnait naissance à une obligation de conserver les éléments de preuve pertinents.  En effet, à la p. 472, nous avons souligné que le ministère public pouvait être tenu de garder des échantillons de sang au-delà du délai de trois mois prévu par la loi, afin de respecter les exigences en matière de divulgation découlant de l’arrêt Stinchcombe (no 1).

18                     La question des obligations du ministère public en matière de divulgation lorsque des éléments de preuve sont perdus s’est soulevée au cours du nouveau procès ordonnée par notre Cour dans Stinchcombe (no 1).  La police avait égaré l’enregistrement audio de l’entrevue d’un témoin, entrevue au cours de laquelle cette personne avait exprimé des doutes quant à l’exactitude de son témoignage antérieur.  L’agent qui avait fait l’entrevue était décédé des suites d’une tumeur au cerveau.  Cependant, le ministère public avait communiqué une transcription de l’entrevue.  En écartant l’arrêt des procédures inscrit par le juge du procès, la Cour d’appel de l’Alberta a souligné que ce sont les renseignements que contiennent les déclarations des témoins qui doivent être divulgués et non l’original de la déclaration:  Stinchcombe (no 2), précité.  Notre Cour a été d’accord avec cette conclusion, 1995 CanLII 130 (CSC)[1995] 1 R.C.S. 754, au par. 2:

Le ministère public ne peut produire que ce qu'il a en sa possession ou ce dont il a le contrôle.  Il n'existe pas de droit absolu de faire produire les originaux.  Si le ministère public a les originaux des documents qui doivent être produits, il doit les produire ou permettre qu'ils soient examinés.  Cependant, si les originaux ne sont pas disponibles et si le ministère public les a déjà eu en sa possession, il doit expliquer leur absence.  Si l'explication est satisfaisante, le ministère public s'est acquitté de son obligation, sauf si la conduite qui a entraîné l'absence ou la perte des originaux est en elle‑même telle qu'elle pourrait justifier une réparation aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés.


19                     Un principe similaire a été établi dans R. c. Chaplin1995 CanLII 126 (CSC)[1995] 1 R.C.S. 727, au par. 25:

Dans les cas où l’existence de certains renseignements a été établie, le ministère public est tenu de justifier la non‑divulgation en démontrant soit qu’il n’en a pas le contrôle soit qu’ils sont manifestement sans pertinence ou privilégiés.

20                     Cette obligation de justification découle de l’obligation qu’ont le ministère public et la police de conserver les fruits de l’enquête.  Le droit à la divulgation serait vide de sens si le ministère public n’était pas tenu de conserver des éléments de preuve qu’on sait pertinents.  Pourtant, malgré tous les efforts que déploie le ministère public pour conserver la preuve, comme l’être humain n’est pas infaillible, il arrive, à l’occasion, que des éléments soient perdus.  Le principe établi dans l’arrêt Stinchcombe (no 2), précité, reconnaît ce malheureux état de fait.  Si les explications du ministère public convainquent le juge du procès que la preuve n’a été ni détruite ni perdue par suite d’une négligence inacceptable, l’obligation de divulgation n’a pas été violée.  Toutefois, si le ministère ne parvient pas à convaincre le juge à cet égard, il manque à ses obligations en matière de divulgation et il y a en conséquence violation de l’art. 7 de la Charte.  Un tel défaut pourrait également indiquer qu’il s’est produit un abus de procédure, mais il s’agit-là d’une toute autre question.  L’accusé n’a pas à établir qu’il y a eu abus de procédure pour démontrer que le ministère public ne s’est pas acquitté de l’obligation de divulgation que lui impose l’art. 7.


21                     Pour déterminer si l’explication du ministère public est satisfaisante, la Cour doit analyser les circonstances dans lesquelles la preuve a été perdue.  La principale considération est la question de savoir si le ministère public ou la police (selon le cas) a pris des mesures raisonnables dans les circonstances pour conserver la preuve en vue de sa divulgation.  Un facteur qui doit être pris en considération est la pertinence qu’on accordait alors à l’élément de preuve en cause.  On ne peut attendre de la police qu’elle conserve tout ce qui lui passe entre les mains au cas où cela deviendrait un jour pertinent.  En outre, même la perte d’un élément de preuve pertinent ne constituera pas une violation de l’obligation de divulgation si la conduite de la police était raisonnable.  Cependant, plus la pertinence d’un élément de preuve est grande, plus le degré de diligence attendu des policiers pour conserver cette preuve est élevé.

22                     Quelle conduite découlant du défaut de divulguer constituera un abus de procédure?  Par définition, il doit s’agir d’une conduite d’une autorité gouvernementale qui viole les principes fondamentaux qui sous‑tendent le sens du franc‑jeu et de la décence de la société.  La destruction de propos délibéré d’éléments de preuve par la police ou par d’autres représentants du ministère public en vue de contourner l’obligation de divulgation de celui‑ci est un exemple du genre de conduites visées.  Toutefois, l’abus de procédure ne se limite pas aux conduites de représentants du ministère public qui agissent pour un mobile illégitime.  Voir, dans R. c. O’Connor1995 CanLII 51 (CSC)[1995] 4 R.C.S. 411, aux par. 78 à 81, les propos exprimés par le juge L’Heureux‑Dubé pour la majorité sur cette question.  Par conséquent, d’autres dérogations graves à l’obligation qu’a le ministère public de conserver les éléments qui doivent être produits peuvent également constituer un abus de procédure, même s’il n’est pas établi que des éléments de preuve ont été détruits de propos délibéré pour faire obstacle à leur divulgation.  Dans certains cas, une conduite démontrant un degré inacceptable de négligence pourrait être suffisante.


23                     Dans l’une ou l’autre des circonstances évoquées précédemment, que le défaut de divulguer du ministère public constitue ou non un abus de procédure ou un autre manquement à son obligation de divulgation et, partant, une violation de l’art. 7 de la Charte, il est possible que l’arrêt des procédures soit la réparation convenable s’il s’agit d’un des rares cas où cette réparation, dont les critères d’application ont tout récemment été exposés dans O’Connor, précité, peut être accordée.  En toute déférence pour l’opinion exprimée par ma collègue le juge L’Heureux-Dubé selon laquelle le droit à la divulgation n’est pas un principe de justice fondamentale visé à l’art. 7, cette question a été tranchée dans Stinchcombe (no 1), précité, et la réponse confirmée dans R. c. Carosella1997 CanLII 402 (CSC)[1997] 1 R.C.S. 80.  Dans Stinchcombe (no 1), le droit de présenter une défense pleine et entière, dont le droit à la divulgation fait partie intégrante, a été spécifiquement reconnu comme étant un principe de justice fondamentale visé à l’art. 7 de la Charte.  Ce principe a été réaffirmé dans Carosella.  Au paragraphe 37 de cet arrêt, j’ai dit ce qui suit au nom de la majorité:

Le droit à la communication de documents qui satisfont au critère préliminaire établi dans Stinchcombe est l’un des éléments du droit de présenter une défense pleine et entière qui est lui un principe de justice fondamentale visé à l’art. 7 de la Charte.  Le fait de manquer à cette obligation constitue une atteinte aux droits constitutionnels de l’accusé, sans qu’il soit nécessaire de prouver l’existence d’un préjudice additionnel.  Pour paraphraser les propos du juge en chef Lamer dans l’arrêt Tran [1994 CanLII 56 (CSC)[1994] 2 R.C.S. 951], la violation de ce principe de justice fondamentale est préjudiciable en soi.  L’obligation de prouver un préjudice additionnel ou concret concerne la réparation qui doit être déterminée en application du par. 24(1) de la Charte.



24                     L’obligation du ministère public en matière de divulgation de la preuve ne couvre évidemment pas tous les aspects du droit de présenter une défense pleine et entière garanti par l’art. 7 de la Charte En effet, même lorsque le ministère public s’est acquitté de son obligation en divulguant tous les renseignements pertinents en sa possession et en expliquant les circonstances de la perte de tout élément de preuve, l’accusé jouit toujours du droit que lui garantit l’art. 7 de présenter une défense pleine et entière.  Ainsi, il est possible, dans des circonstances exceptionnelles, que la perte d’un document soit à ce point préjudiciable au droit de présenter une défense pleine et entière qu’elle porte atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable.  Dans de telles circonstances, il est possible que l’arrêt des procédures soit la réparation convenable, pourvu que les critères dont j’ai fait état plus tôt soient respectés.

25                     Il n’est pas nécessaire, pour trancher le présent cas, d’élaborer un critère devant être utilisé dans les affaires de ce genre.  Qu’il suffise de dire que, dans les cas où le ministère public s’est acquitté de ses obligations en matière de divulgation, l’accusé qui prétend que la perte d’un élément de preuve a eu pour effet de violer l’art. 7 doit démontrer que cette perte cause un préjudice concret à son droit de présenter une défense pleine et entière.  Une telle exigence ressort clairement des affaires d’éléments de preuve perdus examinées par ma collègue le juge L’Heureux‑Dubé dans ses motifs dans Carosella, précité; voir les par. 76 à 80.


26                     L’appelant a cherché à établir un parallèle entre le présent cas et l’affaire Carosella, arrêt rendu tout juste avant le début de l’audition du présent pourvoi.  Cependant, il existe une distinction très nette entre les deux affaires.  Dans Carosella, les documents détruits étaient pertinents et devaient être divulgués en vertu du critère établi dans O’Connor, précité.  La conduite du centre d’aide aux victimes d’agression sexuelle avait fait perdre à l’accusé le droit que lui garantit la Charte d’obtenir la production de ces documents.  Cette situation constituait une atteinte grave aux droits garantis à l’accusé par la Constitution et, dans les circonstances particulières de cette affaire, l’arrêt des procédures était la seule réparation convenable.  Par contre, dans les cas où un élément de preuve est perdu par inadvertance, les mêmes inquiétudes ne se soulèvent pas en ce qui concerne la création de propos délibéré d’obstacles à l’exercice par les tribunaux de leurs pouvoirs en matière d’admission de la preuve.  Comme en témoigne cet extrait du jugement de la majorité dans cette affaire (au par. 56), nous avons expressément distingué ce cas des affaires d’éléments de preuve perdus en général:

Le système de justice fonctionne le mieux et ses décisions inspirent confiance au public lorsque ses mécanismes permettent de rendre disponibles tous les éléments de preuve pertinents qui ne sont pas par ailleurs exclus en raison d’une politique d’intérêt public prépondérante.  La confiance dans le système serait minée si l’administration de la justice excusait les comportements visant à contrecarrer les procédures des tribunaux.  L’organisme a pris la décision d’entraver le cours de la justice en détruisant systématiquement des éléments de preuve dont la production pourrait être requise en raison des pratiques des tribunaux.  Ce n’est pas une décision qui relève de l’organisme.  Dans notre système, qui est régi par la primauté du droit, c’est aux tribunaux qu’il appartient de décider quels sont les éléments de preuve qui doivent être produits ou admis.  C’est cet aspect particulier du présent pourvoi qui distingue le présent cas des affaires d’éléments de preuve perdus en général.  [Je souligne.]

samedi 29 octobre 2016

La juridiction de la Cour supérieure relativement à une violation de la Charte

R. c. Bois, 1991 CanLII 3662 (QC CA)

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Dans l’arrêt Mills c. R. de la Cour suprême, les juges de la majorité mentionnent qu’on ne peut déduire des termes de l’article 24(1) de la Charte que la négation d’un droit ou l’atteinte à un droit garanti par la Charte dans le cadre des poursuites judiciaires entraîne inévitablement la perte de compétence de la juridiction de première instance. Le juge Laforest affirme qu’en règle générale la juridiction de jugement devrait être privilégiée comme source de compétence initiale et de surveillance pour traiter des allégations de violation de la Charte. Cette préférence pour cette juridiction est fondée en grande partie sur le fait que le juge du procès qui finit par entendre l’affaire n’est pas limité à une preuve par affidavit, il a une meilleure connaissance des faits et il sera mieux placé pour donner suite à l’intention exprimée dans la Charte. Dans certaines circonstances cependant, la Cour supérieure pourrait exercer sa compétence lorsque le requérant peut se décharger du fardeau de démontrer que la juridiction de jugement ne constitue pas un tribunal plus convenable. Le juge de la Cour supérieure, dans sa discrétion, était donc justifié de refuser d’exercer son pouvoir de surveillance pour traiter de l’allégation de violation de l’article 11 b) de la Charte.

lundi 10 octobre 2016

Le juge était bien fondé d'ignorer une preuve à laquelle la plaignante n'avait pas pu répondre lors de son contre-interrogatoire, faute d'y être invitée (Browne c. Dunn)

Maloney-Bélanger c. R., 2013 QCCA 1345 (CanLII)

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[2]         Lors de son témoignage, l'appelant, en vue d'attaquer la crédibilité de la plaignante, est venu rapporter des propos prétendument tenus par elle et raconter des événements controversés l'impliquant. Or, la plaignante n'a jamais été contre-interrogée sur ces éléments litigieux, dont le récit visait à anéantir la force persuasive de la preuve de la poursuite.
[3]         Le juge était bien fondé d'ignorer une preuve à laquelle la plaignante n'avait pas pu répondre lors de son contre-interrogatoire, faute d'y être invitée. La règle énoncée dans Browne v. Dunn exigeait que le « counsel put a matter to a witness involving the witness personally if counsel is later going to present contradictory evidence, or is going to impeach the witness’ credibility ». Aussi, comme la version de l'appelant n'avait pas été crue, ses prétentions à l'égard de la plaignante ne pouvaient se voir réserver un meilleur sort.

La règle de l'équité procédurale (Browne c. Dunn) n'est pas absolue, mais à défaut de la respecter, cela peut affecter la force probante de l'attaque sur la crédibilité du témoin.

T.G. c. R., 2014 QCCA 1986 (CanLII)

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[38]        Or, dans un premier temps, le ministère public a raison de dire que l'appelant n'a jamais confronté la plaignante directement sur cette question au procès. Dans l'arrêt Lyttle, la Cour suprême rappelait la règle établie dans Browne c. Dunn qui oblige un avocat à aborder avec un témoin le sujet litigieux avec lequel il entend mettre en doute sa crédibilitéLa règle n'est pas absolue, mais à défaut de le faire, cela peut affecter la force probante de l'attaque sur la crédibilité du témoin. Dans la présente affaire, l’appelant n’a jamais même tenté d’aborder le sujet avec la plaignante. Deuxièmement, et c’est peut-être davantage révélateur de l’absence d’intention frauduleuse de la plaignante, la preuve révèle ici que l'appelant a fait les démarches pour rencontrer la plaignante en Tunisie et que lui-même a proposé le mariage. Cela dit, en l'absence d'autre preuve, le juge pouvait ne pas retenir cet argument. Ce moyen est rejeté.

Un avocat doit éviter de discuter du contenu du témoignage des témoins, et cela concerne également un accusé, en cours d'interrogatoire principal, ce qui est encore plus vrai en cours de contre-interrogatoire

Proulx c. R., 2012 QCCA 1302 (CanLII)

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[42]        Les auteurs Béliveau et Vauclair rappellent que « les cas les plus fréquents de violation du droit à une défense pleine et entière se présentent dans les cas de refus d'ajournement ». Dans l'arrêt Barrette, le juge Pigeon rappelait les principes applicables à une demande d'ajournement :
Il est vrai que la décision sur une demande d’ajournement relève de la discrétion du juge. Mais c’est une discrétion qu’il a le devoir d’exercer judicieusement de sorte que sa décision peut être révisée en appel si elle repose sur des motifs erronés en droit. Ce pouvoir de révision est particulièrement rigoureux lorsque l’exercice de la discrétion a eu pour conséquence la privation d’un droit, que ce soit en matière civile ou en matière criminelle. […]
[Notre soulignement]
[43]        Il revient toutefois à la partie qui attaque le refus d’accorder un ajournement de démontrer que le juge du procès n’a pas exercé sa discrétion de façon judicieuse. Une telle démonstration est absente ici.
[44]        Rappelons qu'un avocat doit éviter de discuter du contenu du témoignage des témoins, et cela concerne également un accusé, en cours d'interrogatoire principal, ce qui est encore plus vrai en cours de contre-interrogatoire. Dans l'arrêt Brouillette c. R., l'avocat du ministère public et les policiers avaient discuté avec un témoin expert qui avait fait volte-face en réinterrogatoire. Le juge Tyndale écrit :
In my opinion, it was highly improper, if not strictly illegal, for the Crown prosecutor to discuss his evidence with Dr. Authier between cross and re-examination. In my opinion, with respect, it was up to the judge in his address to the jury to point out and explain the impropriety of Crown counsel's conduct, the enormity of the error of the witness, and the destructive effect on the value of the evidence. This he did not do; instead, he made no reference at all to counsel's conduct, and he defended the witness and his evidence. […]
[Références omises]
[45]        Dans ses motifs concurrents, le juge Proulx ajoute :
Au départ, j'estime que compte tenu des remarques faites par les avocats peu de temps avant l'ajournement du témoignage du Dr Authier au lundi suivant, il aurait été plus que prudent de rappeler au témoin ce que plusieurs juges de procès s'empressent de faire dans ces circonstances, à savoir que son témoignage n'est pas terminé et qu'il ne peut discuter de son témoignage avec aucune des parties à moins d'y être autorisé par la Cour.
Quoi qu'il en soit, et même en l'absence d'une pareille mise en garde au témoin, le substitut devait ou aurait dû savoir qu'il est tout à fait inconvenant et contraire à la pratique (mon collègue a dit «highly improper») qu'un avocat communique ou rencontre le témoin qu'il a produit avant de procéder au ré-interrogatoire: cette prohibition débute au moment où le témoin est contre-interrogé par la partie adverse. Mon collègue cite plusieurs sources réitérant cette règle. Je me permettrai d'ajouter ce que Earl A. Cherniak en a dit:
It is commonly understood that counsel conducting examination-in-chief may communicate with a witness while he or she is being examined in chief with regard to matters that have not yet been dealt with and may communicate not at all with his witness during cross-examination or re-examination. However, exceptions do occur. For instance, suppose a medical witness, whose examination had concluded in chief the day before, approached counsel unsolicited the next morning saying that he made an error in the previous day's testimony and wished to correct it, without indicating what the error was. It would
probably be in order to bring the matter to the attention of the trial judge in open court. Most judges would allow the witness to explain his error.
[Les italiques sont du soussigné.]
[Notre soulignement] [Référence omise]
[46]        En l'espèce, la décision du premier juge n'est pas erronée en droit, elle est même conforme à la pratique en la matière. Par ailleurs, l'appelant n'a pas avancé de motifs particularisés ou exceptionnels qui auraient pu justifier un ajournement. Au surplus, le juge a raison de souligner que la préparation d'un accusé à son contre-interrogatoire doit se faire avant le début de son témoignage, comme l'enseigne Earl J. Levy :
The client should be made aware of anticipated questions that opposing counsel may pose in an attempt to negate his/her evidence-in-chief. Counsel should review with the witness any evidence that could impeach him/her, such as prior statements, other witness's testimony or exhibits. A witness is less likely to be nervous when he/she is aware of all the potential weakness of his/her testimony and knows how best to respond to them when they are exposed. Counsel should put himself in the shoes of his/her opponent and ask the witness those searching questions a well-prepared cross-examiner would ask. […]

jeudi 15 septembre 2016

L’exigence en matière d’authentification d'un document électronique et le fardeau de la preuve devant être rempli

Sa Majesté la Reine c. Dennis James Oland, 2015 NBBR 245 (CanLII)

[55]        L’article 31.1 énonce l’exigence en matière d’authentification et il est rédigé comme suit :
Il incombe à la personne qui cherche à faire admettre en preuve un document électronique d’établir son authenticité au moyen d’éléments de preuve permettant de conclure que le document est bien ce qu’il paraît être.

[56]        À la page 192 de l’ouvrage intitulé Law of Evidence in a Technological Age, précité, l’auteur affirme : [TRADUCTION] « La règle en matière d’authentification établie par la loi reflète la règle de common law concernant les documents ordinaires.  Elle n’ajoute rien d’important. » En conséquence, l’authenticité de l’EDA peut être établie au moyen d’une preuve directe ou d’une preuve circonstancielle. Aussi, dans l’ouvrage intitulé Watt’s Manual of Criminal Evidence (Carswell, 2015), on fait remarquer, à la page 1088, que [TRADUCTION] « la norme qui se dégage de l’article 31.1 constitue un fardeau de la preuve auquel on peut satisfaire par la présentation d’une preuve quelconque susceptible d’étayer [une conclusion confirmant l’authenticité] ».

L'authenticité vs l'admissibilité d'un document électronique

R. v Clarke, 2016 ONSC 575 (CanLII)
[53]           There is a distinction between “authentication” of a record or a statement and its “admissibility”.
[54]           Authentication amounts to proof that a record is what it purports to be, that it is an original or a genuine copy.  As is clear from the discussion above, both statutory and common law exceptions to hearsay require additional proof to make the contents of the records admissible.  The determination of a preliminary question of fact in respect of both authenticity and admissibility is a preamble to considering the contents of the statement as proof of the truth therein. R. v. Evans addresses the degree of proof of authentication required at the admissibility stage.
[55]           R. v. Evans endorsed an American legal text for the proposition that only a prima facie demonstration of authenticity need be established at the admissibility stage and the ultimate question of authenticity is to be left for the trier of fact at trial:
…the authenticity of a writing or statement is not a question of the application of a technical rule of evidence.  It goes to genuineness and conditional relevance.  If a prima facie showing is made, the writing or statement comes in, and the ultimate question of authenticity is left for the jury: [McCormick, Charles Tilford, McCormick on Evidence, vol. 2, 4th ed. (edited by John William Strong) (St. Paul, Minn.:  West Publishing Co., 1992), as cited in R. v. Evans, my emphasis].
[56]           Thus, at the admissibility stage the threshold for authentication is not high. A prima facie showing is all that is necessary.
[57]           Authenticity and authentication pose interesting challenges to the law of evidence in relation to the admissibility of electronic records.  Pacioccoaddresses deficiencies in  the law of evidence and the new concerns confronting the judiciary in the modern reality of technological progress:
We need to leave our rules and principles open enough to accommodate new technologies and the culture they bring about, lest the law of evidence become irrelevant.  To achieve this we will, for example, have to find comfort in weighing rather than excluding evidence to cope with continuity concerns.  We will also have to take a functional approach to judicial notice and expert evidence lest our trials get bogged down or defeated by insistence, where it is not truly required, that technological experts testify.  Ultimately the law of evidence is a tool-kit used in a practical enterprise — the resolution of conflicts through adjudication.  It has to operate in the real world as it is, not as it was.  We will make it fit because we must, but take heart in knowing that the changes required are modest at best and few are conceptual or elusive.
[David M. Paciocco, CJLT, vol. 11, p. 183]
[58]           Paciocco further suggests:
Courts should take a functional approach to judicial notice that will permit them to cope with technology that is broadly relied upon by ordinary persons.  This includes accepting, without the need for proof, the capabilities and operation of new technologies that are broadly used or understood by members of the public.
[CJLT, vol. 11, p. 226]

Le fardeau de la preuve applicable à la démonstration de l'authenticité en vertu de 31.1 LPC



53.              The Defence argue that the authenticity and “best evidence” requirements of the CEA have modified the common law and made it more onerous.  They base their argument on the wording of s. 31.7, which states that

Sections 31.1 to 31.4 do not affect any rule of law relating to the admissibility of evidence, except the rules relating to authentication and best evidence [my emphasis]
In particular, they submit that the use of the word “affect” connotes a material change to the way these terms were understood at common law.  Otherwise, they argue, the provisions are redundant.  In support of their argument, they point to the fact that in the business records context, Parliament saw fit to explicitly preserve the common law.  Section 30(11) of the CEA states as follows:

The provisions of this section shall be deemed to be in addition to and not in derogation of … any existing rule of law under which any record is admissible in evidence or any matter may be proved [my emphasis]
54.              The Crown argues that the CEA’s electronic documents provisions provide shortcuts for the admission of electronic evidence and do not raise their proponent’s burden of proof.

55.              I find that the authenticity requirement in the electronic documents provisions does not modify the common law but codifies it. 

56.              First, on its own terms, s. 31.1 does not impose a balance of probabilities burden on the party seeking the admission of the evidence.  Rather, it refers to “evidence capable of supporting a finding that the electronic document is that which it is purported to be.”  That is a recitation of the common law’s concept of authentication, which imposes a low standard.

samedi 3 septembre 2016

L'incitation publique à la haine - revue des principes eu égard à cette infraction


R. c. Rioux, 2016 QCCQ 6762 (CanLII)


INCITATION PUBLIQUE À LA HAINE, ART. 319 C.cr.

[14]        Le caractère inusité de cette disposition justifie qu’on la reproduise :
 Quiconque, par la communication de déclarations en un endroit public, incite à la haine contre un groupe identifiable, lorsqu’une telle incitation est susceptible d’entraîner une violation de la paix, est coupable :
  a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans;
  b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
(2) Quiconque, par la communication de déclarations autrement que dans une conversation privée, fomente volontairement la haine contre un groupe identifiable est coupable :
  a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans;
  b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
1.1.        LES PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES
[15]        L’accusation portée réfère au premier alinéa de la disposition, laquelle exige la démonstration des éléments essentiels suivants :
-        la communication de déclarations qui incitent à la haine
-        en un endroit public
-        contre un groupe identifiable
-        lorsqu’une telle incitation est susceptible d’entraîner une violation de la paix.
[16]        Dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), la Cour Suprême qualifie de moins grave l’infraction visée au premier alinéa que celle de la fomentation intentionnelle de la haine prévue au second paragraphe :
Dans un passage de l’arrêt R. c. Buzzanga and Durocher (1979), 1979 CanLII 1927 (ON CA)49 C.C.C. (2d) 369 (C.A. Ont.), p. 384‑385, que notre Cour a cité en l’approuvant dans Keegstra, le juge Martin a comparé les deux paragraphes de l’art. 319.  Il a conclu que l’intention criminelle requise au par. (1) correspondait à une infraction moins grave que la fomentation intentionnelle de la haine et que, vu l’emploi du mot « volontairement », l’infraction prévue au par. (2) n’était perpétrée que si l’accusé avait le dessein conscient de fomenter la haine contre le groupe identifiable ou était certain que la communication aurait cet effet et qu’il communiquait néanmoins les déclarations.  Bien qu’il ne soit pas nécessaire de prouver le lien de causalité, l’auteur des déclarations doit vouloir que le message provoque la haine.
[17]        Pour décider si les déclarations incitent à la haine, le Tribunal doit tenir compte de divers éléments et procéder à l’analyse d’un point de vue objectif :
Pour déterminer s’il y a eu incitation à la haine, le juge des faits doit, comme pour l’incitation au génocide, considérer les déclarations d’un point de vue objectif, mais tenir compte des circonstances dans lesquelles elles sont faites, de la manière et du ton employés, ainsi que de leurs destinataires.
[18]        La conclusion que les déclarations comportaient une incitation à la haine n’exige pas d’établir que la communication a, dans les faits, suscité la haine.
[19]        Les déclarations doivent viser un groupe identifiable dont la définition apparaît à l’alinéa 4 de l’art. 318 C.cr. :
[…] « groupe identifiable » s’entend de toute section du public qui se différencie des autres par la couleur, la race, la religion, l’origine nationale ou ethnique, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle ou la déficience mentale ou physique.
[20]        L’identification du groupe visé s’est posée dans R. c. Krymowski, permettant au plus haut tribunal de réitérer les éléments de preuve qui doivent être considérés :
Il incombait au juge du procès d’examiner la totalité de la preuve et de tirer les inférences appropriées pour déterminer si l’intention des intimés était de viser une « section du public qui se différencie des autres par la couleur, la race, la religion ou l’origine ethnique », en l’occurrence les Rom.  Plusieurs éléments de preuve pouvaient se rapporter à cette question.
[21]        Le concept de violation de la paix n’est pas défini au Code criminel et demeure un concept aux paramètres imprécis.
[22]        Dans R. c. Kerr, la Cour suprême reprend la définition de paix publique de l’auteur Pierre Lapointe :
[…] Le concept de paix publique est pour le moins imprécis. Puisque le législateur mentionne cette notion en sus de celle de la perpétration d'une infraction, elle vise donc une situation plus large qu'une contravention au Code Criminel.
[23]        Plus récemment, les auteurs de JurisClasseur Québec tentent de circonscrire ce qui constitue une violation de la paix :
d) Violation de la paix
15. Définition - En raison des nombreuses définitions retenues par la jurisprudence et du mutisme du Code criminel à ce sujet, il est malaisé de définir avec précision ce que constitue une violation de la paix. Certaines lignes directrices se dégagent toutefois de la jurisprudence. D'abord, les concepts d'infraction criminelle et de violation de la paix, bien que liés, ne sont pas interchangeables : toutes les infractions criminelles ne constitueront pas une violation de la paix et celle-ci ne se révélera pas inévitablement être un crime.
Selon la Cour d'appel de l'Ontario, la violation de la paix est une conduite causant ou qui est susceptible de causer un dommage à un individu; elle n'inclut toutefois pas les comportements simplement jugés choquants, inquiétants ou vaguement menaçants. S'appuyant sur la jurisprudence anglaise, d'autres instances ont retenu une gamme de comportements plus vaste. Ainsi, il pourrait y avoir, en outre, violation de la paix en présence d'une conduite causant ou qui est susceptible de causer un dommage aux biens d'un individu en sa présence ou lorsqu'une personne craint la survenance de tels préjudices dans le contexte d'une agression, d'une bagarre, d'une émeute, d'un attroupement illégal ou de toute autre perturbation. […]

En matière de déclaration sommaire de culpabilité, l'identification visuelle d'un prévenu en Cour n'est pas essentiel

R. c. Boivin, 2016 QCCS 3060 (CanLII)


[9]           La décision du juge de première instance est assez lapidaire. En effet, il semble être d'accord avec la jurisprudence qui dit que l'identification visuelle à l'audience n'est pas obligatoire, mais il dit : « Cependant, on doit être capable d'établir une autre identification. » Sans établir quelle autre identification pourrait être faite.
[10]        Cette décision va à l'encontre de la jurisprudence majoritaire. En matière de déclaration sommaire de culpabilité, l'identification visuelle d'un prévenu en Cour n'est pas essentiel. C'est d'ailleurs ce que disait l'honorable Gaston Desjardins :
« 11.  En l'espèce, l'accusé a été identifié à l'aide de ses papiers, tel que susdit. Dès lors, la preuve de son identification était faite, prima facie.
12.     La motion de non-lieu ne pouvait donc être accueillie.
13.    En effet, cette procédure est recevable uniquement lorsqu'il y a absence de preuve susceptible de conduire à une déclaration de culpabilité (Mezzo c. R. 1986 CanLII 16 (CSC)[1986] 1 R.C.S. p. 802). »
[11]        Également, l'honorable juge Richard Grenier écrivait :
« [22]    Dans les arrêts Sheppard et Charemski, la Cour suprême du Canada a statué que toute preuve admissible, aussi minime soit-elle, doit être soumise à l'attention du jury.  Ce n'est que lorsqu'il y a absence totale de preuve qu'on peut accueillir une requête pour verdict dirigé, devant jury, ou une requête en non-lieu, devant un juge siégeant seul.  Dans l'arrêt Skogman, la Cour suprême spécifie que la plus petite preuve sur chacun des éléments essentiels de l'infraction est suffisante et ce, tant pour le renvoi à procès que pour rejeter une requête en non-lieu. »
[12]        Finalement, l'honorable Pierre Tessier disait :
« L'autorité policière peut présumer à bon droit que la personne qui s'identifie est de bonne foi et dit la vérité. En l'instance, cette personneest l'appelant qui s'identifie comme auteur de l'infraction reprochée. L'appelant a signé une promesse avant d'être relâché. L'appelant n'ajamais soulevé qu'il y aurait eu erreur sur la personne ou supposition de personne. La défense n'a jamais soulevé que la personneimpliquée n'était pas l'appelant, ni n'a-t-elle tenté d'offrir une preuve d'alibi qui aurait pu tendre à démontrer que l'appelant n'était pas lapersonne impliquée dans cet événement. L'appelant se soumet aux vicissitudes d'un procès, auquel il plaide ensuite devoir être étranger. »
[13]        Le premier juge a commis une erreur en droit en soumettant que l'identification de l'intimée par son permis de conduire n'était pas suffisante.
[14]        D'ailleurs, dans son jugement il précise que l'intimée a été représentée à la Cour, a comparu à plusieurs occasions, plusieurs fois il y a eu des demandes de remise. Il écrit que l'identification à la Cour n'est pas nécessaire, mais qu'on doit être capable d'établir un autre moyen d'identification. Quel est cet autre moyen d'identification que le tribunal a besoin?
[15]        De plus, le juge de première instance n'a pas tenu compte que sur la promesse de comparaître, l'intimée a signé le nom de « Louise Boivin ».