mardi 1 octobre 2024

Le menottage d'une personne arrêtée devant fournir un échantillon d’haleine selon l’article 320.28(1) C.cr

Castillo Gil c. R., 2024 QCCS 2054

Lien vers la décision


[32]        L’article 9 de la Charte prévoit que chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires. L’interdiction de la détention arbitraire prévue par cet article vise à protéger la liberté individuelle contre l’ingérence injustifiée de l’État[17].

[33]        Les mesures de protection que comporte cet article restreignent la capacité de l’État de recourir sans justification appropriée à des moyens intimidants et coercitifs à l’égard des citoyens.

[34]        L’analyse de la question de savoir s’il y a eu violation de l’article 9 de la Charte comporte deux étapes : Premièrement, il s’agit de savoir si le plaignant a fait l’objet d’une détention quelconque. Deuxièmement, dans l’affirmative, il faut déterminer si la détention était arbitraire. Les deux étapes de l’analyse commandent l’application de la norme de la décision correcte[18].

[35]        Lorsqu’une détention est établie, le Tribunal doit ensuite examiner si celle-ci est arbitraire selon les critères suivants :

1)   La détention doit être autorisée par une règle de droit;

2)   La règle de droit elle-même doit être exempte de caractère abusif;

3)   La manière dont la détention est effectuée doit être non abusive.[19]

[36]        En l’espèce, il ne fait aucun doute que l’appelant a fait l’objet d’une détention, voire d’une arrestation pour conduite de son véhicule avec les facultés affaiblies par l’alcool.

[37]        Ce faisant, les policiers étaient autorisés à détenir l’appelant et à lui ordonner de les suivre pour le prélèvement d’échantillons d’haleine, tel que le prévoit l’article 320.28(1) C.cr.

[38]        C’est ce que le juge du procès retient lorsqu’il mentionne :

            En l’espèce, en arrêtant le requérant pour avoir conduit son véhicule avec une alcoolémie prohibée, les policiers devenaient autorisés à le détenir pendant toute la période nécessaire pour le conduire au poste et mener à terme la procédure entourant la prise d’échantillon d’haleine.

            De plus, l’article 25 du Code criminel les autorise expressément à employer la force nécessaire à la réalisation de leur pouvoir.[20]

 

[39]        Pour le soussigné les deux premiers critères de l’analyse proposée dans l’arrêt Le sont rencontrés. La décision du juge du procès n’y fait pas entorse. Reste le troisième critère, soit la manière dont la détention est effectuée.

[40]        À ce chapitre l’appelant reproche au juge du procès de ne pas s’être demandé si la pose et le maintien des menottes pendant une partie de l’intervention étaient raisonnablement nécessaires, dans les circonstances. Selon ce dernier le juge se serait plutôt fondé sur des hypothèses et des conjectures pour justifier l’utilisation des menottes.

[41]        L’appelant se dit d’accord avec le juge du procès lorsque ce dernier mentionne qu’il serait futile et périlleux d’exiger des policiers de devoir attendre que leurs craintes ne se matérialisent avant de recourir aux contentions. Il ajoute :

Mais encore faut-il que les craintes appréhendées reposent concrètement sur un ou des fondements factuels qui rend raisonnablement nécessaire le menottage, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.[21]

[42]        Pourtant la preuve non contestée révèle que l’intervention policière a lieu lors de la Fête nationale, à un endroit où la consommation d’alcool est souvent importante et où des accidents et débordements sont fréquents alors que l’appelant est en état d’ébriété, au volant de son véhicule, qu’il « tournoie » d’une voie à l’autre, que sa conduite est erratique, voire dangereuse, bref qu’il vient de commettre une infraction criminelle.

[43]        Il est en preuve que l’appelant est de stature plus imposante que les agents Leclerc et Baril qui, tous deux, sont plus petits.

[44]        De plus, il y a une très forte circulation à l’endroit de l’interception, alors que des véhicules passent à quelques centimètres des policiers et de l’appelant[22].

[45]        Toujours selon la preuve retenue par le juge du procès, le policier Baril mentionne que compte tenu de la situation le menottage était nécessaire.

[46]        Le policier Baril précise également que le menottage n’est pas systématique chaque fois qu’un individu est intoxiqué par l’alcool et que chaque situation est différente[23].

[47]        Dans Godin[24], une affaire en matière de dommages résultant de la détention et de l’utilisation de contentions lors d’une manifestation au Square Victoria à Montréal, la Cour d’appel mentionne :

[45]      Handcuffing should not be carried out systematically. Applying handcuffs (or tie wraps) is within the discretion of an arresting officer but there must be a good reason to do it, such as the security of the police or others, including the arrestee. The cuffs or ties can be used to control a detainee when justified in the circumstances.

[48]        Aux yeux du soussigné le juge du procès s’est fondé sur l’ensemble du contexte de l’intervention policière et non sur des hypothèses ou des conjectures pour conclure au bien-fondé de l’utilisation des menottes en l’espèce. Son analyse de la preuve le conduit à conclure que les policiers ont agi avant tout pour des motifs de sécurité, tant la leur que celle de l’appelant.

[49]        C’est à bon droit que le juge du procès conclut que l’utilisation des menottes pendant une partie de l’intervention, et ce, jusqu’au poste, s’appuie sur des considérations légitimes prenant assise sur des faits réels et concrets et que cette décision n’est pas motivée par de simples automatismes, la mauvaise foi des policiers ou leurs caprices.

[50]        En cela, la décision d’utiliser les menottes n’est pas abusive. Elle n’est donc pas arbitraire dans les circonstances. Il faut donc répondre à la première question par la négative.

[51]        L’appelant demande au Tribunal d’analyser le raisonnement sur la question du menottage que l’on trouve dans Couture[25] afin de mettre fin à une controverse jurisprudentielle sur le sujet, dit-il. Dans cette affaire l’accusé prétendait, entre autres, avoir été détenu arbitrairement en raison du menottage sans motifs raisonnables.

[52]        Dans Couture le juge Jacques Ladouceur, j.c.q., qualifiant le témoignage de l’agent Beaulieu en regard des motifs ayant conduit au menottage de l’accusé, s’exprime ainsi :

[21]        De plus, en contre-interrogatoire, l’agent Beaulieu est confronté avec le fait que l’agent Dubé a trouvé le certificat d’assurance dans le véhicule automobile, lequel confirme les informations verbales données par l’accusé concernant son nom, sa date de naissance et son adresse.

[22]      L’agent Beaulieu mentionne ce qui suit pour justifier le maintien du menottage : 

Le certificat d’assurance, la seule fois qu’on le voit, c’est dans la voiture, parce que la majorité des gens le laisse dans un coffre à gants. Par expérience, même des véhicules volés, que le monde sortait juste un permis, une assurance. Je vous confirme qu’à mes yeux, c’est une assurance de véhicule.

[23]      Cette réponse incohérente du policier confirme l’absence de nécessité raisonnable quant à la pose et le maintien de menottes. L’affirmation relative à l’identité de l’accusé pour justifier les agissements des policiers est un faux prétexte contredit par la preuve. [26]

[53]        Ainsi l’appelant invite le soussigné à mettre de côté les décisions Belporo Moussa[27] et Viti[28].

[54]        Il est utile de noter que dans la présente affaire, contrairement à l’affaire Couture, les témoignages des policiers Leclerc et Baril sont loin d’être incohérents et ne relèvent pas de faux prétextes contredits par la preuve.

[55]        Il faut aussi noter que dans Belporo Moussa le juge Paulin Cloutier retient une distinction de taille pour s’éloigner de l’affaire Couture. Il écrit :

[111]     Il s'agissait d'une arrestation et non d'une détention aux fins d'enquête, même si la preuve d'alcoolémie restait à obtenir. Il faut éviter d'assimiler l'arrestation et la détention aux fins d'enquête, en matière de menottage. De l'avis du Tribunal, ces situations ont été assimilées dans la décision Couture. Les principes élaborés et applicables aux situations de dépistage ne peuvent pas être tout simplement appliqués aux situations d'arrestation.

[Référence omise]

[56]        En ce qui concerne l’affaire Viti des distinctions s’imposent aussi avec Couture. Le juge Richard Marleau, j.c.q., s’exprime ainsi :

[76]      Finalement, on constate au jugement Couture que la décision Virk citée au paragraphe 17 concerne un menottage avant arrestation contrairement à notre trame factuelle. Ces situations ont parfois mené à constater une violation, mais l’analyse diffère pour un individu mis en état d’arrestation.

[77]      Quant à la décision de Vensickle l’arrestation était légale, mais en lien avec des infractions pénales et non criminelles comme ici. Son utilisation est donc limitée.

[Référence omise]

[57]        Il ne revient pas au Tribunal d’analyser la décision rendue dans Couture, mais plutôt de décider si, dans la présente affaire, le juge a à bon droit conclu que le menottage était raisonnablement nécessaire dans les circonstances[29], ce qui est le cas.

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