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lundi 16 juin 2025

La disposition réparatrice énoncée au sous-al. 686(1)b)(iii) C. cr. s’applique généralement lorsqu’il n’existe aucune possibilité raisonnable que le verdict eût été différent en l’absence de l’erreur

R. c. Tayo Tompouba, 2024 CSC 16 

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[76]                        La disposition réparatrice énoncée au sous-al. 686(1)b)(iii) C. cr. s’applique généralement lorsqu’il n’existe aucune possibilité raisonnable que le verdict eût été différent en l’absence de l’erreur. Cela survient dans deux cas : (1) si l’erreur ou l’irrégularité en question est négligeable ou inoffensive de sorte qu’elle n’a eu aucune incidence sur le verdict; ou (2) si l’erreur ou l’irrégularité, malgré sa gravité qui justifierait la tenue d’un nouveau procès, n’a causé aucun tort important ni erreur judiciaire grave, car la preuve contre l’appelant est à ce point accablante que le juge des faits rendrait inévitablement un verdict de culpabilité (voir Tran, p. 1008-1009; Khan, par. 28-31Van, par. 34-36R. c. R.V.2019 CSC 41, [2019] 3 R.C.S. 237, par. 85R. c. Samaniego2022 CSC 9, par. 65; Vauclair, Desjardins et Lachance, nos 51.237-51.238). Pour ce qui est de la disposition réparatrice prévue au sous-al. 686(1)b)(iv) C. cr., à ce jour, l’analyse de la question du préjudice se fait conformément aux principes du sous‑al. 686(1)b)(iii) (voir Khan, par. 16 et 18; Esseghaier, par. 51-53; Vauclair, Desjardins et Lachance, nº 51.245). En conséquence, [traduction] « le sous‑alinéa 686(1)b)(iv) est dans une large mesure parallèle au sous‑alinéa 686(1)b)(iii), mais il ne s’applique qu’à une gamme étroite d’irrégularités procédurales entraînant une erreur de compétence qui ne pourrait être qualifiée de pure erreur de droit » (Coughlan, p. 582).

Le fait de ne pas soumettre une théorie de la défense à l'attention du jury ou de ne pas instruire ce dernier sur une possible infraction moindre et incluse peut n'avoir aucune incidence sur le verdict dans certaines circonstances

R. v. Ali, 2021 ONCA 362 

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[88]      In some situations, an argument moving backwards from the verdict returned can be persuasive in demonstrating that a failure to leave a certain theory of the defence or an included offence with a jury had no effect on the verdict returned: R. v. Sarrazin2011 SCC 54, at paras. 30-31. Given the structure of this charge, that reasoning does not assist the Crown.

La disposition réparatrice et l'infraction moindre et incluse non soumise à l'attention du juge des faits

R. c. Sarrazin, 2011 CSC 54

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[30]                          Le juge Moldaver était d’avis que la tenue d’un nouveau procès n’était pas nécessaire, mais il a tout de même reconnu que [traduction] « [l]e principe directeur de la disposition réparatrice veut qu’elle ne sera généralement pas appliquée dans les cas où une infraction comprise (ou en l’espèce, une infraction moins grave) n’est pas soumise à l’appréciation du jury et que ce dernier déclare l’accusé coupable d’une infraction plus grave » (par. 137 (je souligne)).  Toutefois, selon lui, l’arrêt R. c. Haughton1994 CanLII 73 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 516, où la question portait sur la prévision subjective du décès de la victime, permet à une cour d’appel, dans certaines circonstances, d’appliquer la disposition réparatrice en se fondant sur les conclusions factuelles qui se dégagent de la déclaration de culpabilité pour meurtre lorsque le jury reçoit des directives concernant une infraction comprise, mais que ces directives sont entachées d’une erreur de droit.

[31]                          La question de savoir si les conclusions factuelles implicites peuvent être invoquées à cette fin dans un tel cas dépendra des circonstances, comme le juge Moldaver l’a reconnu (par. 165).  Il peut être possible dans le cas de certaines erreurs de droit de « déterminer les incidences sur le verdict et de s’assurer qu’elles n’y avaient rien changé » (Khan, par. 30), mais je ne crois pas que cela puisse se faire en l’espèce.  Les erreurs que relève la Cour dans Khan renvoient à des affaires dans lesquelles le « caractère anodin de l’erreur ou l’absence de préjudice résultant d’une erreur de droit plus grave » ont justifié l’application de la disposition réparatrice (ibid.).  L’omission de donner au jury des directives relatives à un autre verdict valable n’entre dans ni l’une ni l’autre de ces catégories.  Je suis d’accord avec le juge Doherty pour dire que [traduction] « le fait de ne pas donner au jury la possibilité de rendre un verdict relatif à l’infraction comprise, lorsque ce verdict peut raisonnablement être prononcé, constituera dans la plupart des cas une erreur donnant lieu à révision » (par. 87).  À mon avis, cette règle générale s’applique en l’espèce et l’argument du ministère public à l’effet contraire devrait être rejeté non pas par crainte que [traduction] « la possibilité d’un autre verdict [l’acquittement] a peut-être influencé la décision du jury » (le juge Moldaver, par. 162), mais parce que le jury ne s’est jamais vu offrir la possibilité de rendre un verdict (la tentative de meurtre) qui correspondait à un aspect important de la thèse de la défense. 

dimanche 15 juin 2025

Un juge qui prône la clémence lors de la détermination de la peine face à une agression sexuelle ne peut pas se reposer sur des mythes, préjugés ou stéréotypes pour arriver à cette fin

R. c. Bonnier, 1992 CanLII 3682 (QC CA)

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Le juge s'arrête au fait que la victime savait fort bien que l'accusé devenait agressif lorsqu'il consommait de l'alcool, s'est pourtant rendue chez lui où elle a généreusement consommé avec lui sans faire beaucoup d'efforts pour quitter les lieux lorsqu'elle a constaté l'état de surexcitation de son hôte.  Il ajoute que les gestes de l'accusé n'en sont pas excusables pour autant mais force est de comprendre que la clémence dont il a fait preuve n'est peut-être pas étrangère à cette perception aujourd'hui désuette que certaines femmes, en certaines situations, attirent sur elles leur malheur que la société ne saurait imputer exclusivement à l'agresseur.  Il en va peut-être ainsi dans certains cas très exceptionnels mais celui qui nous occupe ne me paraît pas en être un.

 

Bonnier a vécu un divorce particulièrement difficile qui l'a conduit en psychothérapie.  Une liaison subséquente avec sa victime a été interrompue par celle-ci ce qui n'a guère contribué à améliorer son état psychique.  Les dépositions des experts au cours du procès sont sur le sujet éloquentes et le premier juge pouvait, à bon droit, tenir compte de ce fait sinon au moment de prononcer la condamnation du moins en imposant la sentence.

 


La victime s'est donc rendue chez Bonnier ce soir-là et celui-ci, tout en consommant une quantité appréciable d'alcool, lui a tenu un long discours tendant à la réconciliation et à la reprise de la vie commune.  Il l'a retenue de force chez-lui et s'est livré à divers gestes que le premier juge a justement qualifié d'ignominieux, graves et répugnants.  Il lui a par ailleurs infligé des blessures, légères, il faut bien en convenir, à la pointe d'un couteau et l'a menacée de blessures beaucoup plus graves.

 

Bonnier s'est, le lendemain, en quelque sorte excusé et sa victime l'a revu lui consentant même des rapports sexuels dont la motivation n'était toutefois peut-être pas la passion.

 

Le premier juge qui a vu et entendu la victime et son agresseur a cru devoir être indulgent, une attitude que siégeant en appel nous ne pouvons totalement ignorer.

 

Le premier juge, pour l'essentiel, me paraît ne pas avoir attaché suffisamment d'importance à la dimension exemplaire qui s'impose en pareille matière.  C'est dire des lieux communs que de rappeler l'incidence sans cesse accrue de ce genre de crimes et ses conséquences souvent néfastes.  Nos collègues de la Cour d'appel de l'Alberta ont écrit et le premier juge a cité:

 

The starting point for a major sexual assault is three years, assuming a mature accused with previous good character and no criminal record.

(R. c. Sandercock, [1985] 48 C.R. (3rd) p.154, C.A. Alberta).

 


un principe dont la rigueur n'a pas toujours et partout été suivie en regard des circonstances particulières de chaque cas.  Quoi qu'il en soit, toutes choses étant relatives, je ne suis pas persuadé que nous sommes ici en présence d'un major sexual assault au sens de l'arrêt Sandercock, cela dit sans en aucune façon vouloir minimiser la répugnance qu'inspirent les gestes de Bonnier.  Sauf le respect relatif que, comme je l'ai dit plus tôt, je crois devoir porter à l'appréciation générale du cas par le premier juge qui a vu et entendu les intéressés et s'est astreint à une sentence complètement motivée, je serais tenté, au seul poste de l'exemplarité, d'imposer une peine de deux ans sur le chef d'agression sexuelle, tel que proposé sans, il faut le dire, trop de vigueur, par le substitut.  Tout compte fait cependant, j'estime qu'une peine de douze mois de réclusion quant au chef d'agression sexuelle loge à la frontière inférieure de l'indulgence permise et je suis donc d'avis de statuer en conséquence, le tout assorti de l'ordonnance de probation tel que prononcée par le premier juge.  Quant à la peine imposée sur le chef de séquestration, je n'interviendrais pas; confusion des peines.

L'accusé a droit à un examen des éléments de preuve qui peuvent lui être favorables et qui se rapportent à la question ultime à trancher. L’omission de ce faire, si l’élément concerné revêt suffisamment d’importance, justifie l’intervention d’un tribunal d’appel

M.G. c. R., 2024 QCCA 28

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[47]      À moins que l’omission de considérer certains éléments de preuve ne résulte d’une mauvaise application d’un principe juridique, ce qui sera le cas lorsque chaque élément de preuve est abordé isolément plutôt qu’au regard de l’ensemble de la preuve[13], l’erreur qu’allègue l’appelant doit également être analysée à travers le prisme du verdict déraisonnable.

[48]      Qui plus est, la jurisprudence insiste sur le fait que cette erreur ne donnera prise au pouvoir d’intervention de la Cour que si l’élément de preuve ignoré par le tribunal non seulement se révèle favorable à l’accusé, mais revêt également une importance significative[14].

Le poursuivant peut anticiper ou prévoir tel ou tel moyen de défense de l'accusé, mais cela ne saurait le contraindre à le réfuter dans sa preuve principale

R. c. Robert, 2023 QCCA 379 

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[113]   Je termine en répondant à un dernier argument implicite présenté par l’intimé. Ce dernier postule que, même si la poursuite n’avait pas l’obligation de faire entendre Mme B... selon l’arrêt Cook, elle en avait l’obligation, car elle pouvait anticiper la nature de la défense de l’intimé en raison du contenu de la déclaration faite à Mme B....

[114]   La décision de notre Cour dans l’affaire Cormier[61] répond d’une manière complète aux objections de l’intimé.

[115]   Dans cette affaire, le juge Proulx s’appuie sur l’arrêt Chaulk[62] pour exprimer l’opinion qui suit : « le poursuivant peut anticiper ou prévoir tel ou tel moyen de défense, mais cela ne saurait le contraindre à [le] réfuter »[63].

[116]   Il poursuit son analyse et confirme l’admissibilité d’une contre-preuve qui aurait pu être présentée en preuve principale, mais qui acquiert une pertinence plus évidente dans le cadre du procès :

Comme l'avait fait remarquer avec beaucoup d'à-propos le Juge Arthur Martin dans l'arrêt R. c. Campbell (1977), 1977 CanLII 1191 (ON CA), 38 C.C.C. (2d) 6 (C.A. Ont.), il peut souvent s'avérer difficile, en pratique, de distinguer les faits qui peuvent faire l'objet d'une contre-preuve de ceux qui doivent être prouvés en preuve principale.  Dans ce même arrêt, le Juge Martin fait état d'une preuve qui, même si à la limite pouvait être introduite en preuve principale, présentait une pertinence plus évidente (« acquired greater relevance ») dans le cadre de la contre-preuve[64].

[117]   Dans l’arrêt P.G., le juge Rosenberg abonde dans le même sens :

Despite the broad language from Krause it has always been understood that the trial judge has a discretion to admit evidence in reply concerning an issue that was of only marginal importance during the prosecution's case in chief, but that took on added significance as a result of the defence evidence[65].

[Le soulignement est ajouté]

[118]   À mon avis, la déclaration à Mme B... acquérait une importance significative et accrue au sens de l’arrêt Cormier à la suite de la négation de l’intimé[66]. Cette position est conforme à la jurisprudence canadienne selon les auteurs de l’ouvrage McWilliams’ Canadian Criminal Evidence :

Accordingly, the law is now clear: evidence marginally relevant, and thus strictly speaking admissible as part of the Crown case in chief, may nonetheless be admissible in reply where it takes on real significance only because of a position advanced during the defence case. Another way of saying the same thing, adopted in several Canadian cases, is that the matter to which the proposed reply evidence relates only became a “live issue” once the defence put in its case[67].

[119]   Le droit applicable n’était pas incertain ou flou. Le droit de la poursuite de contre-interroger l’intimé au sujet de sa déclaration antérieure incompatible était clairement établi dans la jurisprudence.

[120]   Cela dit, inspiré par l’arrêt Underwood[68], le procureur de l’intimé aurait pu dissiper toute incertitude et demander à la juge d’instance de trancher cette question avant qu’il ne choisisse de témoigner pour sa défense.

[121]   Je souligne tout de même n’avoir trouvé aucune décision qui stipule que la poursuite ne peut contre-interroger un accusé pour tester sa crédibilité au sujet d’une déclaration antérieure incompatible, parce qu’elle aurait pu produire cette preuve en preuve principale.

[122]   J’ajoute finalement que l’arrêt Krause, sur lequel s’appuie l’intimé, n’empêchait pas la poursuite d’invoquer l’article 11 de la Lpc, car dans cet arrêt et contrairement à la situation dans la présente affaire, le contre-interrogatoire de la poursuite visait des faits incidents ou collatéraux. Voici les observations de la Cour dans l’arrêt Mandeville à ce sujet : 

Ainsi, dans l'arrêt R. v. Krause, […][69] la Cour suprême a fait référence à la demande du ministère public au procès de présenter une contre-preuve fondée sur l'art. 11 afin de réfuter des déclarations de l'appelant qui avait témoigné dans sa cause. À cette occasion, la Cour n'a pas émis l'avis que cette façon de procéder était irrecevable; le débat portait uniquement sur la question de savoir si en l'espèce la contre-preuve visait des faits pertinents ou collatéraux. D'ailleurs, en Cour d'appel, les trois juges avaient conclu qu'en principe, rien n'empêchait le poursuivant de faire la preuve des déclarations antérieures au moment de la contre-preuve[70].

[Les soulignements sont ajoutés]

[123]   Dans l’arrêt Aalders, le juge Cory adopte la même interprétation de la portée de l’arrêt Krause :

Le juge McIntyre, s'exprimant au nom de notre Cour à l'unanimité, a conclu que le juge du procès avait commis une erreur en déclarant admissible et en autorisant le contreinterrogatoire au sujet de la déclaration faite à la police puisque l'accusé n'avait fait aucune déclaration incompatible dans le cours de son témoignage.  Notre Cour a statué que l'élément de preuve à l'égard duquel la présentation de la contrepreuve a été autorisée traitait de la déclaration de l'accusé selon laquelle les policiers l'avaient harcelé avant son arrestation.  Notre Cour a statué que cela était une question incidente qui n'était ni pertinente ni importante en ce qui a trait à la question de savoir si l'accusé avait tué la victime.  Le témoignage de l'accusé portait atteinte seulement à l'intégrité de la police mais il ne touchait pas à la question de sa culpabilité ou de son innocence.  Les faits étaient fort différents de ceux de l'espèce.  En l'espèce, la contrepreuve touchait à une question essentielle à la détermination du litige.

[Les soulignements sont ajoutés]

[124]   Contrairement à l’affaire Krause, il existe dans la présente affaire une déclaration antérieure incompatible de l’intimé dont la poursuite pouvait faire la preuve, car celle-ci concerne non pas un fait incident, mais plutôt une question concernant le cœur de l’accusation[71]

[125]   En résumé, la poursuite pouvait contre-interroger l’intimé au sujet de sa déclaration antérieure incompatible et en faire la preuve durant son contre-interrogatoire ou lors d’une contre-preuve. Il n’y avait rien d’inusité ou d’inéquitable dans la démarche de la poursuite.

La division de la preuve, la contre-preuve et les faits incidents

R. c. Robert, 2023 QCCA 379

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[99]      La règle interdisant la poursuite de scinder sa preuve prévoit que « le ministère public ne devrait pas être autorisé à bénéficier de l’avantage injuste qui résultera forcément du fait que ‘’sa preuve soit scindée’’ »[50]. Cela dit, « [u]ne contrepreuve est à juste titre admissible lorsque la question examinée découle de la preuve de la défense, lorsqu’elle n’est pas incidente et, de façon générale, lorsque le ministère public ne pouvait pas prévoir de quelle façon elle évoluerait »[51].

[100]   Dans l’arrêt John, les juges Estey et Lamer décrivent la règle en ces termes :

Ce sont là les conséquences qui découlent de la violation d'un des préceptes fondamentaux de notre procédure criminelle, c'estàdire la division de la preuve de la poursuite de manière à coincer la défense. C'est une tactique particulièrement destructrice si le témoignage donné en contrepreuve soulève une nouvelle question et met en cause la crédibilité de l'accusé, puisqu'il s'agit du dernier témoignage que les membres du jury entendent avant de délibérer. Cette pratique pose également la question de la justesse de la conduite de la poursuite eu égard au droit de l'accusé de choisir de garder le silence ou de choisir de témoigner pour sa propre défense. Il doit avoir la possibilité de prendre cette décision en toute connaissance de la totalité de la preuve de la poursuite. Ce n'est pas ce qui s'est produit dans ces procédures[52].

[Le soulignement est ajouté]

[101]   Dans l’arrêt Biddle, le juge Sopinka explique que « la règle interdisant le fractionnement de la preuve repose notamment sur le droit de l'accusé de connaître la totalité de la preuve du ministère public à laquelle il est appelé à répondre.  Ce n'est que s'il connaît pleinement la preuve du ministère public que l'accusé peut décider de témoigner ou non »[53]

[102]   Par ailleurs, comme le souligne le juge Lamer dans l’arrêt Underwood : « [n]otre processus pénal est fondé sur le principe selon lequel, avant que l’accusé produise une preuve pour sa propre défense, il doit connaître la preuve complète qui pèse contre lui »[54]. Le principe de la « preuve complète » est un précepte fondamental de notre système de justice[55].

[103]   Finalement, l’arrêt Aalders pose les paramètres de l’admissibilité d’une contre-preuve:

À mon avis, la question primordiale en ce qui concerne l'admission d'une contrepreuve n'est pas de savoir si la preuve que le ministère public cherche à présenter est déterminante quant à une question essentielle, mais bien de savoir si elle se rapporte à une question essentielle qui peut être déterminante pour trancher l'affaire.  Si la contrepreuve porte sur un élément essentiel du litige et si le ministère public ne pouvait prévoir que cette preuve serait nécessaire, alors elle est généralement admissible.  En conséquence, lorsqu'un témoin fait, au cours de son témoignage au procès, une déclaration qui entre en conflit avec d'autres éléments de preuve portant sur une question essentielle, la contrepreuve sera autorisée pour résoudre ce conflit.

Il est vrai que le ministère public ne peut scinder sa preuve pour obtenir un avantage injuste.  Il ne devrait pas non plus être autorisé à présenter une contrepreuve relativement à une question purement incidente.  Toutefois, la présentation d'une contrepreuve peut être autorisée si elle se rapporte à une question essentielle de l'affaire.  Dans ces circonstances, il serait erroné de priver le juge des faits d'une preuve importante se rapportant à un élément essentiel du litige.  Un procès, plus particulièrement un procès criminel, doit se dérouler conformément aux règles d'équité de façon à garantir la protection de la personne accusée.  Toutefois, les règles ne devraient pas aller jusqu'à priver le juge des faits d'éléments de preuve importants, susceptibles d'être utiles à la solution d'un élément essentiel du litige.

[Le juge Cory souligne]

[104]   À la lumière de ces paramètres, je considère tout d’abord l’arrêt Drake[56], un arrêt phare à l’égard de ces questions[57].

[105]   Dans cette affaire, l’accusé était inculpé d’une accusation de viol et la poursuite faisait valoir que le consentement de la plaignante avait été extorqué par des menaces de lésions corporelles.

[106]   La poursuite, alléguant des contradictions dans la déclaration de l’accusé aux policiers, souhaitait le contre-interroger sur celles-ci pour tester sa crédibilité.

[107]   Le juge Macpherson écrit :

There is a well-known principle that evidence which is clearly relevant to the issues and within the possession of the Crown should be advanced by the Crown as part of its case, and such evidence cannot properly be admitted after the evidence for the defence by way of rebuttal. In other words, the law regards it as unfair for the Crown to lie in wait and to permit the accused to trap himself. The principle, however, does not apply to evidence which is only marginally, minimally or doubtfully relevant: see R. v. Levy and Tait (1966), 50 Cr. App. R. 198.

In the present case the issue, I think, has always been clear: was the complainant’s consent extorted by threats? The accused in his statement to the police and in his testimony so far has admitted that he was with the girl and had intercourse. Then and now, however, he denies any threats and swears to free consent on her part. I feel, therefore, that the statement was doubtfully relevant to the Crown’s case and may now be used.

In many cases the Crown knows the essence of the defence case by reason of statements to the police. I would not like the law to provide that such a statement could not be used for any purpose unless the Crown had established it as voluntary before it closed its case. I can see no evil or prejudice where the voluntary nature of the statement is established during the defence case, particularly where, as here, Crown counsel claims to see discrepancies and seeks by them to test the credibility of the accused. Otherwise I would think the courts will be faced constantly with futile voir dires where the accused will testify to substantially the same story as in his statement and much time will be wasted. The accused is not any more or any less tied to his first story if the Crown is permitted to take a voir dire during his cross-examination. The accused knows that he gave the statement and a copy of it is available to him or to his counsel on request, as it was in the present case.

 My last comment concerns s. 10 of the Canada Evidence Act which provides:

“10. (1) Upon any trial a witness may be cross-examined as to previous statements made by him in writing ...”

Since Regina v. Piche, supra, it must now be said that an involuntary statement by an accused to someone in authority is not a statement within this section when the accused is the witness. Once the judge rules, however, that the statement was a voluntary one the accused is in the same position regarding it as any other witness would be.

I therefore rule that the voir dire was properly held during the defence case, that the statement was voluntary and that the Crown may cross-examine upon it[58].

[Les soulignements sont ajoutés]

[108]   Des principes similaires animent la décision de notre Cour dans l’affaire Alix[59].

[109]   Dans cette affaire, notre Cour était confrontée à une situation où l’accusée présentait en appel une argumentation similaire à celle de l’intimé, soit l’obligation pour la poursuite de présenter la preuve de déclarations antérieures incompatibles en preuve principale.

[110]   La juge Côté brosse le portrait de la situation :

[139]   L'appelante reproche au juge du procès d'avoir permis à la poursuite, au cours de son contre-interrogatoire, de la confronter à des lettres qu'elle avait écrites à son conjoint dans lesquelles elle relatait la relation difficile et conflictuelle qu'elle avait avec sa mère. Elle soutient de plus que l'usage en contre-interrogatoire d'une déclaration enregistrée sur vidéo faite aux policiers le 13 mars 2005, laquelle fut déclarée libre et volontaire, mais non déposée en preuve, constitue une forme irrecevable de contre-preuve de la poursuite. En outre, l'appelante plaide que les lettres et la déclaration auraient dû être produites en preuve principale.

[140]      Il convient de résumer sommairement le contexte.

[141]      Lors de la détention de son conjoint Leblanc, à la suite d'une condamnation pour des voies de fait commises à son endroit, l'appelante lui a écrit plusieurs lettres. La poursuite a choisi de ne produire que certaines d'entre elles (P-87), et de se servir de deux lettres lors du contre-interrogatoire de l'appelante. Dans ces deux lettres, l'appelante indique que vivre avec sa mère, « est l'enfer sur terre » et que celle-ci fait tout pour la blesser et l'abaisser. Elle y précise qu'elles se querellent du matin au soir.

[142]      Ces déclarations extrajudiciaires antérieures illustrent la relation non harmonieuse qu'elle entretenait avec sa mère, laquelle est pertinente au litige. Bien que le mobile présenté par la poursuite ait été essentiellement de nature financière, la relation existante entre la mère et la fille demeurait liée au litige d'autant que la poursuite a présenté des témoins pour relater la relation difficile qui prévalait entre l'appelante et sa mère à l'époque.

[143]      Partant, la proposition de l'appelante qu'il s'agit d'une contre-preuve est dénuée de fondement.

[144]      D'une part, l'appelante a admis avoir écrit ces lettres. La défense connaissait l'existence de cette preuve, la poursuite lui ayant divulgué les lettres écrites par l'appelante à son ex-conjoint, lesquelles reflétaient sa relation difficile avec sa mère. D'autre part, comme l'appelante a affirmé lors de son témoignage au procès entretenir une bonne relation avec sa mère, sauf quant au choix de son conjoint, ces lettres manuscrites constituent des déclarations antérieures contradictoires avec sa version des faits au procès. En tentant de minimiser le conflit existant entre elle et sa mère lors de son témoignage, l'appelante donnait ouverture à la mise en contradiction au moyen d'un écrit contradictoire sur un aspect relié à l'accusation. Il était loisible pour la poursuite de ne pas produire toutes les lettres et d'en conserver certaines aux fins du contre-interrogatoire.

[Les soulignements sont ajoutés]

[111]   La juge Côté rejette toutes les prétentions de Mme Alix, y compris celle selon laquelle la poursuite devait faire une telle preuve dans le cadre de sa preuve principale. Elle écrit :

[152]      Quant à l'obligation pour la poursuite de déposer en preuve ces déclarations en preuve principale, comme le mentionne la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. c. Mallory (2007), 217 C.C.C. (3d) 266, 2007 ONCA 46, en résumant les principes applicables aux déclarations d'un accusé aux paragraphes 230 et suivants :

[230]   First, voluntary admissions by an accused are generally admissible for their truth as an exception to the hearsay rule.

[231]    Second, although a voir dire is required to establish the voluntariness of an admission to the police, or to another person in authority, generally no voir dire is required if the admission is made to a person not in authority, even if that person is an unsavoury witness or a jailhouse informant.

[232]    Third, the Crown is entitled to call the evidence it chooses in its case, provided that it does not call any evidence with an "oblique motive".

[233]   Fourth, the Crown is not prohibited from reserving evidence for cross-examination that was not called in-chief, provided the evidence is not otherwise inadmissible, the Crown has a good faith basis in the foundation for its question, the Crown is not splitting its case, and the prejudicial effect of the cross-examination does not outweigh its probative value.

[Je souligne; p. 326.]

[153]      En l'espèce, c'est exactement ce que la poursuite a fait, soit se servir des lettres en contre-interrogatoire pour tenter d'affecter la crédibilité de l'appelante.

[154]      La proposition de l'appelante selon laquelle la poursuite a ainsi fractionné sa preuve alors qu'elle a l'obligation de présenter dans sa preuve tous les éléments pertinents pour étayer l'accusation n'a aucun mérite.

[155]      Il est vrai que la poursuite ne peut conserver certains éléments de preuve en réserve pour ensuite les présenter dans le cadre d'une contre-preuve. L'arrêt R. c. Krause1986 CanLII 39 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 466, limite la présentation d'une contre-preuve à de nouvelles questions soulevées par la défense que la poursuite « ne pouvait pas raisonnablement prévoir » (p. 474). Toutefois, le contre-interrogatoire de l'appelante sur ses déclarations antérieures incompatibles ne saurait équivaloir à une contre-preuve d'autant que la preuve de la poursuite faisait état de cette relation conflictuelle.

[156]      Partant, la poursuite n'avait pas l'obligation de produire ces lettres et pouvait s'en servir en contre-interrogatoire. Il s'ensuit qu'elle n'a pas scindé sa preuve, mais qu'elle a plutôt réservé certains éléments de preuve pour affecter la crédibilité de l'appelante lors du contre-interrogatoire.

[157]      Les mêmes principes et conclusions sont applicables à l'égard de la déclaration vidéo du 13 mars 2005. Il était loisible à la poursuite de contre-interroger l'appelante sur ses déclarations antérieures contradictoires concernant les médicaments qu'elle prenait à l'époque contemporaine du décès de sa mère.

[112]   Puisqu’il est reconnu que la poursuite ne scinde pas sa preuve illégalement lorsqu’elle ne dépose pas la déclaration libre et volontaire d’un accusé aux policiers en preuve principale, mais la conserve pour l’utiliser lors du contre-interrogatoire de l’accusé[60], il ne saurait en être autrement pour le cas où une déclaration antérieure incompatible a été faite à une autre personne.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

De simples mots ne constituent pas un voies de fait & la nécessité de prouver le caractère intentionnel de l'usage de la force permet une défense d'accident ou d'erreur de consentement honnête mais erroné

R. v. Dawydiuk, 2010 BCCA 162 Lien vers la décision [ 29 ]             Under s. 265 (1)(a) of the  Criminal Code , a person commits an assau...