R. c. Thresh, 2003 CanLII 32940 (QC CA)
[20] Règle générale, une partie ne peut rehausser la crédibilité du témoin qu'elle produit[1]: elle «doit le prendre tel qu'il est» (Lessard c. R.[2]).
[21] Par ailleurs, il se peut qu'une preuve présente un aspect irrecevable tout en poursuivant une finalité légitime. Dans R. c. B. (F.F.)[3], la Cour suprême du Canada a affirmé que la règle générale ci-haut exposée s'applique lorsque la preuve est «destinée uniquement» à renforcer la crédibilité d'un témoin; par ailleurs, comme cela ressort de l'arrêt R. c. Burns[4], rien n'empêche qu'une preuve soit jugée recevable même si à d'autres égards elle peut être qualifiée d'irrecevable: «The fact that evidence may be inadmissible for one purpose (i.e. showing the truthfulness of a witness) does not prevent it being received for another legitimate purpose[5]».
[22] Pour les motifs ci-après exposés, je suis d'avis qu'en l'espèce la preuve du contrat de délation, en interrogatoire principal, servait une fin légitime tout en pouvant, de façon incidente, enfreindre la règle générale.
La justification
[23] Je procéderai d'abord par analogie. Il est admis depuis fort longtemps, tant par les auteurs que la jurisprudence, qu'une partie peut, en interrogatoire principal, faire reconnaître par un témoin (même un inculpé) ses condamnations antérieures dans le but de diminuer l'impact qu'aurait la preuve de ces antécédents lors du contre-interrogatoire: Jacques Fortin, «Preuve pénale», Les Éditions Thémis 1984, p. 210 et 211, citant à R. c. Boyle (1976) 1975 CanLII 1328 (ON SC), 28 C.C.C. (2d) 1 & 3; R. c. St-Pierre (1974) 1974 CanLII 874 (ON CA), 17 C.C.C. (2d) 489 (Ont. C.A.); R. c. Macdonald, (1974) 1974 CanLII 1641 (ON CA), 27 C.R.N.S. 212 (Ont. C.A.). Dans l'arrêt R. c. Clarke (1981) 1981 ABCA 222 (CanLII), 63 C.C.C. (2d) 224 (Alta. C.A.), qu'a approuvé la Cour suprême du Canada dans R. c. Béland, précité, la Cour avait reconnu la validité de cette pratique: «Obviously counsel must be permitted, in matters introductory, to present witnesses in the best allowable light. And, as here, adducing a witness's prior convictions need not await cross-examination.»[6]. Il semble bien qu'en Angleterre les tribunaux acceptent également cette pratique: R. v. Taylor; R. v. Goodman [1999] Crim. L.R. 407.
[24] Dans le même sens, notre Cour, dans l'arrêt Lessard, précité, s'interrogeait sur la possibilité de permettre que des complices qui témoignent pour le ministère public puissent mentionner leurs plaidoyers de culpabilité. Au nom de la Cour, le juge Bisson, tout en acceptant la règle générale qu'une partie ne peut rehausser la crédibilité de son témoin, opina que dans ce cas le but poursuivi «était approprié»: «on ne voulait pas que des criminels avoués puissent être considérés comme étant demeurés impunis» (page 8 de l'opinion). On permet ainsi à la poursuite d'atténuer le discrédit du témoin par la partie adverse[7].
[25] C'est cette même justification de politique judiciaire qui a été retenue dans l'arrêt R. v. Martin (1980) 53 C.C.C. (25) 425 (Ont. C.A.) où était en cause la tentative de la poursuite de démontrer l'absence d'intérêt du témoin à charge. Cette preuve fut jugée recevable en ce qu'elle visait à éviter que la défense ne laisse au jury une image entièrement déformée du témoin. À ce sujet, le juge Lacoursière, au nom de la Cour, écrit:
«In the ordinary criminal case the prosecution can refute the suggestion already apparent in the line of defence shown on cross-examination of Crown witnesses to the effect that the witness has a personal interest in the outcome of the case, even before the witness is attacked on that score during his cross-examination. Thus, the prosecution may show, for example, that no promise of leniency was made to a co-accused testifying on its behalf before the witness credibility is expressly impeached on the ground of bias, because the witness's "relation to the cause is an implied impeachment"[8]». (j'ai souligné)
[26] La Cour se fondait ici sur la théorie de l'«explanation» préconisée par Wigmore, permettant d'anticiper l'attaque contre ce type de témoin:
«On the principle of Explanation, the fact may be shown by the prosecution, even before express impeachment (because his relation to the cause is an implied impeachment), that no such promise has been made.[9]»
[27] Toujours sur ce point, le très regretté Professeur Jacques Fortin, précité, écrivait:
«On conçoit que la poursuite citant un complice a avantage à dissiper chez le juge des faits toute idée de collusion entre elle et son témoin ou de collaboration intéressée de la part de ce dernier. Elle peut aussi montrer que le témoin ne bénéficie pas d'une promesse de clémence ou qu'il n'a eu aucun traitement de faveur.» (supra, no 330, p. 245)
[28] Appliquant ce principe au cas à l'étude, j'estime que c'est fondamentalement une question de transparence dans le traitement des témoins-délateurs qui légitime la preuve du contrat de délation en interrogatoire principal. Il n'y a pas si longtemps, les conditions de l'entente entre l'État et le délateur étaient gardées secrètes, si bien que toutes les spéculations sur l'intérêt du témoin étaient possibles. Pourtant, comme l'avait souligné le juge McIntyre dans l'arrêt Palmer c. La Reine 1979 CanLII 8 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 759, p. 779, il est de la responsabilité des tribunaux de s'assurer qu'en accordant une protection à ce type de témoin, on ne fasse rien qui puisse influencer les témoins à charge, nuire de quelque façon au procès ou entraîner un déni de justice. Pour ma part, je crois qu'il serait assez paradoxal d'exiger du ministère public une totale transparence dans ses ententes avec les délateurs et de ne pas lui permettre de mettre cartes sur table si ce délateur témoigne. Le contraire laisserait croire au juge des faits, si seule la défense pouvait y référer, que la transparence est à sens unique.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire