Auclair c. R., 2011 QCCS 2661 (CanLII) |
[80] Cette rubrique examine la prétention des requérants qu'il est impossible de se défendre eu égard à l'ampleur du dossier et à une communication de preuve inadéquate. Selon les requérants, l'impossibilité se manifeste à deux stades distinctifs – lors de la préparation et lors du procès.
[81] Certains chiffres illustrent la quantité de preuve qui a été communiquée à ce jour. Au quantitatif, il y a 4 341 666 fichiers au total; 565 572 fichiers PDF; 3 097 649 pages PDF; 24 446 fichiers audiovisuels; au-delà de 2.3 million de résumés de conversations interceptées; 74 projets d'enquête recensés. La preuve communiquée lors des mégaprocès créée par l'Opération Printemps 2001 représente seulement 17 % de la preuve communiquée dans le présent dossier.
[82] Un des requérants, Robert Bonomo, qui a acquis une certaine expertise dans le domaine de l'informatique, a avancé quelques observations lors de son témoignage qui n'ont pas été contestées.
◼ Si on ne parcourt que la refonte, plus les divulgations 15 à 17, à raison d'une demi-minute par fichier, 24 heures par jour, 7 jours par semaine, le temps de visionnement total sera de 7.21 ans;
◼ Si on faisait une copie papier de la preuve, ceci représenterait une pile totalisant 145 km de haut ou l'équivalent de 371 Empire State Buildings.
[83] Qui parle de quantité de preuve parle également des défis pour la communiquer. À ce jour, la Cour a eu à rendre deux décisions ayant trait à la divulgation de la preuve – la première a permis à un nombre restreint de requérants d'avoir accès à des ordinateurs personnels dans leur cellule; la deuxième, à ordonner que des disques durs contenant la preuve soient fournis aux criminalistes qui ne désiraient plus se servir du site Internet qui a été créé par l'intimée pour fins de communication de la preuve.
[84] Lors de l'audition de la présente requête, un temps important a été consacré à démontrer des lacunes dans la méthode de communication de la preuve. Certains requérants – que l'on pense à M. Daniel Beaulieu en particulier – ont passé un temps important à créer des tableaux et/ou recueils pour illustrer leurs doléances. La Cour fait les observations suivantes concernant ce bloc de preuve.
[85] La Cour reconnaît le temps et l'énergie dépensés par les requérants pour préparer cette partie de leur requête. Le devoir de fournir une communication de preuve de qualité repose sur l'intimée. L'intimée n'a pas informé les requérants, en temps opportun, de certains changements dans la présentation de la preuve suite à la communication de la refonte. L'intimée ne semble pas avoir mis en place un système pour assurer le contrôle de qualité de sa divulgation. Inévitablement, ce sont les usagers – les requérants – qui informaient l'intimée des problèmes rencontrés. Lorsque informée des problèmes, l'intimée réagissait rapidement, à quelques rares exceptions près, pour les corriger. Les problèmes démontrés durant l'audition des requêtes antérieures et de ceux de la présente requête touchent un très petit nombre de fichiers lorsque la totalité de la communication est considérée. Les décisions antérieures du Tribunal doivent répondre adéquatement aux problèmes soulevés. Les lacunes dans la communication de la preuve, lorsque analysées avec les autres griefs, ne sont pas suffisants pour établir que la poursuite est abusive.
[86] Ceci dit, ces lacunes ne sont pas sans importance. Dans ce jugement, la Cour arrivera à la conclusion que les délais actuels encourus dans ce dossier ne sont pas déraisonnables. Le jour peut arriver par contre où un ou plusieurs requérants croiront que la déraisonnabilité des délais est atteinte. Rien ne les empêchera, alors, d'alléguer que les lacunes dans la communication de preuve[29] ont contribué aux délais de préparation et devront être assumées par l'intimée dans le cadre de l'analyse qui s'ensuivra.
[87] Qu'en est-il de l'ampleur du dossier? Comme la Cour l'a déjà écrit, les requérants plaident qu'ils sont confrontés à un procès bâillon. Peu importe la forme de communication, il y a tout simplement trop de preuve à analyser. Quelques réflexions sont de mise.
[88] Comme la Cour l'a remarqué durant l'audition, il faut analyser les données quantitatives avec prudence. La Cour reprend l'exemple qu'elle a utilisé. [...] Alors, la grande majorité des fichiers audiovisuels démontre des scènes où les requérants portent les insignes des H.A. lors d'événements de visibilité ou lorsqu'ils sont tout simplement ensemble. [...] Il y a également la répétition de centaines de documents dans la preuve i.e. les dénonciations pour obtenir des blocs de mandats de perquisition.
[89] D'ailleurs, là est tout le problème lorsqu'un accusé prétend que l'ampleur du dossier est telle qu'il ne pourrait pas subir un procès équitable. Comment déterminer objectivement quand trop c'est trop? La société a un grand intérêt pour les enquêtes et poursuites qui ciblent des organisations criminelles structurées. Qui parle d'organisation criminelle, parle d'enquête d'envergure, de poursuites dont la durée dépasse la norme et d'une quantité de preuve importante.
[90] La Cour concède que ce genre de poursuite, si elle n'est pas bien ciblée, peut, théoriquement, atteindre une ampleur telle que l'équité du processus est atteinte. Mais, comment déterminer si on a atteint ce seuil, objectivement? Il est nécessaire d'identifier des critères objectifs. Aucune violation constitutionnelle ne pourra être constatée en se basant tout simplement sur l'évaluation subjective d'un accusé à l'effet que « la cause est trop grosse ». La Cour est également de l'opinion, qu'à l'exception de quelques rares cas, il serait prématuré, voire impossible, d'arriver à une conclusion sur l'impact de l'ampleur du dossier avant d'avoir recours à d'autres outils qui sont disponibles pour le juge du procès – la séparation des accusés et/ou des chefs; de passer en revue la preuve anticipée lors d'une série de conférences préparatoires; la possibilité d'avoir recours à une ou des requêtes en précision.
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