Rechercher sur ce blogue

dimanche 15 juin 2025

Le poursuivant peut anticiper ou prévoir tel ou tel moyen de défense de l'accusé, mais cela ne saurait le contraindre à le réfuter dans sa preuve principale

R. c. Robert, 2023 QCCA 379 

Lien vers la décision


[113]   Je termine en répondant à un dernier argument implicite présenté par l’intimé. Ce dernier postule que, même si la poursuite n’avait pas l’obligation de faire entendre Mme B... selon l’arrêt Cook, elle en avait l’obligation, car elle pouvait anticiper la nature de la défense de l’intimé en raison du contenu de la déclaration faite à Mme B....

[114]   La décision de notre Cour dans l’affaire Cormier[61] répond d’une manière complète aux objections de l’intimé.

[115]   Dans cette affaire, le juge Proulx s’appuie sur l’arrêt Chaulk[62] pour exprimer l’opinion qui suit : « le poursuivant peut anticiper ou prévoir tel ou tel moyen de défense, mais cela ne saurait le contraindre à [le] réfuter »[63].

[116]   Il poursuit son analyse et confirme l’admissibilité d’une contre-preuve qui aurait pu être présentée en preuve principale, mais qui acquiert une pertinence plus évidente dans le cadre du procès :

Comme l'avait fait remarquer avec beaucoup d'à-propos le Juge Arthur Martin dans l'arrêt R. c. Campbell (1977), 1977 CanLII 1191 (ON CA), 38 C.C.C. (2d) 6 (C.A. Ont.), il peut souvent s'avérer difficile, en pratique, de distinguer les faits qui peuvent faire l'objet d'une contre-preuve de ceux qui doivent être prouvés en preuve principale.  Dans ce même arrêt, le Juge Martin fait état d'une preuve qui, même si à la limite pouvait être introduite en preuve principale, présentait une pertinence plus évidente (« acquired greater relevance ») dans le cadre de la contre-preuve[64].

[117]   Dans l’arrêt P.G., le juge Rosenberg abonde dans le même sens :

Despite the broad language from Krause it has always been understood that the trial judge has a discretion to admit evidence in reply concerning an issue that was of only marginal importance during the prosecution's case in chief, but that took on added significance as a result of the defence evidence[65].

[Le soulignement est ajouté]

[118]   À mon avis, la déclaration à Mme B... acquérait une importance significative et accrue au sens de l’arrêt Cormier à la suite de la négation de l’intimé[66]. Cette position est conforme à la jurisprudence canadienne selon les auteurs de l’ouvrage McWilliams’ Canadian Criminal Evidence :

Accordingly, the law is now clear: evidence marginally relevant, and thus strictly speaking admissible as part of the Crown case in chief, may nonetheless be admissible in reply where it takes on real significance only because of a position advanced during the defence case. Another way of saying the same thing, adopted in several Canadian cases, is that the matter to which the proposed reply evidence relates only became a “live issue” once the defence put in its case[67].

[119]   Le droit applicable n’était pas incertain ou flou. Le droit de la poursuite de contre-interroger l’intimé au sujet de sa déclaration antérieure incompatible était clairement établi dans la jurisprudence.

[120]   Cela dit, inspiré par l’arrêt Underwood[68], le procureur de l’intimé aurait pu dissiper toute incertitude et demander à la juge d’instance de trancher cette question avant qu’il ne choisisse de témoigner pour sa défense.

[121]   Je souligne tout de même n’avoir trouvé aucune décision qui stipule que la poursuite ne peut contre-interroger un accusé pour tester sa crédibilité au sujet d’une déclaration antérieure incompatible, parce qu’elle aurait pu produire cette preuve en preuve principale.

[122]   J’ajoute finalement que l’arrêt Krause, sur lequel s’appuie l’intimé, n’empêchait pas la poursuite d’invoquer l’article 11 de la Lpc, car dans cet arrêt et contrairement à la situation dans la présente affaire, le contre-interrogatoire de la poursuite visait des faits incidents ou collatéraux. Voici les observations de la Cour dans l’arrêt Mandeville à ce sujet : 

Ainsi, dans l'arrêt R. v. Krause, […][69] la Cour suprême a fait référence à la demande du ministère public au procès de présenter une contre-preuve fondée sur l'art. 11 afin de réfuter des déclarations de l'appelant qui avait témoigné dans sa cause. À cette occasion, la Cour n'a pas émis l'avis que cette façon de procéder était irrecevable; le débat portait uniquement sur la question de savoir si en l'espèce la contre-preuve visait des faits pertinents ou collatéraux. D'ailleurs, en Cour d'appel, les trois juges avaient conclu qu'en principe, rien n'empêchait le poursuivant de faire la preuve des déclarations antérieures au moment de la contre-preuve[70].

[Les soulignements sont ajoutés]

[123]   Dans l’arrêt Aalders, le juge Cory adopte la même interprétation de la portée de l’arrêt Krause :

Le juge McIntyre, s'exprimant au nom de notre Cour à l'unanimité, a conclu que le juge du procès avait commis une erreur en déclarant admissible et en autorisant le contreinterrogatoire au sujet de la déclaration faite à la police puisque l'accusé n'avait fait aucune déclaration incompatible dans le cours de son témoignage.  Notre Cour a statué que l'élément de preuve à l'égard duquel la présentation de la contrepreuve a été autorisée traitait de la déclaration de l'accusé selon laquelle les policiers l'avaient harcelé avant son arrestation.  Notre Cour a statué que cela était une question incidente qui n'était ni pertinente ni importante en ce qui a trait à la question de savoir si l'accusé avait tué la victime.  Le témoignage de l'accusé portait atteinte seulement à l'intégrité de la police mais il ne touchait pas à la question de sa culpabilité ou de son innocence.  Les faits étaient fort différents de ceux de l'espèce.  En l'espèce, la contrepreuve touchait à une question essentielle à la détermination du litige.

[Les soulignements sont ajoutés]

[124]   Contrairement à l’affaire Krause, il existe dans la présente affaire une déclaration antérieure incompatible de l’intimé dont la poursuite pouvait faire la preuve, car celle-ci concerne non pas un fait incident, mais plutôt une question concernant le cœur de l’accusation[71]

[125]   En résumé, la poursuite pouvait contre-interroger l’intimé au sujet de sa déclaration antérieure incompatible et en faire la preuve durant son contre-interrogatoire ou lors d’une contre-preuve. Il n’y avait rien d’inusité ou d’inéquitable dans la démarche de la poursuite.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Une agression sexuelle peut être commise même en l’absence d’un contact physique proprement dit, car la menace ou la tentative d'employer la force suffit pour entraîner la culpabilité de l'accusé

R. v. Edgar, 2016 ONCA 120  Lien vers la décision [ 10 ]        To commit a sexual assault, it was not necessary for the appellant to touch ...