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jeudi 3 octobre 2013

Le ministère public peut, à sa discrétion, ne présenter que ce qui constitue une preuve suffisante à première vue au niveau de l'enquête préliminaire

R. c. Barbeau, 1992 CanLII 76 (CSC), [1992] 2 RCS 845


Aujourd'hui, le rôle premier de l'enquête préliminaire consiste à déterminer si la preuve est suffisante pour renvoyer l'accusé à son procès.  En vertu de l'art. 535 du Code criminel, le "juge de paix" doit "enquêter sur l'accusation ainsi que sur tout autre acte criminel qui découle de la même affaire fondé sur les faits révélés par la preuve . . ."  L'enquête préliminaire ne date pas d'hier.  Avant la création des corps de police permanents, elle servait autant à enquêter sur un crime qu'à déterminer la culpabilité probable de l'accusé.

                  Selon l'art. 548, lorsque le juge de paix a recueilli tous les témoignages, il doit renvoyer la personne inculpée à son procès s'il estime que la preuve est suffisante pour la faire passer en jugement à l'égard de l'infraction reprochée ou de tout autre acte criminel relatif à la même opération.  Aux termes du par. 2 du même article, lorsque le juge de paix ordonne que le prévenu passe en jugement à l'égard d'un acte criminel différent ou en sus de celui dont il a été accusé, il doit inscrire sur la dénonciation les accusations à l'égard desquelles le prévenu est astreint à passer en jugement.

                  On ne peut nier que l'enquête préliminaire permet à l'accusé de découvrir l'étendue de la preuve qui pèse contre lui.  Il est vrai que, dans l'arrêt Caccamo c. La Reine, 1975 CanLii 11 CSC, [1976] 1 R.C.S. 786, notre Cour a dit clairement que le ministère public peut, à sa discrétion, ne présenter que ce qui constitue une preuve suffisante à première vue.  Il n'en demeure pas moins que l'enquête préliminaire permet à la personne inculpée de sonder, dans une certaine mesure, la preuve du ministère public.

On peut imputer la connaissance d'un objet à la personne qui le possède / la possession est une question de fait qui peut se prouver par déduction

Caccamo c. R., 1975 CanLII 11 (CSC), [1976] 1 RCS 786

Lien vers la décision


Naturellement, il incombait au ministère public de prouver que la pièce en question avait été trouvée en possession de l’appelant. Les cours d’instance inférieure ont indubitablement conclu que ce point avait été prouvé parce que tous les juges ont étudié la question de l’admissibilité à la lumière d’une telle possession. En effet, dans ses motifs de dissidence, le juge Arnup écrit que [TRADUCTION] «la simple possession du document» ne relie pas l’accusé à la Mafia. De pareilles conclusions concordantes en cour de première instance et en cour d’appel ne peuvent résulter d’une inadvertance puisque les dispositions du par. (4) de l’art. 3 du Code criminel avaient été longuement plaidées relativement à un autre aspect de la cause.

Dans les circonstances, l’appelant ne peut avoir gain de cause sur ce point. La possession au sens du par. (4) de l’art. 3 du Code criminel est une question de fait que l’on peut prouver par déduction. La conclusion des tribunaux d’instance inférieure ayant été unanime sur cette base, l’affaire doit s’arrêter là car les faits prouvés suffisent à appuyer cette déduction.

Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’invoquer à l’appui de la conclusion que l’appelant était en possession de la pièce n° 5 le principe voulant que [TRADUCTION] «lorsque les conjoints vivent sous le même toit, il existe une présomption légale que l’époux a la possession et le contrôle des lieux de leur résidence». Voir R. v. Lawson(Cour d’appel de la Colombie-Britannique); R. v. Mandzuk, (Cour d’appel de la Colombie-Britannique); R. v. Tokarek (Cour d’appel de la Colombie-Britannique).

La possession de la pièce n° 5 par l’appelant ayant été établie, il reste à voir si, dans les circonstances, la simple possession d’un tel document permettait légalement au magistrat, en l’absence de toute autre preuve reliant l’appelant à une organisation criminelle, de déduire que ce dernier était membre d’une telle organisation et que, par conséquent, il était en possession de l’arme dans un dessein dangereux pour la paix publique. À mon avis, la majorité de la Cour d’appel a donné une réponse complète à cette allégation et je me rallie aux motifs exprimés par le juge en chef Gale à cet égard.

Cependant, l’avocat de l’appelant nous a renvoyé à un certain nombre de précédents qui, selon lui, démontrent l’inadmissibilité de la pièce n° 5 parce que non pertinente. Selon moi, les décisions importantes auxquelles nous avons été renvoyés ne justifient pas cette conclusion.

Dans Thompson v. The Kingoù l’appelant était accusé de grossière indécence, la poursuite avait fait la preuve que l’appelant, lors de son arrestation, était en possession de houppes à poudrer et que des photographies indécentes de garçons avaient été trouvées dans ses chambres. La Chambre des Lords décida qu’en raison des circonstances spéciales de l’affaire, la preuve était admissible sur la question de l’identité. Cependant, les propos des savants lords nous indiquent qu’en réalité, dans d’autres circonstances, les documents trouvés soit sur la personne de l’accusé ou dans la chambre occupée par ce dernier pourraient fort bien être acceptés en preuve pour d’autres fins.

Dans Picken c. Le Roi, une décision de cette Cour, un nouveau procès avait été ordonné parce que l’on avait produit devant le jury, dans cette cause qui traitait d’avortement, divers objets que la police avait trouvés dans la maison de l’accusé grâce à un mandat de perquisition, alors que ces articles n’avaient aucune pertinence réelle au débat. Cependant, le juge en chef Duff, qui s’exprimait au nom de la Cour, a pris soin de souligner qu’il faisait une exception pour [TRADUCTION] «l’aiguille à tricoter et le rayon d’une roue de bicyclette».

L’affaire Emkeit c. La Reine n’ajoute rien à ce qui précède puisqu’il s’agissait d’un litige de nature très différente, à savoir la lecture d’un poème de nature incendiaire par le procureur du ministère public en présence du jury.

Beaucoup plus pertinente, il me semble, est notre décision dans l’affaire Prosko c. Le Roi, où trois juges ont convenu sans hésitation que le ministère public pouvait régulièrement déposer en preuve les objets trouvés dans la chambre de l’appelant qui était accusé de meurtre. Le juge Idington s’est exprimé ainsi, à la p. 235:
[TRADUCTION] La seule autre question sur laquelle l’avocat de l’appelant a fait reposer son pourvoi est la quatrième question de l’exposé de cause, à savoir:
A-t-on commis une erreur en permettant au procureur du ministère public de déposer en preuve et à titre de pièces à conviction, devant le jury, certains objets qui ont été trouvés en la possession de l’un ou l’autre des accusés dans les lieux occupés par l’un ou l’autre de ces derniers?

Avec respect, il m’est difficile de traiter sérieusement une telle question. Certains des articles trouvés ne méritaient pas de retenir l’attention du jury, mais la fausse moustache et la lampe de poche, par exemple, étaient des articles importants, dignes de considération dans une cause comme celle-ci qui repose en grande partie sur une preuve indirecte.

Ce qui ne peut se rattacher aux circonstances invoquées doit être évidemment rejeté par le jury à qui nous devons faire confiance.

Il incombait au fonctionnaire du ministère public de déposer tel que trouvé le contenu de la valise et de laisser au jury le soin de déterminer ce qui était pertinent et ce qui ne l’était pas, afin de ne pas laisser l’impression—qu’à cela, de sorte—que l’accusé était si assoiffé d’argent qu’il ne pensait qu’à cela, de sorte qu’il ne portait sur lui que de fausses moustaches, des lampes de poche et des coupe-verre.

Relativement à ce qui constitue une preuve admissible, l’arrêt R. c. Wray, y répond parfaitement.

mercredi 2 octobre 2013

Règle de la meilleure preuve - la fiabilité peut être suffisante en matière de preuve secondaire

Lambert c. R., 2012 QCCA 163 (CanLII)

Lien vers la décision

[42]           D'abord, une remarque. Il est inexact de dire, comme le plaide l'appelant, que les critères de nécessité et de fiabilité doivent toujours être satisfaits. Même la jurisprudence qu'il cite (R. c. Papalia1979 CanLII 38 (CSC), [1979] 2 R.C.S. 256) indique bien que la preuve secondaire, surtout en matière d'enregistrement, peut suffire s'il est démontré qu'elle n'a pas été altérée. En d'autres mots, la fiabilité peut être suffisante.

Arrêt de principe concernant l'arrêt des procédures

R. c. Gorenko, 2005 QCCA 1002 (CanLII)


[32]           Les règles de droit qui encadrent le pouvoir du Tribunal de sanctionner la conduite oppressive et vexatoire de la part de la poursuite par un arrêt des procédures sont connues.  Pour les fins de l’appel relativement à la présente espèce, on peut en identifier les tenants et aboutissants dans les propositions suivantes tirées des enseignements de la Cour suprême :
1)     Il n’existe plus de distinction entre la doctrine de l’abus de procédure en Common Law et les exigences de la Charte canadienne des droits et libertés puisque le droit des individus à un procès équitable et la réputation générale du système de justice pénale sont des préoccupations fondamentales qui sous-tendent à la fois la doctrine de l’abus de procédure reconnue enCommon Law et la Charte.  Ainsi, lorsque les tribunaux doivent déterminer si un abus du processus judiciaire est survenu, les analyses effectuées selon la Common Law et en vertu de la Charte se rejoignent;
2)     L’arrêt des procédures est le plus souvent demandé pour corriger l’injustice dont est victime un citoyen en raison de la conduite répréhensible de l’État.  Il existe toutefois une petite « catégorie résiduelle » de cas où une suspension de ce type peut être justifiée.  Cette catégorie résiduelle ne se rapporte pas à une conduite touchant l’équité du procès ou ayant pour effet de porter atteinte à d’autres droits de nature procédurale, mais envisage plutôt :
« … l’ensemble des circonstances diverses et souvent imprévisibles dans lesquelles la poursuite est menée d’une manière inéquitable ou vexatoire au point de contrevenir aux notions fondamentales de justice et de miner ainsi l’intégrité du système judiciaire. »
3)     L’arrêt ou la suspension définitive des procédures constitue une forme de réparation draconienne à un abus de procédure.  Il faut donc réserver cette réparation aux cas les plus graves ou les plus manifestes;
4)     Que le préjudice découlant de l’abus touche l’équité du procès ou porte atteinte à l’intégrité du système de justice, l’arrêt des procédures s’avère approprié seulement lorsque deux critères sont remplis: (1) le préjudice causé par l’abus en question sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès ou par son issue; et (2) aucune autre réparation ne peut raisonnablement faire disparaître ce préjudice.
5)     Le premier critère est d’une importance capitale.  Il reflète le caractère prospectif de la suspension des procédures comme mode de réparation.  Elle ne corrige pas le préjudice causé, elle vise à empêcher que ne se perpétue une atteinte qui, faute d’intervention, continuera à perturber les parties et la société dans son ensemble à l’avenir.  Lorsqu’il s’agit d’un abus relevant de la catégorie résiduelle, la suspension des procédures ne constitue généralement une réparation appropriée que lorsque l’abus risque de se poursuivre ou de se reproduire.  Ce n’est que dans des cas exceptionnels, très rares, que la conduite reprochée est si grave que le simple fait de poursuivre le procès serait choquant..
6)     Dans ce contexte, tout risque d’abus continuant à se manifester au cas de poursuite du procès doit donc être évalué en regard des réparations potentielles moins draconiennes qu’une suspension des procédures.  Une fois établi que l’abus continuera à miner le processus judiciaire et qu’aucune autre réparation que la suspension ne permettrait de corriger le problème, le juge peut exercer son pouvoir discrétionnaire d’ordonner la suspension.
7)     S’il reste un degré d’incertitude quant à la possibilité de faire disparaître le préjudice, compte tenu du caractère prospectif du premier critère, le juge peut alors appliquer un troisième critère, celui de l’évaluation comparative des intérêts que servirait la suspension des procédures et l’intérêt que représente pour la société un jugement définitif statuant sur le fond.  Dans certaines situations, l'intérêt irrésistible de la société à ce qu'il y ait un débat au fond peut amener à conclure que des allégations d'abus de procédure ne justifient pas de suspendre le processus judiciaire.  Eu égard aux faits particuliers des affaires portées devant elle, la Cour suprême a jugé que la révocation de la citoyenneté pour crimes de guerre ainsi que des allégations d'agressions sexuelles de jeunes filles et de femmes vulnérables étaient des cas à l'égard desquels la poursuite du procès n'engendrait pas une apparence d'injustice persistante.
8)     Une cour d’appel ne peut intervenir à la légère dans la décision d’un juge de première instance d’accorder ou de ne pas accorder la suspension des procédures car il s’agit d’une réparation à caractère discrétionnaire.  Une cour d’appel ne sera justifiée d’intervenir dans l’appréciation de ce pouvoir discrétionnaire que si le juge de première instance s’est fondé sur des considérations erronées en droit ou si sa décision est erronée au point de créer une injustice.  Une cour d’appel ne peut substituer sa propre décision à celle du premier juge pour le seul motif qu’elle arrive à une appréciation différente des faits.
9)     Toutefois, la décision pourra être modifiée, selon le principe bien établi, si le juge du procès a commis des erreurs de fait manifestes et dominantes qui ont faussé son appréciation des faits.  Il en est de même s’il s’est fondé sur des considérations erronées en droit pour suspendre les procédures en omettant de tenir compte d’éléments clés de l’analyse

Le principe le plus fondamental de notre droit de la preuve est que, de façon générale, tout renseignement pertinent se rapportant à une question en litige est admissible en preuve

R. c. Blackman, 2008 CSC 37 (CanLII), [2008] 2 RCS 298


[29] Le principe le plus fondamental de notre droit de la preuve est que, de façon générale, tout renseignement pertinent se rapportant à une question en litige est admissible en preuve.  En d’autres termes, une preuve ne peut être admise que s’il existe un lien logique entre l’élément de preuve et une question faisant l’objet du litige.  Sans ce lien, la preuve proposée, qu’il s’agisse ou non d’une preuve par ouï‑dire, n’a aucune valeur probante et est donc inadmissible.  Compte tenu de ce principe essentiel, le juge du procès a à juste titre vérifié la pertinence des déclarations extrajudiciaires pendant le voir‑dire.  Bien entendu, il n’y a pas lieu de procéder à un voir‑dire si la preuve n’est pas pertinente.  À la fin du voir‑dire, la défense a notamment fait valoir qu’aucun élément de preuve n’établissait un lien entre la personne que M. Ellison aurait poignardée et l’accusé.  L’avocat de l’accusé a soutenu que sans un tel lien, les déclarations extrajudiciaires de M. Ellison n’étaient pas pertinentes.  Bien qu’il n’ait pas repris cet argument devant la Cour, il s’agit d’un point important, qui mérite qu’on s’y attarde.  Par conséquent, avant d’aborder la question de savoir si le juge du procès a eu raison d’admettre selon l’approche raisonnée en matière de ouï‑dire les déclarations de M. Ellison, j’examinerai le critère préliminaire de la pertinence.
  
[30] Pour évaluer pleinement la pertinence d’un élément de preuve, il faut tenir compte des autres éléments présentés pendant le procès.  Toutefois, en tant que critère d’admissibilité, l’appréciation de la pertinence est un processus continu et dynamique dont la résolution ne peut attendre l’issue du procès.  Selon l’étape du procès, le « contexte » de l’appréciation de la pertinence d’un élément de preuve peut très bien être embryonnaire.  Souvent, pour des raisons pragmatiques, il faut s’appuyer sur les observations des avocats pour décider de la pertinence d’un élément de preuve.  Dans The Law of Evidence (4e éd. 2005), p. 29, les professeurs D. M. Paciocco et L. Stuesser expliquent pourquoi, en réalité, le critère préliminaire de la pertinence ne peut être un critère strict et, comme les auteurs le soulignent, les propos suivants du juge Cory dans R. c. Arp1998 CanLII 769 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 339, par. 38, rendent bien compte de ce point de vue :

Pour qu’un élément de preuve soit logiquement pertinent, il n’est pas nécessaire qu’il établisse fermement, selon quelque norme que ce soit, la véracité ou la fausseté d’un fait en litige.  La preuve doit simplement tendre à [TRADUCTION] « accroître ou diminuer la probabilité de l’existence d’un fait en litige ».

L’utilisation des biens d’une compagnie à des fins personnelles plutôt qu’à l’avantage de celle-ci peut constituer un acte malhonnête si l’on accuse des administrateurs de fraude

R. c. Olan et al., 1978 CanLII 9 (CSC), [1978] 2 RCS 1175


Dans l’affaire R. c. Lemire, l’accusé était inculpé d’avoir fraudé le public en remettant des comptes de dépenses fictifs. Le juge Martland, parlant au nom de la majorité de cette Cour, a examiné l’argument selon lequel les comptes n’avaient trompé personne parce qu’ils n’énuméraient pas les dépenses, comme l’exigeait la formule de demande de remboursement. Il a déclaré, aux pp. 185 et 186: [TRADUCTION] «Qu’ils aient ou non induit en erreur les personnes qui les ont vus, c’étaient les moyens qu’il fallait nécessairement utiliser pour se faire payer et sans lesquels il n’y aurait pas eu de paiement. Ils étaient frauduleux.» Voir aussi R. v. Renar, à la p. 358.

Dans Scott v. Metropolitan Police Commissioner, la Chambre des lords a jugé qu’en common law la supercherie ne constitue pas un élément essentiel de l’infraction de complot en vue de frauder même si, dans la plupart des cas, c’est par ce moyen que la fraude est commise. Dans son exposé, auquel ont souscrit les lords Reid, Simon of Glaisdale et Kilbrandon, le vicomte Dilhorne écrit, à la p. 839, à propos du [TRADUCTION]Huitième rapport du Comité de réforme du droit relatif aux «Vol et Infractions connexes» 1966 (Cmnd. 2977):

[TRADUCTION] Si, comme je le pense et à l’instar semble-t-il du Comité de réforme du droit, «frauduleusement» signifie «malhonnêtement», alors «frauder» signifie, dans le langage courant, priver malhonnêtement une personne de quelque chose qui lui appartient ou de quelque chose à laquelle elle a, aurait ou pourrait avoir droit, n’eut été la perpétration de la fraude.

Lord Diplock a tenu des propos semblables, à la p. 841:

[TRADUCTION] Les moyens utilisés intentionnellement pour parvenir au but doivent être malhonnêtes. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait des déclarations mensongères comme c’est le cas pour le dol au civil. La malhonnêteté, quelle qu’elle soit, suffit.

Dans une cause anglaise plus ancienne, R. v. Sinclair, les défendeurs étaient accusés d’avoir comploté de voler et frauder une compagnie, ses actionnaires et ses créanciers par l’utilisation frauduleuse et clandestine de ses biens à d’autres fins que celles qu’elle poursuivait. Voici les directives du juge au jury quant à la fraude (à la p. 1249):

[TRADUCTION] Pour prouver la fraude, il faut établir que la conduite des accusés était délibérément malhonnête. Dans les circonstances de la présente -affaire, quel critère doit-on appliquer pour décider s’il y a eu conduite malhonnête? Il y a fraude si la preuve révèle qu’on a pris un risque, sans en avoir le droit, au détriment ou au préjudice d’autrui.

Les défendeurs ont été déclarés coupables et ont interjeté appel. La Cour d’appel a confirmé la condamnation et a déclaré (à la p. 1250):

[TRADUCTION] Voler et frauder, c’est agir de façon délibérément malhonnête, au préjudice du droit de propriété d’une autre personne. Dans la présente affaire, le complot de vol et de fraude aurait consisté dans une entente malhonnête entre un administrateur d’une compagnie et d’autres personnes en vue de prendre un risque avec les biens de la compagnie, soit de les utiliser sciemment à l’encontre des meilleurs intérêts de cette dernière et au détriment des actionnaires minoritaires.
On déclare au début des directives générales relatives à la fraude que pour qu’il y ait fraude, il faut que la conduite soit délibérément malhonnête. C’est tout à fait exact.

Les tribunaux ont de bonnes raisons d’hésiter à définir de façon exhaustive le mot «frauder» (frustrer), mais on peut sans crainte dire que, selon la jurisprudence, deux éléments sont essentiels: la «malhonnêteté» et la «privation». Pour avoir gain de cause, le ministère public doit donc prouver la privation malhonnête.

L’utilisation des biens d’une compagnie à des fins personnelles plutôt qu’à l’avantage de celle-ci peut constituer un acte malhonnête si l’on accuse ses administrateurs de fraude. L’arrêt Cox et Paton appuie ce principe.

On établit la privation si l’on prouve que les intérêts pécuniaires de la victime ont subi un dommage ou un préjudice ou qu’il y a risque de préjudice à leur égard. Il n’est pas essentiel que la fraude mène à une perte pécuniaire réelle. L’extrait suivant, tiré de l’arrêt de la Cour d’appel d’Angleterre, R. v. Allsop, décrit bien, à mon avis, l’état du droit sur le rôle de la perte pécuniaire dans la fraude (aux pp. 31 et 32):

[TRADUCTION] En général, un fraudeur veut avant tout se procurer un avantage. Le tort causé à sa victime est secondaire et incident. Il n’est «intentionnel» que parce qu’il fait partie du résultat prévu de la fraude. Si la supercherie met en péril les intérêts pécuniaires de la personne induite en erreur, cela suffit pour constituer une fraude, même s’il n’en résulte aucune perte réelle et même si le fraudeur n’a pas eu l’intention de causer une perte réelle.

A notre avis, rien dans les motifs de lord Diplock [dans Scott] ne suggère une opinion différente. La «perte pécuniaire» peut être éphémère et temporaire ou éventuelle sans être réelle, mais même une simple menace de préjudice financier, pendant qu’elle existe, peut être évaluée monétairement…
Des intérêts mis en péril ont moins de valeur en termes monétaires que des intérêts protégés et en sécurité. Quiconque a l’intention d’inciter par une supercherie une autre personne à agir de manière à compromettre ses intérêts pécuniaires se rend coupable de fraude même s’il ne prévoit, ni ne veut que l’autre subisse finalement une perte réelle.

Le droit des obligations fiduciaires

Hodgkinson c. Simms, 1994 CanLII 70 (CSC), [1994] 3 RCS 377


La responsabilité découle ici de l'application des principes qui sous‑tendent la notion de l'obligation fiduciaire, un type d'obligation plus générale, au moyen de laquelle le droit cherche à protéger les gens vulnérables dans leurs opérations avec autrui.  Cette obligation générale unit les causes d'action connexes comme le manquement à une obligation fiduciaire, l'abus d'influence, l'iniquité et la déclaration inexacte faite par négligence.  Une obligation fiduciaire comporte non seulement une obligation d'aptitude et de compétences; les éléments spéciaux de confiance, de loyauté et de confidentialité propres à une relation fiduciaire donnent également lieu à un devoir correspondant de loyauté.

                  L'obligation fiduciaire se distingue des autres principes d'equity et de common law.  L'abus d'influence porte sur la suffisance du consentement et l'iniquité, sur le caractère raisonnable d'une opération donnée.  Le principe fiduciaire s'intéresse à l'abus de loyauté.  L'existence d'un contrat n'écarte pas nécessairement l'existence d'obligations fiduciaires entre les parties.  En fait, les particularités juridiques de nombreux contrats font naître une obligation fiduciaire.

                  Une partie devient un fiduciaire lorsqu'une loi, un contrat ou un engagement unilatéral lui impose l'obligation d'agir pour le compte d'une autre partie et que cette obligation est assortie d'un pouvoir discrétionnaire.  Plusieurs indices sont utiles pour reconnaître l'existence d'une relation fiduciaire:  (1) un certain pouvoir discrétionnaire peut être exercé, (2) ce pouvoir discrétionnaire peut être exercé unilatéralement de manière à avoir un effet sur les intérêts juridiques ou pratiques du bénéficiaire, et (3) une vulnérabilité particulière à l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

                  Le terme «fiduciaire» peut être employé à bon droit de deux façons.  Premièrement, il peut servir à décrire certaines relations caractérisées par la discrétion, l'influence sur les droits et une vulnérabilité inhérente.  Il existe une présomption réfutable, découlant de la fin inhérente de la relation, qu'une partie a l'obligation d'agir dans l'intérêt de l'autre.  Deuxièmement, ce terme peut être utilisé dans un sens légèrement différent dans le cas où des obligations fiduciaires, quoique non innées dans une relation donnée, peuvent réellement découler des circonstances propres à cette relation particulière.  En pareil cas, il s'agit de savoir si, compte tenu de toutes les circonstances en présence, une partie pouvait raisonnablement s'attendre à ce que l'autre agisse dans l'intérêt de la première relativement au sujet en cause.  La discrétion, l'influence, la vulnérabilité et la confiance sont des exemples non exhaustifs de facteurs probants dont il faut tenir compte lorsqu'on prend cette décision.  Lorsqu'on ne se trouve pas en présence des catégories établies de relations fiduciaires, il faut faire la preuve que les parties ont mutuellement convenu que l'une d'elles renoncerait à agir dans son propre intérêt et accepterait d'agir seulement pour le compte de l'autre.  Alors, dans un contexte consultatif, pour qu'une relation puisse être qualifiée de fiduciaire, il doit exister davantage qu'un simple engagement par une partie de fournir des renseignements et d'exécuter les ordres de l'autre.

                  Les rapports caractérisés par un pouvoir discrétionnaire unilatéral, comme la relation entre un fiduciaire et un bénéficiaire, constituent une sorte de catégorie générale de rapports dits «de force et de dépendance».  Ce concept décrit exactement toute situation dans laquelle une partie acquiert, que ce soit en vertu de la loi, d'une entente, d'une conduite particulière ou d'un engagement unilatéral, une position de force ou d'influence écrasante sur une autre partie.

                  Lorsqu'on cherche à établir quelles sont les diverses obligations civiles auxquelles donne naissance un rapport particulier de force et de dépendance, il est erroné de ne mettre l'accent que sur la mesure dans laquelle le pouvoir discrétionnaire de léser autrui est en quelque sorte «unilatéral».  Ce concept n'a aucune pertinence descriptive ou analytique dans le cas de nombreux rapports fiduciaires fondés sur des faits.  Les personnes dans un «rapport de force et de dépendance» sont, par le fait même, susceptibles d'être lésées.  Par ailleurs, le «degré de vulnérabilité» relatif dépend non pas d'une capacité hypothétique de se protéger contre les préjudices, mais plutôt de la nature des attentes raisonnables des parties.  Une partie qui s'attend à ce que l'autre agisse dans son intérêt est plus susceptible d'être victime d'un abus de pouvoir que celle qui devrait savoir qu'elle devrait prendre des mesures pour se protéger.

                  Les obligations de common law ou d'equity que les tribunaux feront respecter dans une relation donnée sont adaptées aux particularités juridiques et pratiques de la relation concernée.

                  Les rapports commerciaux entre des parties sans lien de dépendance tirent normalement leur utilité sociale de la poursuite d'un intérêt personnel, et les tribunaux ont raison d'être circonspects lorsqu'on leur demande de faire respecter une obligation (c.‑à‑d. l'obligation fiduciaire) qui vient justifier l'antithèse même de cet intérêt personnel.  Il sera rare que des parties, indépendantes à tout autre égard, soient justifiées de renoncer à leur intérêt personnel de manière à invoquer le principe fiduciaire.  Le droit ne s'oppose pas en soi à ce qu'une partie profite d'une autre dans la mesure où cette forme d'exploitation n'est pas par ailleurs inacceptable

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Celui qui propose d'acheter une arme à feu ou de la drogue ne peut pas être reconnu coupable de trafic de cette chose

R. v. Bienvenue, 2016 ONCA 865 Lien vers la décision [ 5 ]           In  Greyeyes v. The Queen  (1997),  1997 CanLII 313 (SCC) , 116 C.C.C. ...