Lien vers la décision
[59] En cours de délibéré, la Cour d’appel, dans l’arrêt Lemaire, s’est prononcée concernant la fourchette de peines applicables dans le cas d’une accusation de conduite d’un véhicule à moteur alors que les capacités de conduire étaient affectées par l’effet de l’alcool et causant des lésions corporelles.
[60] Elle établit la fourchette de peines entre 90 jours à deux ans d’emprisonnement et s’exprime comme suit :
[8] Il faut rappeler que, très souvent, pour ce type d’infraction, la peine va d’un emprisonnement de 90 jours à deux ans d’emprisonnement1, comme le soutenait l’avocate de l’intimé en première instance, sans nier qu’il existe aussi des cas où la peine fut plus clémente ou plus sévère, selon les circonstances de l’infraction ou selon la situation de l’accusé…
[61] Dans son affirmation que la peine va d’un emprisonnement de 90 jours à deux ans d’emprisonnement, la Cour d’appel cite ces jurisprudences : R. c. Zurnic, R. c. Ayotte, R. c. Blanchette-Jannard R. c. Shaharias, R. c. Taylor, R. c. Delaunière,Dansereau-Rochot c. R., R. c. Boileau, R. c. Michaud et R. c. Landry, de même que la doctrine de Hugues Parent et Julie Desrochers.
Jurisprudence de la poursuite
[62] Au soutien de sa prétention, la poursuite soumet, entre autres, un arrêt de la Cour d’appel rendu en 2014, soit R. c. Silbande où la Cour d’appel établit une fourchette de peines entre 12 et 36 mois pour des infractions de conduite dangereuse causant la mort ou des lésions corporelles, ou autres crimes analogues, même si les accusés sont jeunes et sans antécédent.
[63] Elle soumet également la décision du juge Valmont Beaulieu, R. c. Hamel dans laquelle il procède à l’étude de plusieurs décisions dont celle de la Cour d’appel dans Ferland c. R. à laquelle un tableau de peines est annexé.
[64] L’analyse des 16 décisions rendues entre 2012 et 2014 soumises par la défense dans la décision Hamel précitée, révèle des peines variant entre une amende (1 décision) et 12 mois d’emprisonnement avec une majorité, soit 10 décisions, allant de 8 à 12 mois.
[65] Le juge Beaulieu cite également les décisions suivantes :
- R. c. Dubé où l’accusé qui a plaidé coupable à une conduite avec les facultés affaiblies causant lésions très sévères, est condamné à 15 mois de détention;
- R. c. Landry où l’accusé qui a plaidé coupable à une conduite avec les facultés affaiblies causant lésions très sévères, est condamné à 15 mois de détention;
- Paré c. R. où la Cour d’appel réduit de 5 à 3 ans la peine pour une conduite avec les facultés affaiblies causant la mort;
- Hakim c. R. où la Cour d’appel confirme la peine de 18 mois pour une infraction de conduite dangereuse causant des lésions. La victime est dans un état végétatif.
- R. c. Busque où l’accusé qui a plaidé coupable à une conduite avec les facultés affaiblies causant des lésions corporelles a été condamné à 4 ans d’emprisonnement. La victime est impotente.
[66] La procureure en poursuite soumet également la décision Beaulieu où l’accusé a plaidé coupable de conduite avec les facultés affaiblies causant des lésions corporelles et de délit de fuite sachant que des lésions avaient été causées, est condamné à des peines de 15 mois et de 4 mois d’emprisonnement consécutifs respectivement.
Jurisprudence de l’accusé
[67] Le procureur de Pascal Brassard a soumis au Tribunal les jurisprudences qui suivent où les accusés ont reçu des peines de 90 jours d’emprisonnement:
- R. c. Bellemarre, dans laquelle l’accusé a plaidé coupable à une conduite avec les facultés affaiblies causant lésions corporelles à deux personnes, sans séquelle permanente;
- R. c. Gauthier, dans laquelle madame Gauthier a plaidé coupable à une conduite dangereuse causant la mort dans une situation de car-surfing. Elle a aussi reçu une peine de 240 heures de travaux communautaires. Il s’agit toutefois d’une situation très particulière;
- R. c. Fréchette, dans laquelle l’accusée s’est fait arrêter pour conduite avec les facultés affaiblies à 15h23, qu’elle est retournée chez elle et, quelques heures plus tard, a pris son véhicule, encore avec les facultés affaiblies et a eu un accident causant lésions. La peine reçue a été de 1 500 $ d’amende pour la conduite avec les facultés affaiblies et 2 000 $ d’amende pour la conduite avec les facultés affaiblies causant lésions de même que 5 000 $ en dédommagement à la victime. Les blessures sont légères;
- R. c. Durand, dans laquelle l’accusée a plaidé coupable à une conduite dangereuse causant lésions et à une conduite avec les facultés affaiblies causant lésions. Elle a aussi reçu une peine de 200 heures de travaux communautaires et un don de 500 $. Les blessures sont sévères, mais de courte durée; aucune séquelle permanente;
- R. c. Zurnic, dans laquelle l’accusé a plaidé coupable à une conduite dangereuse causant lésions et à une conduite avec les facultés affaiblies causant lésions à deux personnes. Elle a aussi reçu une peine de 200 heures de travaux communautaires. Les blessures sont légères et sans séquelle;
- R. c. Ayotte, dans laquelle l’accusé a plaidé coupable à une conduite avec les facultés affaiblies causant lésions. Il a été aussi condamné à verser un don de 3 000 $. Les blessures sont graves avec séquelles;
- R. c. Roy, dans laquelle l’accusé a été déclaré coupable de conduite dangereuse causant la mort et de délit de fuite et a reçu une peine d’emprisonnement de 90 jours en plus de 200 heures de travaux communautaires. La victime participait à une course lorsqu’elle a eu l’accident et est décédée;
- R. c. Taylor, dans laquelle l’accusé a plaidé coupable à une conduite avec les facultés affaiblies causant lésions. Les blessures sont sérieuses avec séquelles;
- R. c. Deschênes, dans laquelle l’accusé a plaidé coupable de conduite avec les facultés affaiblies causant lésions corporelles et a aussi reçu une peine de 200 heures de travaux communautaires. La victime a perdu l’usage de ses mains et de ses jambes. C’est un dossier très particulier, comme le dit le juge;
- R. c. Pelletier, dans laquelle l’accusé a plaidé coupable à une conduite dangereuse causant lésions et a aussi reçu une peine de 150 heures de travaux communautaires et un don de 2 000 $. Les blessures sont sévères avec séquelles.
[68] Conscient de la demande de la poursuite, le procureur en défense a soumis également de la jurisprudence de façon subsidiaire qui impose des peines au-delà de ses prétentions, mais qui sont en-dessous de celles soumises par la poursuite, à savoir :
- R. c. De Launière dans laquelle l’accusé a plaidé coupable à une conduite avec les facultés affaiblies causant lésions et a reçu une peine de six mois d’emprisonnement;
- R. c. Gagnon-McKenzie, où l’accusé a plaidé coupable à une conduite dangereuse causant lésions et a reçu une sentence de six mois d’emprisonnement;
- R. c. Leblanc, où l’accusé a plaidé coupable à une conduite dangereuse causant lésions et pour laquelle une suggestion commune de neuf mois d’emprisonnement a été demandée et, après une longue analyse, accueillie par le Tribunal;
- R. c. Lebel, où l’accusé a plaidé coupable à une conduite avec les facultés affaiblies avec lésions et a reçu une peine de neuf mois d’emprisonnement;
- R. c. Beaulne, dans laquelle l’accusé a plaidé coupable à une conduite avec les facultés affaiblies causant lésions et reçu une peine de huit mois d’emprisonnement;
- Directeur des poursuites pénales et criminelles c. Richard, dans laquelle l’accusée a plaidé coupable à une conduite avec les facultés affaiblies causant lésions et a reçu une peine d’emprisonnement de sept mois suite à une suggestion commune considérée, après analyse, comme n’étant pas déraisonnable.
[69] Cette différence de peines démontrée par les décisions précédemment citées confirme que la détermination d’une peine est un exercice délicat qui oblige le Tribunal à trouver un juste équilibre entre tous les facteurs le guidant dans la détermination de la peine.
[70] La suggestion de la défense s’inscrit à l’extérieur de la fourchette suggérée par la Cour d’appel concernant la conduite avec les facultés affaiblies causant des lésions.
[71] Toutefois, comme l’a établi la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Nasogaluak, le Tribunal a discrétion lors de la détermination de la peine et les fourchettes de peines ne sont pas des règles absolues mais sont plutôt des lignes directrices.
[72] La Cour suprême, dans cet arrêt, rappelle que la peine est un processus individualisé qui oblige le Tribunal à soupeser les objectifs de détermination d’une peine de façon à tenir compte des circonstances de l’affaire.
[73] Or, justement, les circonstances de l’affaire amènent le Tribunal à ne pas considérer raisonnable la suggestion de la défense et y voir des différences avec la jurisprudence soumise.
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