mercredi 2 octobre 2013

L’utilisation des biens d’une compagnie à des fins personnelles plutôt qu’à l’avantage de celle-ci peut constituer un acte malhonnête si l’on accuse des administrateurs de fraude

R. c. Olan et al., 1978 CanLII 9 (CSC), [1978] 2 RCS 1175


Dans l’affaire R. c. Lemire, l’accusé était inculpé d’avoir fraudé le public en remettant des comptes de dépenses fictifs. Le juge Martland, parlant au nom de la majorité de cette Cour, a examiné l’argument selon lequel les comptes n’avaient trompé personne parce qu’ils n’énuméraient pas les dépenses, comme l’exigeait la formule de demande de remboursement. Il a déclaré, aux pp. 185 et 186: [TRADUCTION] «Qu’ils aient ou non induit en erreur les personnes qui les ont vus, c’étaient les moyens qu’il fallait nécessairement utiliser pour se faire payer et sans lesquels il n’y aurait pas eu de paiement. Ils étaient frauduleux.» Voir aussi R. v. Renar, à la p. 358.

Dans Scott v. Metropolitan Police Commissioner, la Chambre des lords a jugé qu’en common law la supercherie ne constitue pas un élément essentiel de l’infraction de complot en vue de frauder même si, dans la plupart des cas, c’est par ce moyen que la fraude est commise. Dans son exposé, auquel ont souscrit les lords Reid, Simon of Glaisdale et Kilbrandon, le vicomte Dilhorne écrit, à la p. 839, à propos du [TRADUCTION]Huitième rapport du Comité de réforme du droit relatif aux «Vol et Infractions connexes» 1966 (Cmnd. 2977):

[TRADUCTION] Si, comme je le pense et à l’instar semble-t-il du Comité de réforme du droit, «frauduleusement» signifie «malhonnêtement», alors «frauder» signifie, dans le langage courant, priver malhonnêtement une personne de quelque chose qui lui appartient ou de quelque chose à laquelle elle a, aurait ou pourrait avoir droit, n’eut été la perpétration de la fraude.

Lord Diplock a tenu des propos semblables, à la p. 841:

[TRADUCTION] Les moyens utilisés intentionnellement pour parvenir au but doivent être malhonnêtes. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait des déclarations mensongères comme c’est le cas pour le dol au civil. La malhonnêteté, quelle qu’elle soit, suffit.

Dans une cause anglaise plus ancienne, R. v. Sinclair, les défendeurs étaient accusés d’avoir comploté de voler et frauder une compagnie, ses actionnaires et ses créanciers par l’utilisation frauduleuse et clandestine de ses biens à d’autres fins que celles qu’elle poursuivait. Voici les directives du juge au jury quant à la fraude (à la p. 1249):

[TRADUCTION] Pour prouver la fraude, il faut établir que la conduite des accusés était délibérément malhonnête. Dans les circonstances de la présente -affaire, quel critère doit-on appliquer pour décider s’il y a eu conduite malhonnête? Il y a fraude si la preuve révèle qu’on a pris un risque, sans en avoir le droit, au détriment ou au préjudice d’autrui.

Les défendeurs ont été déclarés coupables et ont interjeté appel. La Cour d’appel a confirmé la condamnation et a déclaré (à la p. 1250):

[TRADUCTION] Voler et frauder, c’est agir de façon délibérément malhonnête, au préjudice du droit de propriété d’une autre personne. Dans la présente affaire, le complot de vol et de fraude aurait consisté dans une entente malhonnête entre un administrateur d’une compagnie et d’autres personnes en vue de prendre un risque avec les biens de la compagnie, soit de les utiliser sciemment à l’encontre des meilleurs intérêts de cette dernière et au détriment des actionnaires minoritaires.
On déclare au début des directives générales relatives à la fraude que pour qu’il y ait fraude, il faut que la conduite soit délibérément malhonnête. C’est tout à fait exact.

Les tribunaux ont de bonnes raisons d’hésiter à définir de façon exhaustive le mot «frauder» (frustrer), mais on peut sans crainte dire que, selon la jurisprudence, deux éléments sont essentiels: la «malhonnêteté» et la «privation». Pour avoir gain de cause, le ministère public doit donc prouver la privation malhonnête.

L’utilisation des biens d’une compagnie à des fins personnelles plutôt qu’à l’avantage de celle-ci peut constituer un acte malhonnête si l’on accuse ses administrateurs de fraude. L’arrêt Cox et Paton appuie ce principe.

On établit la privation si l’on prouve que les intérêts pécuniaires de la victime ont subi un dommage ou un préjudice ou qu’il y a risque de préjudice à leur égard. Il n’est pas essentiel que la fraude mène à une perte pécuniaire réelle. L’extrait suivant, tiré de l’arrêt de la Cour d’appel d’Angleterre, R. v. Allsop, décrit bien, à mon avis, l’état du droit sur le rôle de la perte pécuniaire dans la fraude (aux pp. 31 et 32):

[TRADUCTION] En général, un fraudeur veut avant tout se procurer un avantage. Le tort causé à sa victime est secondaire et incident. Il n’est «intentionnel» que parce qu’il fait partie du résultat prévu de la fraude. Si la supercherie met en péril les intérêts pécuniaires de la personne induite en erreur, cela suffit pour constituer une fraude, même s’il n’en résulte aucune perte réelle et même si le fraudeur n’a pas eu l’intention de causer une perte réelle.

A notre avis, rien dans les motifs de lord Diplock [dans Scott] ne suggère une opinion différente. La «perte pécuniaire» peut être éphémère et temporaire ou éventuelle sans être réelle, mais même une simple menace de préjudice financier, pendant qu’elle existe, peut être évaluée monétairement…
Des intérêts mis en péril ont moins de valeur en termes monétaires que des intérêts protégés et en sécurité. Quiconque a l’intention d’inciter par une supercherie une autre personne à agir de manière à compromettre ses intérêts pécuniaires se rend coupable de fraude même s’il ne prévoit, ni ne veut que l’autre subisse finalement une perte réelle.

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