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samedi 2 décembre 2023

Quel est le moment opportun pour entendre et trancher une requête?

R. c. Viau, 2022 QCCS 1636

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 [43]        L’accusée a également reconnu que le Tribunal détenait le pouvoir discrétionnaire de déterminer le moment opportun pour entendre la requête[32].

[44]        L’arrêt R. c. La1997 CanLII 309 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 680, traite spécifiquement de la question du moment opportun pour trancher une requête en arrêt des procédures dont un tribunal est saisi. Le moment opportun varie en fonction des circonstances propres d’une affaire, et le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire de statuer sur la requête avant, pendant ou après le procès; qui plus est, « il est généralement préférable de surseoir à statuer sur la demande. Ainsi, le juge sera en mesure d'évaluer l'ampleur du préjudice et de déterminer si les mesures prises pour réduire celui-ci au minimum se sont avérées fructueuses »[33]. Pareil report permet d’éviter l’usage de conjecture afin d’évaluer la portée de l’atteinte[34].

[45]        Même en prenant pour acquis que l’arrêt La englobe uniquement les situations où les faits allégués au soutien de la requête ne visent que l’équité du procès, les principes généraux de gestion entourant les demandes constitutionnelles, tels qu’exposés dans R. c. DeSousa1992 CanLII 80 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 944, s’appliquent à toutes demandes de nature constitutionnelle. Le juge d’instance a un pouvoir discrétionnaire large.

[46]        Dans DeSousa, l’accusé conteste la constitutionnalité de la disposition créant l’infraction pour laquelle il est accusé. La juge d’instance traite de la question avant la tenue du procès. Elle sera finalement d'avis que la disposition enfreint l’article 7 de la Charte, déclare qu’elle est inopérante et ordonne l’annulation de l’acte d’accusation; le procès ne sera pas tenu. La Cour d’appel accueille l’appel et annule l’ordonnance annulant l’acte d’accusation; la Cour suprême confirme.

[47]        L’une des questions à trancher en appel est celle du moment dans l’instance où une telle question devrait être tranchée. La Cour rappelle l’existence du pouvoir discrétionnaire du juge d’instance de « réserver sa décision sur une demande » jusqu’à la fin de l’instance (p. 954). Ce pouvoir fait entrer en jeu deux principes : (1) « les instances pénales ne doivent pas être fragmentées par des procédures interlocutoires qui deviennent des instances distinctes » (p. 954); (2) en cas de contestations constitutionnelles, il faut tendre à « dissuader les tribunaux de trancher les questions constitutionnelles dépourvues de fondement factuel » (p. 954). Jumelés, ces principes incitent les tribunaux à trancher les demandes à la fin des débats (p. 954) : voici la règle de principe. S’il veut s’en écarter, le juge d’instance doit avoir une bonne raison (i.e. : la motiver).

[48]        La Cour fournit ensuite deux exemples d’exception, lorsque les intérêts de la justice militent pour une décision immédiate :

Ex. 1 : le tribunal saisit viole lui-même la Charte – la cour mentionne R. c. Rahey1987 CanLII 52 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 588 et les ajournements répétés du juge d’instance, à sa demande;

Ex. 2 : la présence d’une atteinte « importante et continue » à la Charte -  R. c. Gamble1988 CanLII 15 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 595, modifications législatives et interprétations subséquentes des dispositions impliquées, influant sur le droit d’un délinquant à l’admissibilité à la libération conditionnelle;[35]

[49]        Sur ce dernier cas de figure, la Cour suprême apporte les précisions suivantes :

Une attaque, fondée sur la Charte, contre la loi en vertu de laquelle l'accusé a été inculpé, qui semble bien fondée et qui ne dépend pas de faits devant être prouvés au cours du procès pourrait être visée par cette exception à la règle générale.  […] À plus forte raison si l'on s'attend à ce que le procès soit très long.[36]

[Soulignements du Tribunal.]

[50]        La Cour suprême est d’avis que, dans ce cas, la contestation constitutionnelle n’était pas sans fondement, peu importe l’issue finale. La preuve au procès n’aurait pas été utile pour résoudre la question constitutionnelle,  « étant donné la nature des arguments de l'appelant » (p. 955). La juge d’instance n’a pas commis d’erreur (p. 955).

[51]        Dans R. v. Salisbury[37], la juge d’instance est saisie d’une requête en arrêt des procédures suivant une violation à l’art. 9 de la Charte. La requête est accueillie. En appel, le juge casse le jugement et renvoie l’affaire pour adjudication sur le fond; la cour d’appel confirme. L’un des arguments soulevés en appel était le timing de la décision de la juge d’instance. La Cour d’appel fournit alors ces précisions :

It is necessary for the Court to simply clarify there is no set procedure for the determination of Charter violations and relevant remedies. The appropriate procedure and process will depend on the particular circumstances of the case taking into account all of the relevant factors. There will be situations where a Charter breach needs to be dealt with immediately and in other situations redress can wait until matters are adjudicated at trial. There are no hard and fast rules, nor would it be possible to set such rules. The determination of the appropriate procedure is within the discretion of the trial judge and, assuming the discretion is properly exercised, deference will be accorded.[38]

[Soulignements du Tribunal.]

[52]        D’autres tribunaux ont appliqué ces principes[39].

[53]        Dans un cas dont les allégations d’inconduite sont en partie similaires à celles formulées en l’espèce, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que la requête devait être entendue après la preuve de la poursuivante au procès. Les remèdes demandés étaient les mêmes qu’en l’espèce (arrêt des procédures ou, subsidiairement l’exclusion de la preuve du témoin visé par les allégations). La juge a tout de même statué que l’interrogatoire en chef et contre-interrogatoire du témoin au fond, ainsi que la preuve de la poursuivante corroborant ses dires, lui étaient essentiels pour déterminer l’existence de l’abus allégué[40].

[54]        Pour conclure, le Tribunal a exercé sa discrétion à l’intérieur des paramètres établis par la jurisprudence.

Comment traiter la destruction par l'État d'un élément de preuve

Côté c. R., 2023 QCCA 1095

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[13]      Dans ces conditions, le test pour prononcer un arrêt des procédures fondé sur une allégation d’abus de procédure n’est pas satisfait. L’arrêt Babos[5], rendu par la majorité de la Cour suprême, résume ainsi le test applicable :

[32] Le test servant à déterminer si l’arrêt des procédures se justifie est le même pour les deux catégories et comporte trois exigences :

(1) Il doit y avoir une atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable ou à l’intégrité du système de justice qui « sera révélé[e], perpétué[e] ou aggravé[e] par le déroulement du procès ou par son issue »;

(2) Il ne doit y avoir aucune autre réparation susceptible de corriger l’atteinte;

(3) S’il subsiste une incertitude quant à l’opportunité de l’arrêt des procédures à l’issue des deux premières étapes, le tribunal doit mettre en balance les intérêts militant en faveur de cet arrêt, comme le fait de dénoncer la conduite répréhensible et de préserver l’intégrité du système de justice, d’une part, et « l’intérêt que représente pour la société un jugement définitif statuant sur le fond » […].[6]

[Références omises]

[14]      L’appelant est d’avis que la conduite des policiers, tout comme celle de l’intimé, l’auraient privé de son droit à une défense pleine et entière, portant ainsi atteinte à l’équité du procès et à l’intégrité du système judiciaire.

[15]      Or, le remède exceptionnel qu’est l’arrêt des procédures ne peut être prononcé que lorsque « "forcer le prévenu à subir son procès violerait les principes de justice fondamentaux qui soustendent le sens du francjeu et de la décence qu’a la société" ou lorsqu’il s’agit d’une procédure "oppressive ou vexatoire" »[7]. La situation de l’appelant n’atteint pas ce niveau.

[16]      Le droit à une enquête parfaite n’est pas enchâssé dans la constitution, pas plus que ne l’est le droit d’un accusé de diriger une enquête dont il est le suspect[8]. Les policiers doivent se livrer à une enquête sérieuse afin de rassembler tous les éléments de preuve pertinents, ce qui est la condition préalable à la prise d’une décision éclairée sur l’opportunité de porter des accusations[9]. Ils doivent également prendre des notes après l’enquête et conserver les éléments recueillis[10]. Néanmoins, toute perte, destruction ou lacune à cet égard n’entraîne pas automatiquement un arrêt des procédures. Les circonstances d’un cas d’espèce sont de la plus haute importance et il faut évaluer le comportement des agents de l’État à l’aune de celles-ci[11].

[17]      Les lacunes constatées en l’espèce ne font pas état d’un cas manifeste d’abus de procédure[12]. Il n’y a d’ailleurs aucune preuve démontrant la mauvaise foi des forces de l’ordre, bien que cette démonstration ne soit pas toujours nécessaire.

Le devoir de conservation incombant à l'État en lien avec l'obligation de communication de la preuve

R. c. Delisle, 2023 QCCA 1096

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[104]   Par ailleurs, la Cour suprême n’a pas manqué de souligner que « [l]e droit à la divulgation serait vide de sens si le ministère public n’était pas tenu de conserver des éléments de preuve qu’on sait pertinents »[53].

[105]   Et bien entendu, puisque rien n’est parfait, il arrivera que des éléments, qui par ailleurs doivent être communiqués, se perdent[54]. La perfection n’est pas exigée. La perte d’un élément de preuve peut s’expliquer de nombreuses façons, dont la destruction programmée, l’erreur ou la négligence inacceptable de l’État. Un défaut de divulguer une preuve qui doit l’être contrevient à l’article 7 de la Charte et peut même, dans certains cas, constituer un abus de procédure.

[106]   L’abus de procédure découle « d’une conduite d’une autorité gouvernementale qui viole les principes fondamentaux qui soustendent le sens du francjeu et de la décence de la société »[55]. La destruction d’un élément de preuve avec l’intention de contrecarrer l’obligation de communication de la preuve tombe certainement dans ce cadre. Toutefois, « d’autres dérogations graves à l’obligation qu’a le ministère public de conserver les éléments qui doivent être produits peuvent également constituer un abus de procédure, même s’il n’est pas établi que des éléments de preuve ont été détruits de propos délibéré pour faire obstacle à leur divulgation »[56] et, ajoute la Cour, la négligence inacceptable dans la conservation de la preuve peut parfois suffire.

[107]   Détruire un élément recueilli pendant l’enquête sans s’interroger sur l’obligation constitutionnelle d’une communication subséquente est un abus de procédure et contrevient au droit à une défense pleine et entière[57].

[108]   Par définition, le devoir de communication de la preuve étant très large, il vise des renseignements qui ne sont pas nécessairement déterminants dans un litige[58]. Lorsqu’il y a eu la perte ou la destruction de la preuve, la partie qui s’en plaint doit démontrer la possibilité raisonnable d’une atteinte à son droit à une défense pleine et entière[59].

[109]   L’État peut donc affirmer que la preuve perdue est manifestement non pertinente ou encore offrir une explication afin de convaincre un juge que la perte de cette preuve n’entraîne aucune violation à l’obligation de la divulguer ou ne constitue pas un abus de procédure.

[110]   Par ailleurs, même en l’absence d’un abus de procédure, un accusé peut néanmoins établir, dans une situation extraordinaire, que la disparition d’un élément de preuve à ce point important cause un préjudice concret à son droit de présenter une défense pleine et entière[60].

[111]   Si la preuve perdue devait être divulguée, le ministère public a le fardeau de démontrer que l’État a pris les mesures raisonnables qui s’imposaient pour conserver la preuve. À cet égard, on doit tenir compte de la pertinence de l’élément ou du renseignement perdu au moment de sa disparition. L’État n’a pas l’obligation de tout conserver dans l’attente que cela devienne un jour pertinent pour un dossier donné[61]. On comprend aisément que plus l’élément est pertinent, « plus le degré de diligence attendu [de l’État] pour conserver cette preuve est élevé»[62].

Il est erronée de dire au juge des faits d'appliquer la norme de preuve hors de tout doute raisonnable à des éléments de preuve individuels

R. c. Morin, 1988 CanLII 8 (CSC)

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23.                     L'appelant ne conteste pas que constitue une directive erronée que de dire au jury d'appliquer la norme de preuve hors de tout doute raisonnable à des éléments de preuve individuels. Il y a une jurisprudence abondante en ce sens: Stewart c. La Reine1976 CanLII 202 (CSC), [1977] 2 R.C.S. 748, aux pp. 759 et 761; R. v. Bouvier (1984), 1984 CanLII 3453 (ON CA), 11 C.C.C. (3d) 257 (C.A. Ont.), à la p. 265, conf. 1985 CanLII 17 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 485.

La norme de preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique qu’à l’égard du verdict final de culpabilité et non aux éléments ou aux catégories de preuve considérés individuellement

R. c. Ménard, 1998 CanLII 790 (CSC)

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23.                     Cet argument est dénué de fondement.  Notre Cour a entendu, en même temps que le présent pourvoi, le pourvoi interjeté dans l’affaire White et l’a rejeté.  Les motifs de notre Cour dans l’arrêt White, qui sont rendus en même temps que la présente décision, confirment que la norme de preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique qu’à l’égard du verdict final de culpabilité ou de non‑culpabilité, et non aux éléments ou aux catégories de preuve considérés individuellement:  voir R. c. Morin1988 CanLII 8 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 345.  (...)

La simple présence sur les lieux ne suffit pas comme preuve de participation à une infraction criminelle

R. c. Simon, 2022 QCCQ 6181 

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[360]     Il est bien ancré en droit que la simple présence d’un accusé – sans plus – dans un endroit où sont trouvés des stupéfiants n’engendrera pas une condamnation[354]. Comme l’a rappelé avec justesse le juge Watt dans le récent arrêt R. v. Lights, lorsque des objets sont découverts dans des locaux occupés par l’accusé, aucune présomption de connaissance ou de contrôle ne découle de la preuve d’occupation. En bref, la présence ne crée pas une présomption factuelle ou juridique de possession[355].

[361]     Ceci dit, dans le plus récent arrêt R. v. Faudar, la Cour d’appel de l’Ontario[356] a précisé que sans créer de présomption, l’occupation d’un local, jumelé à une preuve de connaissance, peut étayer une inférence de contrôle[357]. Chaque cas est un cas d’espèce.

[362]     En l’espèce, dans la mesure où aucun témoin policier n’a vu Simon avec les stupéfiants dans les mains, la thèse de la Couronne repose sur une preuve circonstancielle. Il n’y a eu aucune preuve directe reliant l’accusé aux stupéfiants ni une preuve de transaction en flagrant délit.

[363]     Le ministère public invite le Tribunal à inférer de la preuve circonstancielle que Simon avait la possession volontaire, personnelle ou conjointe avec les autres suspects, des stupéfiants saisis dans l’appartement et ce, dans le but de participer à l’infraction de trafic.

[364]     Les principes régissant l’analyse d’une preuve circonstancielle ont été énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Villaroman[358]. Lorsque la preuve de la poursuite est largement ou uniquement circonstancielle, le Tribunal doit se demander si la culpabilité de l’accusé est la seule inférence raisonnable qu’il peut tirer de la preuve dans son ensemble, considérée logiquement et à la lumière de l’expérience humaine et du bon sens[359].

[365]     En analysant la preuve circonstancielle, le Tribunal doit soigneusement éviter de « combler des vides » inconsciemment, de suppléer aux lacunes dans la preuve ou de tirer des conclusions hâtives injustifiées pour accorder les faits avec l’inférence que la Couronne l’invite à tirer[360].

[366]     Le juge des faits doit exclure toute autre inférence « raisonnable » potentielle[361]. Dans l’arrêt R. c. Dubourg, la Cour d’appel a averti qu’il ne faut pas donner une portée exagérée à cette notion. Par exemple, d’autres inférences disculpatoires peuvent être « rationnelles » sur le plan logique, sans pour autant être « raisonnables » après une évaluation de l’ensemble de la preuve, ce qui comprend l’absence de preuve. De plus, la « seule inférence raisonnable » n’implique aucunement que cette inférence soit la seule possible dans le même sens qu’une preuve hors de tout doute raisonnable n’équivaut pas à une preuve hors de tout doute possible[362]. Le droit n’exige pas que la preuve circonstancielle exclut totalement toutes les autres inférences imaginables[363]. Foncièrement, le juge n’est pas tenu de laisser son bon sens au vestiaire[364]. Le ministère public n'a pas le fardeau de réfuter toute conjecture ou hypothèse qui serait compatible à l’innocence de l’accusé.



Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Celui qui propose d'acheter une arme à feu ou de la drogue ne peut pas être reconnu coupable de trafic de cette chose

R. v. Bienvenue, 2016 ONCA 865 Lien vers la décision [ 5 ]           In  Greyeyes v. The Queen  (1997),  1997 CanLII 313 (SCC) , 116 C.C.C. ...