vendredi 9 août 2024

Comment apprécier la pertinence d'une preuve / Les aveux émanant d’une partie ne deviennent pas inadmissibles parce que le témoin rend un témoignage équivoque

R. c. Schneider, 2022 CSC 34

Lien vers la décision


[39]                        Pour déterminer si un élément de preuve est pertinent, le juge doit se demander s’il tend à accroître ou à diminuer la probabilité de l’existence d’un fait en litige (R. c. Arp1998 CanLII 769 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 339, par. 38). Outre cette question, il n’existe pas de [traduction] « critère juridique » en matière de pertinence (Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 35). Les juges doivent, dans l’exercice de leur rôle de gardiens du système judiciaire, évaluer la pertinence d’un élément de preuve « selon la logique et l’expérience humaine » (R. c. White2011 CSC 13, [2011] 1 R.C.S. 433, par. 44). Ce faisant, les juges doivent veiller à ne pas usurper le rôle du juge des faits, bien qu’il leur faille dans une certaine mesure soupeser la preuve, une fonction typiquement réservée au jury (Vauclair et Desjardins, p. 687, citant R. c. Hart2014 CSC 52, [2014] 2 R.C.S. 544, par. 95 et 98). Il n’est pas nécessaire que l’élément de preuve en cause « établisse fermement [. . .] la véracité ou la fausseté d’un fait en litige » (Arp, par. 38), bien qu’il soit possible que cet élément soit trop conjectural ou équivoque pour être pertinent (White, par. 44). Le seuil de pertinence requis est peu élevé, et les juges peuvent admettre un élément de preuve qui présente une faible valeur probante (Arp, par. 38R. c. Grant2015 CSC 9, [2015] 1 R.C.S. 475, par. 18). Dans l’examen par les juges de la pertinence, celle‑ci « ne tient nullement à l’existence d’une valeur probante suffisante », et « [o]n ne doit [. . .] pas confondre l’admissibilité de la preuve avec son poids » (R. c. Corbett1988 CanLII 80 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 670, p. 715, le juge La Forest, dissident, mais non sur ce point, citant Morris c. La Reine1983 CanLII 28 (CSC), [1983] 2 R.C.S. 190, p. 192). Des concepts comme la fiabilité en dernière analyse, la vraisemblance et la valeur probante n’ont pas leur place lorsqu’il s’agit de décider de la pertinence. La question de savoir si un élément de preuve est pertinent est une question de droit susceptible de contrôle suivant la norme de la décision correcte (R. c. Mohan1994 CanLII 80 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 9, p. 20‑21).

[40]                        Cela nous amène à la question sur laquelle la juridiction inférieure s’est divisée : De quel contexte en ce qui a trait à la preuve peut tenir compte le juge présidant un procès afin de décider si un élément de preuve est capable de signification et peut de ce fait être pertinent? La juge Charron a examiné cette question dans l’affaire R. c. Blackman2008 CSC 37, [2008] 2 R.C.S. 298, par. 30 :

     Pour évaluer pleinement la pertinence d’un élément de preuve, il faut tenir compte des autres éléments présentés pendant le procès. Toutefois, en tant que critère d’admissibilité, l’appréciation de la pertinence est un processus continu et dynamique dont la résolution ne peut attendre l’issue du procès. Selon l’étape du procès, le « contexte » de l’appréciation de la pertinence d’un élément de preuve peut très bien être embryonnaire. Souvent, pour des raisons pragmatiques, il faut s’appuyer sur les observations des avocats pour décider de la pertinence d’un élément de preuve. Dans The Law of Evidence (4e éd. 2005), p. 29, les professeurs D. M. Paciocco et L. Stuesser expliquent pourquoi, en réalité, le critère préliminaire de la pertinence ne peut être un critère strict et, comme les auteurs le soulignent, les propos suivants du juge Cory dans R. c. Arp1998 CanLII 769 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 339, par. 38, rendent bien compte de ce point de vue :

     Pour qu’un élément de preuve soit logiquement pertinent, il n’est pas nécessaire qu’il établisse fermement, selon quelque norme que ce soit, la véracité ou la fausseté d’un fait en litige. La preuve doit simplement tendre à [traduction] « accroître ou diminuer la probabilité de l’existence d’un fait en litige ». [Italique omis.]

[41]                        Comme l’a expliqué la juge Charron, les juges qui président des procès peuvent examiner la pertinence à la lumière des éléments de preuve que les parties ont présentés, ainsi que de ceux qu’une partie indique qu’elle entend présenter. Les juges peuvent admettre un élément de preuve litigieux sous réserve de l’engagement de l’avocat concerné quant aux éléments devant être présentés (Lederman, Fuerst et Stewart, ¶2.72). Compte tenu du lien qui existe entre la signification et la pertinence, les propos formulés par la juge Charron dans l’arrêt Blackman s’appliquent logiquement aux éléments de preuve susceptibles d’éclairer la signification.

[42]                        Cette proposition générale s’applique aux aveux émanant d’une partie. Rien ne justifie de traiter différemment ces aveux dans la détermination de la pertinence. À cette étape de l’analyse, il n’est pas nécessaire que les juges qui président des procès aient qualifié la preuve d’aveu émanant d’une partie. En circonscrivant à l’intérieur d’un cercle étroit les autres éléments de preuve pouvant être pris en compte pour déterminer la pertinence des aveux émanant d’une partie (la distinction entre « micro‑contexte » et « macro‑contexte »), les juges majoritaires de la Cour d’appel ont commis une erreur de droit.

[43]                        En formulant cette observation, je suis conscient qu’il n’est pas nécessaire que la preuve soit sans équivoque pour être pertinente. Dans l’arrêt R. c. Evans1993 CanLII 86 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 653, le juge Sopinka a souligné que, bien que les questions d’admissibilité relèvent du juge du procès, c’est au juge des faits qu’il appartient de décider si une déclaration a été faite et si elle est véridique (p. 664‑666; voir aussi Vauclair et Desjardins, p. 865‑866). Les aveux émanant d’une partie, comme tout autre élément de preuve, ne deviennent pas inadmissibles parce que le témoin rend un témoignage équivoque. Il arrive souvent que les témoins aient un souvenir imparfait des circonstances et manifestent de l’hésitation lorsqu’ils déposent. Dans la mesure où de telles imperfections ou hésitations portent sur des points liés à l’admissibilité (plutôt qu’au poids que le juge des faits accorde à l’élément de preuve), il est approprié que le juge qui préside un procès les prenne en considération dans la mise en balance de la valeur probante et de l’effet préjudiciable. En conséquence, le fait qu’un témoin ne se souvienne pas des mots exacts qui ont été utilisés ne signifie pas que son témoignage n’est pas pertinent.

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